Les BRICS et l’Algérie : Quelle stratégie commune pour un éventuel ordre mondial alternatif ?

29/08/2022 mis à jour: 07:38
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En novembre 2021, cinq pays émergents connus sous l’acronyme BRICs (Brésil, Russie, Inde, Chine et l’Afrique du Sud depuis 2011, ce qui explique le rajout du «s») célébraient le 20e anniversaire de leur émergence en un bloc économique dont il était permis de penser à l’époque de son inception en 2001 qu’il allait prendre davantage d’expansion au point de bousculer l’ordre économique libéral mondial en place. 

Deux décennies plus tard, les BRICs ont progressé économiquement mais la gouvernance économique mondiale est restée inchangée.

 Plus récemment, le groupe des BRICS est l’objet d’un regain d’attention de la part de certains pays non occidentaux pour deux raisons : (1) la fragmentation du monde unipolaire actuel résultant du conflit ukrainien, des sanctions internationales frappant la Russie et de la stature internationale de deux de ses pays membres (Chine et Russie) ; et (2) le besoin renouvelé de faire partie d’un ensemble économique et géographique qui défend davantage leurs intérêts. En Algérie, la discussion sur l’opportunité de rejoindre le groupe des BRICs est désormais sur la place publique, mue par un besoin fondamental de s’éloigner du système unipolaire actuel inéquitable sur les plans politique et économique. Cet article se propose de discuter toutes ces questions. 
 

Le point de départ. Le concept de BRIC a été introduit en 2001 par Jim O’Neill, économiste chez Goldman Sachs (et plus tard secrétaire au Trésor dans le gouvernement britannique de David Cameron).

 Dans son article-phare intitulé «Building Better Global Economic BRICs» publie alors en plein essor de la mondialisation et surtout de l’essoufflement des marges de croissance des pays avancés, Jim O’Neill en sa qualité de banquier international : (1) identifiait ces quatre pays comme ceux qui disposaient de marges importantes de croissance économique et de développement ; et (2) spéculait qu’à terme, ils pourraient peser sur la gouvernance économique mondiale, notamment au niveau du G7 et des institutions de Bretton Woods. 
 

Le chemin parcouru par les BRICs en 20 ans
 

• Sur le plan institutionnel : Après une rencontre informelle en 2006 en marge de l’Assemblée Générale des Nations unies, les dirigeants des BRICs se retrouvèrent de façon formelle à Ekaterinbourg (Russie) en 2009 pour mettre en place un cadre institutionnel devant porter leurs ambitions économiques et géostratégiques. Des sommets annuels subséquents ont permis de lancer de gros projets d’infrastructure domestiques et transnationaux. A partir de 2011, au vu de performances remarquables, l’Afrique du Sud rejoignait ce groupe de pays qui devenait ainsi les BRICs (le «s» représentant désormais ce cinquième membre).
 

• Sur le plan financier : Lors de leur 6e sommet tenu le 15 juillet 2014 à Fortaleza (Brésil), le groupe des BRICs crée la banque de développement des BRICs avec un capital initial de $100 milliards et un siège social à Shangaï (révélant déjà la toute-puissance chinoise). Cette institution bancaire a porté, entre autres, des projets-phares en termes développement durable et intelligent. 

Parmi ces derniers, citons : (1) le rétablissement de la ceinture économique de la route de la soie à travers l’Europe, l’Asie et l’Afrique conduit par la Chine; (2) le projet de développement de 100 villes intelligentes connectées par des trains à grande vitesse de l’Inde; (3) le projet visant à transformer l’Extrême-Orient russe en un nouveau pont économique entre l’Europe et l’Asie grâce au développement de zones économiques spéciales avancées ; et (4) le projet d’expansion de l’agriculture industrielle à grande échelle au Brésil et en Afrique du Sud. 
 

