Les mesures de confiance, seules garantes de la crédibilité du dialogue annoncé

11/05/2022 mis à jour: 06:58
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Les médias viennent de faire part de la volonté du président Abdelmadjid Tebboune de proposer une action politique inscrite dans un esprit de rassemblement national pour répondre à une pressante demande interne et aux nouvelles exigences de la conjoncture internationale. 

La société dans ses composantes civile et politique a toujours montré son aptitude au compromis et sa disposition à accompagner tout effort pour sortir du statu quo mais le pouvoir politique s’était toujours enferré dans sa logique de rapports de forces. 

Cette attitude a d’ailleurs fragilisé l’Etat et a failli provoquer son effondrement redouté par les patriotes, attendu par les aventuriers au sein et en dehors du pouvoir et souhaité par des acteurs hostiles à l’Algérie. Ce risque n’est pas totalement écarté et valide, à lui seul, toute initiative de dialogue et de concertation – quelle qu’en soit l’origine – entre le pouvoir exécutif et la représentation politique et sociale et économique. 

La question qui se pose de façon récurrente est celle de savoir comment établir des mesures de confiance de nature à rendre possible et concrète la volonté de rassemblement exprimée dans le discours politique et comment la décliner de façon concrète dans la vie politique quotidienne, d’autant que les contours de l’offre indirecte du chef de l’Etat gagneraient à être explicités pour que cette initiative soit comprise et entendue. 

A ce stade et sans préjuger du fond de cette démarche, il est nécessaire de réunir certaines conditions politiques. Les plus urgentes sont liées aux questions du libre exercice de la politique par les partis politiques, les syndicats, le mouvement associatif et la société civile dans son ensemble, car l’on ne peut valablement et sérieusement envisager un intérêt politique pour le dialogue sans le règlement de la question des entraves à l’exercice de l’action politique partisane et sans lever les limites à l’exercice du droit constitutionnel à une information objective, libre et responsable . 

Il est par ailleurs regrettable d’observer la persistance de multiples formes de pression de l’administration dans la vie politique, ce qui a pour effet d’altérer le climat politique et de le mettre en contradiction avec les engagements du chef de l’Etat. A l’évidence, nous n’avons pas tiré les leçons du passé, car cet état de fait ne sert ni l’administration qui doit veiller à préserver ses liens avec la société et dont les missions doivent être contrôlées par le juge, ni le président de la République qui, in fine, reste politiquement le premier responsable du fonctionnement des institutions de l’Etat. 

La prochaine célébration du 60e anniversaire de l’indépendance peut aussi constituer un rendez-vous avec l’histoire pour parachever la libération de la terre par celle des hommes et une opportunité pour protéger les libertés individuelles et collectives et se réconcilier avec notre histoire de pays d’hommes libres. Seul le président de la République peut décider de cette nouvelle mesure d’élargissement. 

Il prendra le risque, tout comme ceux de ses prédécesseurs qui ont engagé des réformes politiques audacieuses, de ne pas être pleinement accompagné par une administration tentaculaire, qui a fini par se substituer à l’Etat, se nourrit de ses propres peurs et résiste encore à toute forme de changement pour garder des positions de rente. 

Dans cet esprit, il est aussi attendu de l’Etat qu’il s’engage dans la promotion de la liberté d’expression et la mise en place d’un système national d’information moderne et performant au service de la société dans sa diversité. 

En l’état, il n’est en mesure ni d’accompagner un projet politique national rénové ni de prémunir l’Algérie des interférences de la sphère des réseaux sociaux mondialisés, dont les effets incontrôlés échappent parfois même aux pays les plus avancés et altèrent la souveraineté des pays les moins avancés comme le nôtre. Notre pays a besoin de médias crédibles et de qualité évoluant dans un climat de liberté et de transparence pour accompagner un projet politique national porté par la justice, l’égalité en droits et en devoirs et la prospérité partagée et convaincre une opinion publique nationale majoritairement jeune, exigeante car éduquée et servie par une offre mondiale conséquente.

