Les effets pervers des Accords d’Oslo (1re partie)

15/01/2024 mis à jour: 09:39
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Après tant d’efforts déployés et tant de sacrifices consentis par le peuple palestinien depuis la «Nekba», la création en 1948 de l’Etat d’Israël et l’expulsion des Palestiniens de leurs foyers, l’OLP devait faire preuve de rigueur pour éviter toute démarche hasardeuse qui viendrait hypothéquer ces efforts et sacrifices. 

On verra dans le développement qui suit qu’en abolissant de sa Charte la clause de la lutte armée dès son engagement dans le processus de paix en 1991 sans aucune réserve garantissant le succès de ce processus, l’OLP, pensons-nous, a commis une erreur stratégique aliénant les efforts et sacrifices évoqués. 

Induits par les conjonctures régionale et internationale, les pressions exercées sur les Palestiniens ont fini par les amener à rejoindre le camp des accords de paix, abandonnant ainsi la lutte armée comme moyen de libérer les territoires occupés.

C’est ainsi que se tint du 30 octobre au 3 novembre, sous la présidence conjointe des USA et de l’URSS, la Conférence de Madrid mettant face à face deux commissions de travail séparées, l’une entre représentants palestiniens et israéliens, et l’autre regroupant Israéliens et délégués de pays arabes. Cette conférence a servi d’amorce à l’étape suivante où des décisions seront prises : la Conférence d’Oslo (Capitale de Norvège), plus connue sous l’appellation «Accords d’Oslo».
 

Cette conférence s’ouvrit le 3 septembre 1993 à Washington. Elle prend le nom d’ «Oslo» par référence aux contacts secrets qui eurent lieu dans cette capitale. Découlant du processus de paix initié par les Accords de Madrid, les Accords d’Oslo stipulent la reconnaissance mutuelle entre Israël et l’OLP et «l’institution d’une paix durable dans la région». En vertu de ces accords, l’OLP s’oblige à abolir de sa Charte la clause de lutte armée et à œuvrer, aux côtés d’Israël, à «combattre toutes formes de violence» (résistance, sous-entendue). 

Le texte fixe une période transitoire de cinq (05) ans au plus, amenant au «statut final» des territoires occupés par voie de négociation. 

Or depuis 1998, fin de la période transitoire, non seulement on assiste au blocage du dialogue entre Palestiniens et Israéliens à cause des manœuvres dilatoires et systématiques de Tel-Aviv, mais aussi on déplore le rétrécissement comme une peau de chagrin des territoires de Cisjordanie devant revenir aux Palestiniens, mise à part la poche de Ramallah où s’est installée l’Autorité palestinienne et la Bande de Ghaza, déjà pénalisées d’ailleurs par l’éloignement l’une de l’autre. 

Ceci dit, la Cisjordanie s’assèche chaque jour du fait de l’installation effrénée de colonies juives, amenant les Zones B et C de ce territoire à être, dans un avenir proche, majoritairement colonisées, ne restant aux Palestiniens que quelques poches éparses, loin d’avoir le caractère homogène requis pour un Etat viable. 
 

Au morcellement constant de la Cisjordanie s’ajoute, au malheur des Palestiniens, le blocus criminel imposé depuis 2007 par Tel-Aviv à la Bande de Ghaza, aggravé par quatre guerres dévastatrices frappant ce territoire dont la dernière est celle d’octobre 2023 qui se poursuit à l’écriture de ces lignes. 

Aux crimes abominables commis par les Israéliens dans ces guerres s’ajoutent, le soutien inconditionnel des Etats-Unis d’Amérique à Tel-Aviv, les divergences interpalestiniennes nées des Accords d’Oslo, la position timorée, voire désengagée de la Ligue arabe et la course vers la normalisation avec Israël de certains pays arabes dont le nombre ne cesse, hélas, d’augmenter. Ce sont tous ces facteurs qui constituent les effets pervers des Accords d’Oslo.
 

