L’Algérie n’arrive toujours pas à libérer les deux navires de transport de marchandises, le Timgad et le Sedrata, immobilisés par les autorités belges à Anvers, le premier depuis novembre 2021 et le second depuis février dernier. Après un long séjour, la délégation officielle dépêchée pour débloquer la situation n’a pour l’instant rien obtenu. Des syndicalistes y voient une volonté de certaines parties de s’accaparer des navires. Ils interpellent les autorités pour une urgente intervention.
Déclaré depuis novembre 2021 en situation d’abandon, le navire Timgad, de la Compagnie publique de transport maritime de marchandise, Cnan-Nord est toujours immobilisé par les autorités belges, à Anvers, qui détiennent aussi le Sedrata depuis le mois de mars 2022. Après des hésitations et des retards incompréhensibles, les autorités ont fini par décider de lever les réserves émises par la puissante Fédération des travailleurs du transport maritime (IFT) et les autorités portuaires d’Anvers à l’origine de ces immobilisations.
Une délégation officielle s’est déplacée en Belgique, et après un long séjour, elle n’a toujours pas obtenu la libération des deux cargos. Et le risque de les perdre est omniprésent et doit interpeller les autorités. Contacté, le secrétaire général du syndicat de Cnan-Nord, Bensouna Khiri, affirme que tout a été fait, récemment, pour que les réserves techniques et celles liées au paiement des salaires des travailleurs soient levées. «Une caution de 8,4 millions de dollars a été déposée récemment, comme l’a exigé l’affréteur D-Shipp, le jour où il a immobilisé le navire sur décision du tribunal.
De même que les réserves émises par l’IFT, liées au paiement des salaires des marins embarqués ou en congé et qui ont été à l’origine de la mise en situation d’abandon du navire ont été levée, puisque les virements ont été effectués à tous les marins et la situation de ces derniers a été assainie. Bizarrement, à ce jour, rien n’a été fait. Il y a comme un acharnement à vouloir maintenir le navire qui appartient à l’Etat algérien, et donc n’est pas considéré comme un navire de complaisance, en état d’abandon. Pourquoi ? Nous ne le savons pas», explique le syndicaliste.
Même constat est fait pour le Sedrata. «Le navire a été immobilisé pour expiration de l’assurance mais aussi pour des prescriptions techniques relevées par les autorités portuaires. Un chantier a été retenu pour effectuer des réparations et des mises en conformité. Il attend juste une place pour être pris en charge.
Mais jusqu’à présent, il n’a pas eu le feu vert pour être libéré.» Notre interlocuteur craint que ces blocages «soient le fait d’une volonté délibérée de tierces personnes ou entités de maintenir les deux navires immobilisés pour les accaparer par la suite». Pour des cadres de la compagnie, la détention des deux navires n’est que la conséquence «d’une négociation hasardeuse» des chartes parties, souvent cousues à la taille de l’affréteur mais aussi d’une «gestion chaotique» de la flotte.
Il y a urgence et l’état se doit d’intervenir
Les nombreuses détentions ayant ciblé les cargos les plus importants de la compagnie ont souvent eu pour origine le non-respect de la réglementation liée au respect de la convention internationale des droits des travailleurs marins sur les navires, ratifiée par l’Algérie en 2006 ou les anomalies techniques constatées par les experts de sécurité maritime de l’Etat du port. Depuis 2021, les travailleurs de Cnan-Nord n’ont cessé d’alerter les autorités sur la gestion de la flotte, qui a vu sept de ses navires bloqués en France, en Espagne et en Belgique en quelques mois.
Aucune enquête n’a jusque-là mis la lumière sur les responsabilités dans de telles situations qui engendrent des préjudices énormes en termes financiers, mais aussi d’image de l’Etat à l’étranger. Il est vrai qu’après moult interventions, cinq navires ont été rapatriés, pour certains en état d’épaves.
Le Stidia et le Saoura sont orientés vers le cimetière des navires, le Tinzirène, occupant un poste au port de Béjaïa, harcelés par des mises en demeure pour libérer la place, alors que le Kherrata attend au quai 5 du même port, déjà occupé par d’anciens navires vendus au poids, et le Constantine abandonné au quai des minerais, à Annaba. Même constat pour Cnan-med, puisque les trois navires qu’elle possède sont à l’arrêt et certains, faute de pièces de rechange.
Le transport maritime de marchandises vit une sérieuse crise. Pourtant, depuis des années, les travailleurs du secteur et leurs syndicats n’ont pas cessé de tirer la sonnette d’alarme. Les derniers appels de détresse ont été lancés au mois de mars dernier, lorsque le Sedrata a été immobilisé au port d’Anvers, où 4 mois plus tôt le Timgad était bloqué par son affréteur. A l’époque, l’ex-ministre des Transports, Aissa Bekkai, avait reconnu une «mauvaise gestion des sociétés et l’absence de contrôle», qui, selon lui, «constituent les principales causes à l’origine de la saisie des navires marchands algériens dans certains ports européens en 2021».
Pour lui, la situation des trois navires saisis en France et en Espagne a été régularisée. L’ex-ministre a surpris en évoquant la régularisation du cas de Timgad également, en soulignant que «la saisie est due à une défaillance technique et à des raisons liées à la situation financière des sociétés qui n’ont pas pu maintenir les navires en état de navigabilité», ajoutant : «Aucun navire, non muni d’une autorisation de contrôle, ne sera autorisé à quitter les ports algériens» et qu’un «plan d’urgence a été mis en place pour relancer les sociétés commerciales propriétaire de ces navires et les rendre conformes aux standards internationaux». C’était sa dernière déclaration, avant d’être démis de ses fonctions le jour même, et la situation n’a point changé à ce jour.
Les négociateurs dépêchés pour assainir la situation du Timgad et du Sedrata et les sauver d’une éventuelle saisie n’ont vraisemblablement pas réussi. Après un long séjour, en Belgique, malgré tous les frais occasionnés pour la caution du Timgad, les travaux de réparation, le paiement des salaires et des indemnités des marins embarqués et en congé, rien ne se profile à l’horizon.
Cela n’augure rien de bon pour les navires. Il y a urgence et l’Etat se doit d’intervenir pour récupérer les derniers fleurons du transport maritime de marchandises, avant qu’ils ne lui filent entre les doigts.