Il est par ailleurs difficile d’envisager une adhésion à l’offre de rassemblement faite par le chef de l’Etat sans une volonté déclarée et un engagement concret en faveur du contrôle populaire des richesses nationales qui reste au centre des préoccupations des Algériens qui ont assisté à une privatisation systématique et organisée du bien public. 

L’absence d’un véritable contrôle législatif et judiciaire a encouragé la mauvaise gouvernance et la généralisation de la corruption qui ont à leur tour impacté la qualité de vie des Algériens favorisant ainsi l’exode des élites et le phénomène des harraga, comme elles ont ralenti le dynamisme d’une économie qui remplit pourtant tous les critères de puissance, fait baisser le niveau de l’éducation et de la qualité des soins de santé publique et fortement altéré l’environnement politique.

Le modèle algérien de développement, s’il est historiquement social, ne doit pas faire l’économie de la rigueur, de la rationalité et de la compétitivité pour assurer sa pérennité et réduire les inégalités sociales. Il ne doit pas être porté par une charge idéologique ni défini par des bureaucrates, mais émerger d’un pacte national entre tous les opérateurs du monde économique et social. 

Les pouvoirs publics conserveront naturellement le pouvoir régalien de la régulation et du contrôle et sont tenus de mettre en place les conditions de la production de la richesse nationale, dont la plus forte concentration reste d’ailleurs dans le système financier informel. 

Le chef de l’Etat , garant de la stabilité du pays, a un rôle primordial à jouer dans la recherche, l’animation et la mise en place de ce pacte économique de justice sociale et de redistribution de la richesse, car la société algérienne aura du mal à supporter les effets d’une crise mondiale dont les premières conséquences ont vu un renchérissement de 25 à 30% des produits de large consommation et dont l’issue est plus qu’ incertaine.

Une large concertation participera à la régénération du débat pour aboutir à la plus large adhésion possible et à un large consensus autour des mesures à adopter dans cette conjoncture de désordre mondial. En Algérie, comme ailleurs, tout le monde attend tout de l’Etat en situation de crise et la société ne s’implique pleinement que lorsqu’elle a le sentiment d’avoir été impliquée et sa voix entendue. 

Enfin, la concertation et le dialogue avec les acteurs politiques, le monde académique et des médias pour échanger, partager les lectures du monde actuel et surtout déterminer et partager la ligne de conduite qui répond le mieux aux intérêts de l’Algérie. 

Le monde est de plus en plus complexe en raison de l’accélération déroutante de l’histoire, du retour des rapports de force géostratégiques, de la marginalisation des acteurs institutionnels, comme l’ONU, la multiplication de diplomaties parallèles et de l’obsolescence des lectures idéologiques et celles issues de la Deuxième Guerre mondiale. 

Les perceptions idéologiques du monde sont encore dominantes au sein de la société et chez les élites algériennes. Le monde à venir sera celui des guerres d’influence, du big data, de l’innovation et des alliances stratégiques. Le président de la République, qui incarne constitutionnellement la défense des intérêts diplomatiques de l’Algérie, dispose à ce titre des pouvoirs et des outils pour agir sur la formation, la préservation et la consolidation d’un consensus national sur les questions de politique étrangère et de défense nationale. 

La garantie d’une cohésion nationale dépendra pour une grande part du traitement qui sera fait de ces questions en raison de notre faible souveraineté industrielle, des ingérences étrangères multiformes et des effets collatéraux du positionnement de notre pays dans ce monde en mouvement. Notre pays reste des plus hermétiques au monde, car victime de l’image qu’il se projette de lui-même et a même réussi à élever un ostracisme décalé à un rang de modèle de société. 

Même si l’histoire et la géographie ont mis l’Algérie aux confluences de toutes les cultures, les religions et les richesses du monde, la grandeur ne peut être atteinte que par la libre adhésion du citoyen à un projet national fondé sur la justice et la liberté.

 Il est vrai que la mission du chef de l’Etat n’est pas aisée, tant la tradition de dialogue fait défaut dans la vie politique de la nation, mais la réalisation d’un destin commun passe inéluctablement par la recherche des valeurs de la concertation permanente et des vertus du respect mutuel. 

Par Abdelaziz Rahabi, 
Homme politique

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