1 – Effets pervers intrinsèques aux Accords

Depuis la conclusion des Accords d’Oslo, cinq (05) accords postérieurs ont été négociés et renégociés sans résultat du fait de la mauvaise foi des Israéliens qui, systématiquement, font échouer les négociations, invoquant chaque fois de nouvelles conditions aussi contraignantes pour les Palestiniens qu’étrangères à l’esprit d’Oslo. Au 11 juillet 2000, date de la Conférence de Camp David, l’Autorité palestinienne n’a acquis le contrôle réel que sur moins de 70% de la Bande de Gaza (360 km2), 13,1% de la Cisjordanie (5673 km2) et rien de Jérusalem-Est, soit au total 20% des territoires occupés en 1967 par Israël. 

Ces territoires sous contrôle de l’Autorité palestinienne ne représentent, selon les sources palestiniennes, que 08% de la surface totale de la Palestine d’avant 1948. De plus, la Cisjordanie est, conformément aux Accords d’Oslo, divisée en trois (03) zones obéissant chacune à un statut particulier : la Zone A sous contrôle palestinien, la Zone B où la sécurité reste entre les mains des Israéliens et la Zone C entièrement sous contrôle israélien. Un véritable bantoustan. Rester immobilisé dans ce zonage 25 ans durant (à novembre 2023) après expiration de la période transitoire des cinq ans sans que les contraintes sécuritaires ne soient levées, c’est perpétuer la situation d’occupation, privant les Palestiniens de la jouissance des territoires auxquels ils aspirent. 
 

Force donc est de remarquer que les négociateurs palestiniens aux Accords D’Oslo devaient, connaissant la déloyauté, voire la traîtrise des Israéliens, exiger qu’obéisse l’après-période transitoire non pas à un statut contractuel (par voie de négociations) mais à un statut légal découlant des résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité de l’ONU. 

Là, au moins, l’intégralité des territoires occupés est défendable puisque le texte français de la résolution 242 parle «… du retrait des troupes des territoires qu’elles occupent…», non «… de territoires qu’elles occupent…» comme le soutiennent les Israéliens, selon le texte anglais, c’est-à-dire le retrait de certains territoires à leur choix, à leur bon vouloir. En un mot, ils veulent transformer l’obligation en simple opportunité. Quant aux colonies implantées dans les territoires occupés, les négociateurs palestiniens devaient insister sur la fixation par les Accords d’un délai-limite au-delà duquel elles seraient démontées.
 

Il est donc clair que négocier à l’état actuel des accords, en dehors de toute garantie à même de supprimer les colonies implantées dans la Zone B et de rendre palestinienne toute la Zone C, est une entreprise tout à fait aléatoire. Par ailleurs, le texte souffre d’absence d’organe de surveillance neutre qui serait chargé de veiller à l’observance des délais fixés. Ceci dit, les négociateurs palestiniens auraient dû se montrer plus vigilants en exigeant des garanties au transfert de souveraineté au lieu d’acquiescer à ce texte piégé, les Accords d’Oslo, véritable contrat d’adhésion. 

Il fallait donc s’entourer de juristes constitutionnalistes, nombreux dans les pays arabes, entre autres l’Algérie, et disponibles en dehors de ces pays. Ils se seraient attachés à trouver une parade aux dispositions du texte lésant les intérêts palestiniens de sorte que ce texte n’aliène pas les droits fondamentaux des Palestiniens.

2 – Effets pervers dus à la conjoncture
2.1 – Actions belliqueuses d’Israël
2.1.1 – Poursuites des agressions israéliennes
 

Israël inaugurait en décembre 2008 ses attaques de grande envergure contre la Bande de Ghaza au motif de punir le gouvernement de Hamas, jugé «terroriste» par les autorités sionistes pour ses positions hostiles aux Accords d’Oslo. Israël a mis en œuvre dans cette attaque les trois (03) armes qui, 23 jours durant, frappaient sans répit les agglomérations et les infrastructures ghazaouies. Le bilan s’élevait à 1400 morts et 8000 blessés.
 

