Les limites des incitations fiscales et douanières : Pour une politique d’investissement plus efficace en Algérie

20/11/2024 mis à jour: 07:19
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L’octroi répété d’incitations fiscales et douanières (IFD) affaiblit le recouvrement des recettes budgétaires en Algérie, sans pour autant générer les bénéfices macroéconomiques attendus en termes de croissance, de diversification des exportations et de création d’emplois. Entre 2014 et 2024, la part des recettes fiscales par rapport au PIB diminuait, passant de 12,2% à 11,2%, bien en deçà du potentiel estimé à 15% (40% pour un pays avancé). Ce niveau de 11,2% reste faible, même comparé à des pays ayant une structure économique similaire. 

Trois facteurs principaux expliquent cette situation, y compris une politique fiscale inadéquate (en termes de taux et d’assiette), une gouvernance défaillante au niveau des administrations fiscales et douanières et surtout l’octroi massif et mal ciblé d’IFD qui affecte à la fois la base imposable (exonérations, abattements et déductions) et les taux d’imposition (taux réduits et/ou crédits d’impôt). Bien que leur montant ait fortement diminué grâce à une rationalisation récente des régimes d’incitation et un meilleur ciblage (passant de $12,4 milliards en 2014 à $4,7 milliards en 2025), les IFD continuent toutefois d’être octroyées sans un suivi rigoureux de leur usage et en l’absence de coordination entre les multiples organismes chargés du contrôle. De plus, elles sont attribuées en dehors d’une stratégie de mobilisation des recettes publiques, ni d’ailleurs de stratégie de restauration de la viabilité des finances publiques. La perpétuation des IFD est désormais un fardeau sur les finances publiques, les contribuables et l’économie du pays sans pour autant aider ce dernier à relever les défis économiques et sociaux, tant au niveau national qu’international. L’Algérie a besoin d’une nouvelle politique globale d’investissement. Discutons de ces points.

Les IFD ne suffisent plus à elles seules à attirer les investissements, en particulier dans les pays en développement. Dans les années 1960, les pays nouvellement indépendants comptaient attirer les capitaux étrangers pour financer leur développement à travers des IFD et des zones franches. Cependant, à la fin des années 1990 et au début des années 2000, ces seules mesures ont montré leurs limites. Elles n’ont pas produit les résultats attendus en termes de croissance et d’emplois et avaient de plus affaibli les bases fiscales des pays. Ce qui avait incité de nombreux gouvernements à réévaluer leur efficacité et à innover. 

Aujourd’hui, les investisseurs et les pays d’accueil privilégient des critères plus durables : la qualité des infrastructures, une main-d’œuvre qualifiée, un marché vaste, une stabilité politique et une gestion budgétaire rigoureuse. De nombreuses études internationales ont conclu à l’inefficacité des IFD et souligné par contre les rôles déterminants de facteurs un environnement des affaires stable, une réglementation claire, une stabilité fiscale et une situation politique sécurisée. De plus, la compétitivité des coûts et des infrastructures sont désormais cruciales. Ainsi, l’attractivité des investissements repose davantage sur la solidité des fondamentaux économiques, bien plus que sur des IFD temporaires sans relation majeure avec l’acte d’investissement externe.

Faute d’accès au marché financier international et de disposer d’une attractivité établie, les pays en développement ont adapté leurs politiques d’investissement dans un contexte de forte concurrence internationale. Du fait des faiblesses inhérentes à leurs régimes d’IFD (inefficaces, peu transparents, mal gérés et axés sur des exonérations fiscales et des taux préférentiels), de nombreux pays en développement avaient finalement conclu que ces derniers attiraient peu d’investisseurs, affaiblissaient leurs bases de recettes, créaient des distorsions économiques et favorisaient parfois la corruption. 

Pour réhabiliter l’acte d’investissement externe dans un contexte de mobilisation des recettes fiscales et de viabilité budgétaire, plusieurs pays ont ainsi rénové et renforcé les cadres de gestion des IFD en les basant sur les principes d’efficacité, d’équité et de transparence avec : (1) des objectifs réduits et clairs (attirer des investissements, encourager les exportations, soutenir l’industrialisation et répondre aux enjeux sociaux et environnementaux) ; (2) un meilleur ciblage des investissements en termes d’espace (zones économiques spéciales), de la nature et taille des activités (PME, projets à impact social) et de secteur d’activité (industrie, agriculture, TIC, énergies renouvelables) ; et (3) un impératif de développement régional équilibré pour réduire les inégalités, créer des emplois et protéger l’environnement. A l’instar de nombreux pays, l’Algérie a entamé un travail de rationalisation dans ce domaine. Toutefois, faute d’une vision à moyen et long terme et d’une approche globale, des efforts complémentaires sont nécessaires pour mettre en place une politique d’investissement plus ambitieuse et plus portante en appui du développement économique et social du pays.


