Salle de spectacle devenue l’une des plus prestigieuses de Paris, le Cabaret Sauvage vaut aussi par son créateur, Méziane Azaïche, un Algérien. D’ailleurs, dans L’olivier sauvage, le succulent documentaire qui est consacré à cet antre de la fête, ce fabuleux personnage lui a ravi la vedette.
Et, à l’instar de Kamel Azouz, le réalisateur, qui a dû lui concéder la moitié de la durée du film, le public de la salle Donyazad de Saïda a été conquis par ce sexagénaire hors norme qui, sans solide niveau d’instruction, a débarqué à 23 ans, directement d’un village juché sur les crêtes montagneuses de Kabylie.
Il rencontrait enfin son père, perdu de vue depuis l’âge de trois ans en raison de son engagement nationaliste, revu brièvement à l’âge de huit ans, à l’indépendance. Le père s’en est reparti en France, cette fois pour y travailler seulement. Paradoxalement, le petit Méziane en est soulagé, le père ne lui enlevant pas ainsi sa maman.
C’est que l’enfant entretient avec sa mère une relation fusionnelle : «Tout ce que je suis, je le dois à ma mère. Elle m’a donné beaucoup d’amour, inculqué une philosophie de la vie, appris à être attentif aux autres comme de saisir la chance quand elle se présente et de la multiplier par cent.»
Nos lecteurs qui lisent parfois des comptes rendus dans notre journal sur les spectacles passant dans cet espace de convivialité seraient agréablement surpris d’en découvrir la surprenante réalité et de réaliser, que contrairement à ce qu’il est du côté sud de la Méditerranée, ce n’est pas ce lieu où l’on vient à titre principal consommer des boissons alcoolisées.
On n’y est même pas tenus car on s’y rend surtout pour assister à un spectacle payant. Méziane, comme tout un chacun l’appelle familièrement, parce que riche culturellement, d’une culture intuitive mais également d’une curiosité envers l’autre comme d’une touchante empathie, ouvert à toutes les expressions culturelles, esprit créatif, caractère entreprenant, est loin d’un froid self made man. Ses qualités de citoyen du monde sont louées à travers de multiples témoignages.
Mais les meilleurs d’entre eux sont ceux où il se raconte de façon drôle, à force de savoureuses anecdotes, avec une faconde singulière et un accent kabyle exquisément parisianisé. Son premier de débit de boisson, Le Zéphyr, il en a été propriétaire durant quatorze ans : «J’y ai appris c’est quoi gérer un commerce, c’est quoi d’aller chercher du monde et comment faire de la communication.»
Il l’ouvre d’emblée à tous ceux qui aiment le monde de la nuit, Méziane s’imposant, grâce à sa sociabilité toute méditerranéenne, en fédérateur de cette clientèle de noctambules. Et grâce aux artistes qu’il y fait passer, il se familiarise avec toutes les expressions musicales notamment européennes, maghrébines et africaines, ce qui lui servira par la suite dans ses programmations mais aussi pour devenir producteur de spectacles.
Son premier, il l’appelle Le Cabaret Sauvage. Il y investit le music hall dans ce qu’il a de noble : «Cela parlait de politique, d’immigration, etc., et on a joué quatre mois à guichet fermé.» Et lorsqu’il ouvre sa salle au parc de la Villette, le nom est tout trouvé. En 1997, Les Nomades Rageurs est créé, un cabaret mêlant la musique, le cirque, la danse sous un chapiteau et non pas une salle classique.
Nombre d’artistes aujourd’hui célèbres en France ont ainsi eu pour tremplin Le Cabaret Sauvage, une salle où toutes les musiques du monde s’entendent, mais particulièrement algérienne et africaine, un lieu où l’espace scénique est modifié en fonction de la nature des spectacles, au centre ou sur le côté.
Le documentaire, alerte dans son récit, essentiellement en plans rapprochés, caméra à l’épaule, entre scènes d’intérieur et d’extérieur, sur des lieux de jeunesse en Kabylie ou à Paris, photographies d’époque, interviews, et captations de spectacles, est en définitive un bon moment de cinéma sur une exceptionnelle aventure humaine et artistique.