Israël récidiva en mars 2012 en lançant sa seconde agression contre l’enclave, larguant 1000 t d’explosifs qui firent 200 morts et 1500 blessés. En juillet 2014, il commit sa troisième agression contre Ghaza, faisant, durant 50 jours de carnage, 2230 morts, 11 000 blessés, 475 000 personnes déplacées et 4762 sites touchés. C’est à ce titre que le Professeur Mustapha Khiati, président de la Forem, a qualifié ces guerres de «crimes de guerre» et de «crimes contre l’humanité».
 

Cette qualification sied parfaitement à la guerre d’extermination que mène Israël depuis le début de la deuxième semaine d’octobre 2023 à ce jour, suite à l’opération audacieuse «Déluge d’Al Aqsa» exécutée le 7 octobre 2023 par les éléments des Brigades Azzedine Al Qassam relevant du mouvement Hamas. 

Frappant des sites militaires au cœur d’Israël, faisant des morts, des blessés et des dizaines de militaires prisonniers, cette attaque-éclair est, sur le plan militaire, un succès par l’effet de surprise qu’elle a créé et par la remarquable organisation avec laquelle elle s’est déroulée et, sur le plan politique, une réponse adéquate au cynisme des autorités sionistes qui poursuivent crescendo la répression des Palestiniens en Cisjordanie et à Jérusalem-Est où on note, seulement depuis le début de l’année 2023 à ce jour, des centaines de morts et de blessés, des dizaines de maisons détruites et plus d’un millier de personnes arrêtées. 

S’ajoute à cela la profanation des Lieux Saints, en commençant par l’envahissement répété de la Mosquée d’Al Aqsa et les agressions sauvages contre les fidèles à l’intérieur de la Mosquée même, d’où les colons, appuyés et guidés par l’armée et la police sionistes, ont commis l’acte barbare d’expulser manu militari les fidèles de la salle de prière. Ainsi est atteint le seuil de l’intolérance et le rubican franchi. Cela explique les raisons qui ont poussé les Brigades Al Qassam à l’acte, surtout devant l’attitude timorée, voire désintéressée de la Ligue arabe et le silence honteux des instances internationales. 

Israël réagit le lendemain de l’attaque palestinienne de Hamas, dévoilant le champ de sa riposte qui dépasse tout objectif de légitime défense. Il s’agit en fait de la destruction complète de la Bande de Ghaza sous couvert de ce que les Israéliens appellent «l’anéantissement de Hamas». 

La méthode utilisée est la guerre totale en mettant en œuvre les trois armes : armée de terre, aviation et marine, contre un peuple désarmé et frappé déjà par l’abominable blocus imposé depuis 2007 par Tel-Aviv, pénalisant gravement plus de 2,2 millions d’habitants de l’enclave qui vivent principalement de l’aide de l’UNRWA. Ainsi depuis le 8 octobre 2023, Ghaza est soumise quotidiennement à des attaques aveugles de l’aviation et, par intermittence, aux tirs de l’artillerie et des navires de guerre. 

Ces attaques ont fait des milliers de victimes, détruit des milliers d’immeubles, paralysé les services publics en particulier les hôpitaux suite aux coupures d’eau, de gaz et d’électricité ainsi que l’internet sur Ghaza. En un mot, ce territoire est devenu un vaste champ de ruines qui, au vu des gigantesques cratères provoqués par les bombes à pénétration GBU et les missiles de dernier cri livrés par les Etats-Unis, donne un visage apocalyptique dépassant de loin celui provoqué par un fort séisme. 

Ce qui se passe à Ghaza n’est pas une guerre, mais un véritable carnage, un génocide à ciel ouvert commis par une bande de criminels qui déversent leur haine contre les civils palestiniens : femmes, enfants, personnes âgées et malades, foulant aux pieds les lois de la guerre. Bien plus, ils sont dépourvus de tout sentiment d’humanité ; ils qualifient les Palestiniens de Ghaza d’«animaux qu’il faut traiter comme des animaux», mais, erreur, ils se trompent, ce sont eux qui sont des infrahumains. 
 

