Longs metrages : Ventre plein, regard vide

04/06/2023 mis à jour: 00:03
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Les Algérien (ne) s ne sont pas très difficiles et semblent bien organisés, ils et elles aiment le cinéma, pendant l’année, et la télévision, mais seulement pendant le ramadan. Ils ne sont pourtant pas les seuls, dans tout le monde musulman, c’est pendant le ramadan, après le ftour, qu’on suit les dernières réalisations TV, après manger il faut bien voir, ce qui semble donner à toutes ces représentations une fonction purement digestive. 

Sauf que le processus a changé de sitcoms comiques plus ou moins réussis et séries assez lourdes des dernières années, la production télévisuelle algérienne a changé, dramas plus complexes, avec comme point de départ l’excellent Sultan Achour de Djaffar Gacem, qui avec ses 40% de parts d’audience (Echourouk TV) a connu un gros succès, à tel point que des produits dérivés ont vu le jour, y compris un jeu vidéo disponible sur le PlayStore d’Apple. Sursaut qualitatif ? Oui, Yahia Mouzahem, réalisateur entre autres de Eddama, confirme: «Je pense pour ma part qu’on a atteint un niveau excellent, mais dans le même temps, on constate qu’il y a trop de mélange de genres, on a encore besoin de travailler sur les bases et les techniques de l’écriture et de la mise en scène.» 

Les chiffres sont pourtant là, 100 millions de vues cumulées sur Youtube pour Eddama, ce qui dépasse donc le seul public algérien, et les prix qui vont avec, Nabil Asli élu «meilleur acteur de série maghrébine ramadan 2023» pour son rôle de l’As dans la série El Batha, et dans la catégorie «meilleures séries ramadan», c’est bien sûr Eddama, de Yahia Mouzahem qui a gagné le titre selon un sondage organisé par la plate-forme et Bilarabi. Eddama, encore elle, a été élue première aux Arab Drama Critics Awards devançant de grosses productions égyptiennes, libanaises et syriennes. Mais pourquoi ramadan et pas le reste de l’année ?  Idir Benaïbouche, comédien, a trouvé la solution : «Il faudrait instituer deux ou trois ramadans par an pour que tout le monde puisse travailler, acteurs, techniciens, réalisateurs», plaisante-t-il. 
Sponsors et consorts

Malgré le titre Aïn el djenna, de la série réalisée cette année par Karim Moussaoui, preuve que même les cinéastes sont intéressés par ce type de format, nous ne sommes pas encore au paradis télévisuel, et l’argent reste évidemment le nerf de la guerre. Les chaînes TV achètent les séries ou les passent gratuitement en échange de publicités dont la monétisation est rétrocédée au producteur de la série et les sponsors qui se bousculent pendant le ramadan disparaissent juste après, se placer en prime time pendant ce mois où tout le monde regarde la télévision leur semble suffisant, surtout parce qu’il s’agit de gros sous. 

A titre d’exemple, la série Achour 10 (El acher, saison 2) a été d’abord proposée à l'EPTV, la télévision publique qui l’a finalement refusée pour cause de budget, diffusée ensuite par la chaîne Echourouk TV, reçevant plus de 18 milliards de centimes par le sponsoring de deux entreprises privées, Ooredoo (14 milliards) et Cevital (4 milliards). D’où la question de fonds, s’agit-il d’argent ou de modèle économique ? Dans d’autres pays, Egypte, Turquie ou Syrie, les séries TV passent toute l’année. Pourquoi pas ici ? Petite lueur d’espoir, la nouvelle loi sur le cinéma qui va bientôt passer à l’Assemblée pourrait inclure les productions TV dans son programme, avec un cahier des charges, obliger les chaînes TV à passer des feuilletons et séries algériennes. Toute l’année. A voir. C’est la magie du cinéma et de l’image animée, on peut regarder un film ou une série le ventre vide.  

 

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