L’Algérie dispose d’une série de régimes incitatifs visant des objectifs multiples en matière de politique d’investissement. Au cœur du dispositif de promotion de l’investissement se trouve l’Agence Algérienne de Promotion de l’Investissement (AAPI) placée d’ailleurs sous la tutelle du Premier ministre. Son rôle est de booster l’investissement domestique et international en appui d’une croissance inclusive et d’un élargissement de la gamme des activités économiques hors pétrole. L’AAPI joue un rôle pro actif dans sa fonction d’accompagnement des investisseurs. Elle s’appuie sur une approche structurée et trois principaux régimes d’incitations fiscales et douanières (IFD) : (1) le régime des secteurs prioritaires : qui vise à encourager les investissements dans des secteurs stratégiques (industries extractives, agriculture, aquaculture et pêche, industrie, services et tourisme, énergies nouvelles et renouvelables, économie de la connaissance et technologies de l’information et de la communication) ; (2) le régime des zones prioritaires : qui cible les investissements dans des localités relevant des priorités de l’Etat (Hauts-Plateaux, Sud et Grand Sud ; zones demandant un soutien spécifique pour leur développement ; et régions disposant de ressources naturelles à valoriser) ; et (3) le régime des investissements structurants : pour favoriser les projets ayant un impact majeur sur le développement économique et durable et qui visent la création d’au moins 500 emplois et dont le montant d’investissement est supérieur ou égal à 10 milliards de dinars.

Les IDF bénéficient également : (1) aux start-ups par le biais d’un régime spécifique pour soutenir leur croissance et favoriser l’innovation et l’entreprenariat ; (2) à la consommation de produits de première nécessité (le pain, le lait et certains carburants, ainsi que certains équipements nécessaires à la production de biens de consommation essentiels) si besoin est, grâce à des réductions de TVA dans les lois de finances; et (3) au commerce extérieur à travers des exorations douanières ciblant l’Accord d’Association avec l’Union Européenne et la Grande Zone Arabe de Libre-échange ainsi que la convention bilatérale avec la Tunisie, 


La poursuite de la politique actuelle des IFD n’apportera aucun changement macroéconomique notable en 2025. Pourquoi ? elle manque de cohérence et reste un élément-clé d’une politique d’investissement qu’il faut repenser en totalité. Le montant total des IFD devrait atteindre $4,7 milliards (par rapport aux $12,4 milliards enregistrés en 2014), une baisse favorisée par une rationalisation progressive des dispositifs en place. De ce total, les avantages fiscaux au domaine national représentent $0,2 milliard tandis que les exonérations douanières et fiscales sont estimées à $3,6 milliards et $0,8 milliard, respectivement. Par ailleurs, la politique d’investissement appuyée par ces IFD est incohérente et coûteuse. Ainsi :

Les IFD prévues pour 2025 dépassent les recettes budgétées de droits de douane, estimées à 3,1 milliards de dollars. Par rapport aux importations totales de 2025 ($46,1 milliards), le taux effectif de recouvrement douanier serait limité à 6,5%. Cette faiblesse, accentuée par des exonérations massives, constitue un frein majeur au développement économique. Une perte de recettes importante sans contrepartie économique.

L’effort de mobilisation des recettes fiscales pour 2025 et le moyen terme reste très insuffisant alors que les dépenses restent élevées. En 2025, sur 4157 milliards de dinars de recettes fiscales prévues, la majorité (3908 milliards de dinars) proviendra de la croissance économique, tandis que les 93 mesures fiscales proposées n’ajouteront que 249 milliards de dinars (0,65% du PIB). La structure fiscale reste toujours déséquilibrée et inefficiente, dominée par les impôts sur les revenus (46,8%), suivis des prélèvements sur la consommation (35,4%) et des taxes douanières (9,8%). 

