Les défis de l'industrie cimentière : Comment exporter plus...

20/10/2024 mis à jour: 06:35
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Photo : D. R.

En témoignent les grands pas jusque-là franchis ; l'Algérie se classe première en Afrique et deuxième dans le bassin méditerranéen en termes de ventes à l’étranger de ciment et de clinker, d’après Business France Algérie.

Installer des broyeurs de clinker chez ses clients alors que ces derniers préfèrent acheter le produit fini, autrement dit, le ciment, cette solution pour laquelle ont opté les autorités nationales pour «bétonner» la place de l’Algérie sur le marché africain est, semble-t-il, loin de faire l’unanimité aussi bien chez les cimentiers publics que leurs pairs privés.

Avec un volume avoisinant 40 millions de tonnes (MT) de ciment annuellement produit pour des besoins se situant autour de 22 MT, c’est un excèdent exportable de 18 MT/an qui est dégagé par la vingtaine de cimenteries, publiques et privées, en plus d’une nouvelle usine de 01 MT, «au stade de projet» dans la wilaya d’El Bayadh (sud-ouest).

Si pour l’instant le marché de l’autre côté de la Méditerranée demeure, pour plus d’une raison dont et surtout la certification aux très strictes normes européennes, difficilement accessible, cet excèdent a de fortes chances de s’écouler aisément en Afrique. Pour y parvenir, «toutes les cimenteries étant situées à 50 et 400 km des ports, il suffit de doter ces infrastructures de la logistique nécessaire, comme les silos à ciment spécifiques au stockage tampon et de chargeur ship-loaders, tout en facilitant l’accès aux concessions portuaires au profit des opérateurs privés», s’accordent à préconiser des cimentiers privés contactés par notre rédaction.

A leurs yeux, «il y a une forte demande de ciment en Europe. Nous sommes  en mesure de nous positionner confortablement sur ce marché. Mais, nos concurrents visibles, tels que l’Egypte (50 MT), l’Arabie Saoudite (53MT) ou la Turquie (79MT), nous dépassent de loin en termes de logistique portuaire. Ils stockent plus que nous et la cadence de chargement est nettement supérieure à la nôtre».

A titre illustratif, argumentent-ils, «sur le continent, rien que pour le clinker, les capacités de chargement dans les ports algériens ne peuvent pas aller au-delà des 10 000 tonnes/jour. En Egypte, c’est pratiquement le double ; entre 18 000 et 20 000 t/j». 
Le marché américain est, par ailleurs, une autre piste à explorer pour booster les ventes de ciment algérien.

Avec 91 MT, les Etats-Unis occupent la 4e place mondiale, devancés par la Chine (2,1 milliards de tonnes) à la première, l’Inde (410 MT) à la 2e,  le Vietnam (110 MT) à la 3eplace et la Turquie avec 79 MT complétant le top 5 mondial, selon les derniers chiffres de l’Institut d’études géologiques des Etats-Unis : «Bien qu’ils comptent parmi les leaders mondiaux, l’élan qu’a connu la croissance de l’industrie cimentière US demeure  toutefois freiné par la fermeture ou la sous-utilisation de plusieurs usines, des interruptions de production liées à des modernisations ainsi que par des importations à bas prix, et ce, outre la réglementation qui y est moins tatillonne qu’en Europe.

Ce qui offre de fort prometteuses opportunités aux cimentiers algériens à l’export. La contrainte persistante à laquelle ils risquent de se heurter : les américains exigent des navires de pas moins de 40 000 tonnes. Les moyens logistiques portuaires nécessaires, c’est-à-dire les Ship-Loaders, faisant, malheureusement, cruellement défaut», déplorent nos sources.

Ces Ship-loaders qui tardent à venir

En effet, c’est depuis au moins deux ans, que ces grosses machines exclusivement dédiées au chargement en continu de matériaux solides en vrac tels que le minerai de fer, le charbon, les engrais, les grains et/ou les matériaux dans des sacs sur des vraquiers, sont attendues par les opérateurs économiques exportateurs : «En principe avant fin 2024, le pays doit réceptionner 3 Ship-loaders sur 5 déjà commandés auprès d’un constructeur chinois.

Ces 5 machines ; 2 destinées au port de Jijel et 1 pour chacun des ports d’Arzew, d’Annaba et de Skikda, devaient être livrées en 2022. Nous ne savons toujours pas à quoi est dû ce retard fort pénalisant et handicapant pour nous qui cherchons à exporter vers les marchés européen, américain, arabes ou autres», s’inquiètent les cimentiers, soulignant, au passage, l’existence d’une alternative immédiate à la contrainte de stockage portuaire : «L’utilisation et la rationalisation du rail peut aider à remédier au problème des silos de stockage tampon. Toutes les cimenteries sont pratiquement connectées à la voie ferrée.

