En novembre dernier, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) avait appelé les pays à se préparer à de nouveaux chocs alimentaires après la pandémie de Covid-19.
Quatre mois après, le monde se retrouve confronté aux premiers effets du conflit entre la Russie et l’Ukraine, le premier pays occupant la première place dans le classement des volumes de blé exportés, et le deuxième pays étant le septième producteur de blé au monde et le cinquième exportateur. Les cours des produits agricoles, particulièrement le blé, ont d’ailleurs été propulsés jeudi à un plus haut niveau depuis 14 ans après l’attaque de l’Ukraine par la Russie.
Certes, depuis, les prix sont redescendus, mais la menace pèse toujours sur le marché mondial du blé, surtout sur les pays dépendants des importations. Et ce, d’autant qu’en plus des prix qui vont encore «fatalement augmenter», ceux du transport vont suivre cette tendance, comme nous le soulignera Arezki Mekliche, expert en céréaliculture.
La directrice de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) n’a pas manqué de relever ce point le 25 février, mettant en garde contre la hausse des prix du transport avec de nombreux navires de transport de marchandises qui se retrouvent bloqué actuellement. Qu’en sera-t-il pour l’Algérie dans cette situation de crise ?
Du côté du ministère de l’Agriculture et du Développement rural (MADR) l’on rassure. «Cette guerre n’affectera pas les approvisionnements de l’Algérie en blé», a déclaré hier un représentant du ministère sur les ondes de la Radio nationale. Et d’ajouter : «La diversification de nos fournisseurs, après la révision l’année dernière du cahier des charges, sécurisera les approvisionnements.»
Il précisera dans ce sillage que l’Algérie qui, faut-il le noter, a vu sa production céréalière baisser de plus de 34% l’année dernière pour atteindre 40 millions de quintaux, importe notamment de la Lituanie, l’Estonie, les Etats-Unis et le Canada. Ce que nous confirmera un cadre de l’Office interprofessionnel des céréales (OAIC) qui nous dira : «Les navires proviennent de plusieurs pays.»
Cela dit, le suivi de la situation est de mise. Le représentant du ministère de l’Agriculture a justement annoncé l’installation d’un comité de veille au niveau de l’Office pour suivre l’évolution du marché à l’échelle mondiale. La veille, c’est-à-dire le 26 février, l’Office avait également joué l’assurance, soulignant que l’Algérie a adopté une politique de diversification de ses partenaires commerciaux pour l’approvisionnement en blé tendre à la faveur du nouveau cahier des charges qui ouvre la porte à la concurrence pour plusieurs fournisseurs étrangers. L’Algérie s’approvisionne en blé, notamment, auprès de 20 pays. Ce qui lui donne, selon les analystes, plus de marge de manœuvre avec un faible impact sur les quantités à importer mais influera plutôt sur les prix.
Une alerte qui appelle à prendre des mesures
Rappelons dans ce cadre qu’en décembre dernier, suite à un appel d’offres, l’Algérie avait acheté entre 690 000 et 700 000 tonnes de blé meunier, pour expéditions en trois périodes échelonnées du 16 janvier au 28 février 2022 et pour des prix allant de 372 à 376 dollars la tonne (coût et fret), selon le site terre-net. Et ce, en attendant d’autres opérations dans lesquelles l’Algérie risque d’être concurrencée par l’Egypte, premier importateur de blé en Afrique (disposant actuellement de six mois de stocks). Ce pays a annoncé hier sa décision de changer de partenaires commerciaux en se séparant de la Russie et de l’Ukraine, ses principaux fournisseurs jusque-là.
Il est à noter, par ailleurs, que l’Algérie est considérée deuxième consommateur africain de la céréale derrière l’Egypte. C’est aussi le cinquième importateur mondial de la céréale sous toutes ses formes derrière l’Egypte, la Chine, l’Indonésie et la Turquie.
Avec une consommation croissante, en particulier de blé tendre, les achats de la céréale ont atteint 1,6 milliard de dollars en 2020, soit 20% de la facture totale des importations alimentaires du pays. Une facture qui s’annonce en augmentation. «Même si l’impact sur les approvisionnements de l’Algérie en blé tendre sera limité, les prix vont augmenter, surtout avec les perturbations des chaînes d’approvisionnement et la hausse des coûts de transport», nous explique Arezki Mekliche.
La FAO avait d’ailleurs avisé en novembre 2021 : «Si des itinéraires de transport critiques étaient perturbés par un choc, le coût de l’alimentation pourrait augmenter pour 845 millions de personnes.» D’où l’urgence de prendre au sérieux cette énième alerte et mettre en place les mécanismes adéquats pour améliorer les rendements. «La situation actuelle nous appelle à nous préparer à d’autres crises. Le potentiel y est», nous dit Arezki Mekliche.
Le spécialiste insiste, dans ce sillage, sur l’adoption d’une stratégie basée sur de nouvelles technologies, les aides financières et surtout sur la libération des initiatives.