À l’horizon 2027, la part des recettes fiscales dans le PIB n’augmenterait que légèrement, passant de 10,7% en 2024 à 11,5%. Une hausse annuelle moyenne de 333 milliards de dinars des recettes fiscales est prévue, principalement grâce à la croissance économique (68%) avec seulement 100 milliards de dinars par an issus de nouvelles mesures fiscales. Parallèlement, les dépenses budgétaires devraient passer de 42,9% du PIB en 2024 à 41,5% en 2027, une réduction modeste attribuable à la hausse du PIB. Les finances publiques sont plus que jamais insoutenables.

Les IFD sont octroyées sans véritable stratégie de mobilisation des recettes budgétaires et de reprise du contrôle des finances publiques. De 2014 à 2024, environ 3000 milliards de dinars d’incitations fiscales et douanières ont été octroyées, dont la moitié pour soutenir les investissements. Pourtant, la croissance hors hydrocarbures est restée faible, avec une moyenne de 4,4% entre 2000 et 2020, 3,6% entre 2021 et 2024 et une projection de 3,2% en 2025. De tels niveaux de croissance freinent la progression des recettes fiscales, qui ne passeraient que de 10,7% à 11,5% du PIB en 2027 (en dessous du seuil optimal de 15 % du PIB). Parallèlement, les exportations hors hydrocarbures stagnent autour de $3,5 milliards. Les IFD ne sont pas le bon outil et des réformes structurelles profondes sont incontournables.  

Le cadre institutionnel des IFD est inadéquat. En raison du manque de transparence sur les montants des IFD et leur utilisation, de la multiplicité des objectifs, d’un contrôle et suivi insuffisants et de l’absence de coordination entre les institutions en charge du suivi. Pat ailleurs, très peu d’études existent sur leurs impacts ce qui permettrait de recalibrer le système des IFD si besoin en est. Cela entraîne des abus, des exonérations injustifiées et un coût administratif élevé (multiple de 8 pour 1 par rapport à des standards internationaux de 1,5 -2 pour 1).

Besoins d’investissements externes et nouvelle stratégie de mobilisation de l’épargne étrangère. Les investissements externes sont essentiels pour l’Algérie si elle souhaite diversifier son économie, introduire de nouvelles pratiques managériales, promouvoir la concurrence et couvrir des besoins de financement à moyen terme estimés à $60 milliards pour 2026-2028. Ces financements proviendront principalement de prêts projets, d’appuis à la balance des paiements et d’investissements étrangers. Bien que des réformes importantes soient déjà en place (abolition de la règle 51/49, nouvelles lois sur les hydrocarbures et l’investissement, nouvelle loi bancaire et monétaire), une nouvelle stratégie cohérente de mobilisation de l’épargne étrangère reste incontournable. Cette stratégie doit viser l’intégration aux chaînes de valeur régionales (la forme la moins couteuse d’intégration à l’économie mondiale) et la promotion du développement durable, attractif pour les grands investisseurs.

Contrairement aux idées reçues, ces derniers ne sont nullement motivés par des incitations fiscales, mais par des critères fondamentaux, notamment : (1) la stabilité fiscale (avec des taux et des bases d’imposition prévisibles à moyen et long terme) ; (2) la stabilité macroéconomique ou  à défaut, un plan de stabilisation crédible ; (3) une stratégie de financement des investissements accompagnée d’une stratégie d’endettement claire impliquant une gestion prudente de la dette publique et un usage productif de la dette pour créer de la richesse et non financer la consommation ; (4) un programme de réformes macroéconomiques pour intéresser les partenaires éventuels; (5) la mise en place d’outils de pilotage de l’économie et la production et dissémination de données statistiques diverses à échéance régulière ; (6) la mise en place d’une politique industrielle  pour renforcer la compétitivité des entreprises à l’exportation, améliorer la spécialisation de l’économie nationale sur le marché mondial et guider les investissements vers les secteurs ciblés par le pays, notamment les infrastructures, les énergies renouvelables, les services financiers, les services liés aux technologies de l’information et de la communication (où les valeurs ajoutées sont très élevées) et le transport aérien ; (7) une ouverture commerciale accrue et intégration au système financier international pour renforcer les performances économiques du pays ; et (8) des projets attractifs dans des secteurs porteurs mentionnes ci-dessus.  Les projets solides dans ces secteurs attirent naturellement des financements. Enfin, pour répondre aux éventuelles préoccupations liées au contrôle national, un organisme dédié pourrait superviser les investissements étrangers et garantir qu’ils s’alignent avec les objectifs stratégiques du pays.


 Par Abderahmi Bessaha , Expert international

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