Cette quatrième guerre contre Ghaza est particulièrement meurtrière et destructrice. Sur le plan humain, on déplore au 21 novembre 2023 plus de 14 150 morts, parmi lesquels plus de 5340 enfants et 3920 femmes, et plus de 33 000 blessés. On compte parmi les personnes tuées 205 membres de la santé, 104 agents de l’UNRWA et 62 journalistes. Quant aux disparus encore sous les décombres, ils sont plus de 6000. 

On relève aussi plus de 300 attaques aériennes qualifiées de «boucherie» par la presse où chacune des localités, d’An Nussayrate, Hay Ash Shati, Hay Az Zaytun, Rafah, Khan Younès et bien d’autres, compte en moyenne 119 morts. Sur le plan matériel, à la même date, 10 000 bâtiments, 43 000 maisons, 283 écoles, 76 mosquées et 3 églises ont été détruits. En outre, il y a eu 220 000 maisons et 192 mosquées endommagées. Les services ne sont pas épargnés. Outre les coupures d’eau, de gaz, d’électricité, d’internet, il y a eu presque 200 attaques aériennes contre les services de santé parmi lesquels 48 sont hors de service et plus de 25 ambulances détruites.
 

Les conséquences de cette guerre d’extermination ont obligé 80% des habitants de la ville de Ghaza, soit 1 700 000, à quitter leurs foyers, se réfugiant au sud de l’enclave, et bon nombre d’entre eux ont été pourchassés par l’aviation israélienne qui ne fait pas de distinction entre civil et combattant, entre homme valide et malade, femme et enfant. C’est à Ghaza où l’on assiste à l’un des génocides les plus monstrueux de l’Histoire.
 

La Cisjordanie n’est pas restée indemne des crimes sionistes. Dans le sillage de la guerre contre Ghaza, Israël accentue de plus belle sa répression contre les Palestiniens. On compte, au 21 novembre 2023, 206 tués depuis le 7 octobre, dont 27 à Jénine en 3 jours seulement. Par ailleurs, 3000 personnes ont été arrêtées depuis cette date ; ce qui porte le nombre à 11 000 depuis janvier 2023. 

Cette quatrième guerre contre Ghaza est la plus ravageuse en termes de puissance de bombardement estimée à 32 kilotonnes (32 000 t), dépassant de peu (2 t), le double de la bombe nucléaire larguée sur Hiroshima équivalente à 15 kt. Cette guerre l’est aussi quant à la fréquence de bombardements aériens qui se poursuivent jour et nuit depuis le 8 octobre 2023, ensevelissant les habitants innocents sous les toits et les murs de leurs propres maisons. 

C’est un crime de guerre contre lequel les gouvernements occidentaux n’ont prononcé aucune condamnation, se contentant, pour bon nombre d’entre eux, face au désastre causé à Ghaza, de moduler quelque peu leur langage pour des raisons tactiques afin d’échapper eux-mêmes à la condamnation du monde libre qui ne cesse de porter sa voix pour dénoncer l’injustice, le mépris, le parti pris et le traitement sélectif des droits de l’homme. 

Plus condamnable est la Ligue arabe restée timorée depuis plus d’un mois devant le génocide que connaît Ghaza, incapable de prendre les décisions qui s’imposent face à l’ogre sioniste qui aspire à asservir d’autres pays arabes en les embarquant dans les «Accords d’Abraham», pur produit américano-israélien élaboré en dehors des Palestiniens dont la cause est au cœur du problème du Proche-Orient, voire du Moyen-Orient entier.  

à suivre
 

 

Par Abdelhamid Zeroual , avocat

Ancien magistrat, ancien journaliste, auteur
E-mail : zeroualabdelhamid [email protected]

 

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