Les trains chargés de ciment peuvent accéder directement aux quais portuaires pour charger de grandes capacités de ciments du wagon aux navires.  Ce type de wagons qui existaient auparavant (jusqu’à les années 2000, ont curieusement disparu». Sauf que, regrette-t-on, avec ironie, «à Annaba, par exemple, les autorités locales, en bons visionnaires», ont eu l’ingénieuse idée de supprimer la voie ferrée, qui était connectée à l’un des plus importants ports industriels du pays (plus de 2 millions de tonnes de phosphates, 6 MT de clinker et plus de 200 000 tonnes de laitiers sidérurgiques… à l’export) pour y créer un rondpoint et un terreplein central, ornés de d’imposants pots de plantes en fin de vie…»

Tarification carbone et enjeux

C’est dire qu’en l’absence de décisions courageuses et de stratégies plus audacieuses pour améliorer ses performances en termes de logistiques portuaires, l’Algérie risque de rester longtemps en marge de la bataille commerciale que se livrent, à l’international, ses concurrents immédiats ou lointains, arabes notamment : «Le secteur du ciment dans les pays arabes a considérablement évolué ces dernières années, non seulement pour répondre à la demande locale mais aussi pour générer un surplus destiné à l’exportation», se réjouissait, en janvier dernier, le président de l’Union arabe du ciment et des matériaux de construction. «Après l’eau, ce matériau, ingrédient clé du béton, est le deuxième produit le plus demandé au monde.

En 2030, la demande sur le marché européen, dominé par le suisse Holcim, le géant irlandais CRH, le groupe Titan (Grèce), des cimentiers italiens et portugais, pourrait franchir le seuil des 50 MT.  La hausse des couts énergétiques et de la tarification carbone est susceptible de pousser beaucoup d’usines à la fermeture ou à la baisse de leurs capacités de production», nous explique Lakhdar Mebarki, à la tête d’un Groupe spécialisé dans les matériaux de construction dont le ciment blanc.

Surtout avec l’entrée en vigueur, à partir de janvier 2026, du Mécanisme d’ajustement Carbone aux Frontières européennes (MACF), auquel devraient être soumises les importations, jugées les plus polluantes comme le ciment, le fer, l’acier, ou les engrais azotés et l’hydrogène, susceptible d’entraîner «une perte progressive de compétitivité sur les marchés à l’export hors Union ruropéenne de ces secteurs industriels», ajoute-il. Ce qui risque également de bouleverser la structure du marché et impacter sensiblement l’ensemble de la chaîne de valeur européenne. «Pour vous dire que la conjoncture à l’international, surtout sur les marchés où la législation environnementale, est moins stricte et contraignante, promet le plein d’opportunités pour les cimenteries algériennes mais…».

Logisticiens et équipementiers

Bien que, tient-on à souligner, outre les usines de Holcim et deux autres cimenteries, déjà certifiées aux normes européennes (CE), «certaines cimentiers privés et filiales du Groupe industriel des ciments d’Algérie (GICA) qui en compte 14 assurant 60% de la production nationale, se sont lancées dans les démarches de certification auprès d’Afnor, processus lent, complexe et très onéreux». Mieux : d’autres cimenteries, comme la société Ciment Lafarge Souakri (Cilas) de Biskra (3 MT), ont même entamé leur mutation vers le «ciment vert». 

Elles sont à pied d’œuvre pour diminuer leur empreinte carbone ainsi que la consommation d’énergie à travers de conséquents nouveaux investissements technologiques. Et en attendant la mise sur rail concrète du vieux projet de valorisation des phosphates (PPI) et la fin de la «valse» des partenaires étrangers qui se joue sur maints temps, depuis au moins 2009 (date de sa mise au point par feu Ferphos Group), c’est sur la filière de l’industrie cimentière que s’appuie la feuille de route présidentielle pour en finir avec «le tout pétrole».

Se frayer une place de choix sur un marché très concurrentiel, où le volume de production global serait de l’ordre deux milliards de tonnes et s’assurer des revenus supplémentaires d’au moins un milliards de dollars/an serait à la portée de l’Algérie. En témoignent les grands pas jusque-là franchis ; le pays se classe première en Afrique et deuxième dans le bassin méditerranéen en termes de ventes à l’étranger de ciment et de clinker, d’après Business France Algérie. Néanmoins, beaucoup reste à faire dans la chaîne logistique portuaire, aussi bien en amont, en interne qu’en aval.

A ce propos, des cadres de la Société des ciments de Hadjar-Soud (SCHS) dans la wilaya de Skikda s’interrogent, pour leur part, sur le sort des négociations engagées, depuis plus d’une années, par le Groupe public GICA et le Groupe Serport avec des logisticiens et équipementiers étrangers pour «des partenariats et transferts de technologies en vue d’une meilleure expansion de la filière à l’international et d’amélioration des conditions d’acheminement des produits cimentiers par route, rail ou bateau, ou encore par voie multimodale vers les marchés africains et européens, déjà ciblés». 

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