• Sur le plan économique : A fin 2021, les BRICs représentaient 40% de la population mondiale actuelle (44% en 2000) et 24,8% du PIB mondial (8,1% en 2000) et 25% des flux d’investissements directs étrangers au niveau mondial (5% en 2000). Un bloc puissant économiquement parlant. Pris individuellement, notons le développement spectaculaire de la Chine avec un PIB de $17,730 milliards ($1211 milliards en 2000), suivi de l’Inde dont le PIB est de $3170 milliards ($468 milliards en 2000) et de la Russie avec un PIB de $1780 milliards ($260 milliards en 2000). Les échanges commerciaux entre les pays des BRICs ont quadruplé, passant de $10,4 milliards en 2006 à $41 milliards en 2021. 

Ces avancées économiques sont le résultat direct de réformes structurelles importantes qui ont permis aux BRICs de s’ancrer fortement à l’économie mondiale. Deux remarques importantes : (1) nonobstant ces avancées et le rattrapage effectué en 20 ans, le niveau de développement des BRICs est encore très loin de celui des pays riches de l’OCDE en termes de PIB par habitant ; et (2) des taux de croissance élevés, notamment en Chine et en Inde (7-8% en termes réels) n’ont pas éliminé les inégalités régionales et la disparité des revenus, notamment entre les zones urbaines et rurales. La situation en Afrique du Sud et au Brésil et en Russie est encore plus marquée. 
 

• Sur le plan de la gouvernance économique mondiale : En 2014, le monde se demandait si l’émergence d’un nouvel acteur institutionnel dans le paysage des prêts internationaux et du développement allait devenir un véhicule de promotion des valeurs/normes non occidentales et offrir une alternative aux institutions de Bretton Woods longtemps dominées par les Etats-Unis. 
 

Des questions légitimes dans le contexte de l’époque marqué par une crise financière profonde (due aux excès de la financiarisation) qui avaient affaibli un moment le système financier international. Mais les BRICs ont subi un échec total pour ce qui est de leurs aspirations sur le type de multilatéralisme et des changements dans l’économie politique mondiale. 

Pourquoi ? Si les BRICs ont renforcé leur poids économique, ce dernier demeure toutefois relatif par rapport à l’OCDE et ils n’ont pas su se donner le poids politique nécessaire pour peser sur la gouvernance mondiale. De plus, il y eut très peu de coordination politique pour dynamiser le G20 comme levier de changement de la gouvernance mondiale. 
 

Un contexte géostratégique avec des lignes de fragmentation marquées. A l’ancien ordre mondial bipolaire (qui a dominé le monde depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à la disparition de l’URSS en 1991) a succédé depuis le nouvel ordre mondial unipolaire (dominé par un alignement idéologique et politique des gouvernements et organismes mondiaux vis-à-vis des Etats-Unis). 

Cette unipolarité est de plus en plus disputée par : (1) la Chine qui, forte de son poids économique et politique, est en train de rejeter progressivement les valeurs occidentales) ; (2) la Russie qui a effectué depuis 2015 un grand retour sur la scène géopolitique mondiale ; et (3) un certain nombre de nations qui veulent s’affranchir de la domination américaine et du monde inégal d’aujourd’hui. Les lignes de fragmentation de l’ordre mondial actuel sont devenues encore plus marquées depuis le début du conflit en Ukraine en février 2022 et les sanctions économiques occidentales contre la Russie. Mais est-ce suffisant pour bousculer le nouvel ordre mondial ?
 

Une nouvelle architecture géostratégique éventuelle portée par un groupe des BRICs politiquement et économiquement renforcé ? Un objectif irréaliste à court et moyen terme.
 

Il y a certes un intérêt croissant de la part de nombreux pays pour les BRICs : Lors de son 14e sommet qui s’est tenu le 23 juin 2022 en visio-conférence sous la présidence de la Chine, il a été noté la participation de 13 pays, en plus des cinq membres BRICs. 
 

Par ailleurs, un nombre croissant d’autres pays émergents et en voie de développement ont exprimé un intérêt pour les BRICs en raison du «déclin» du monde unipolaire actuel, de l’obsolescence accélérée de la gouvernance mondiale (qui est en décalage par rapport à la réalité) et de la montée de l’unilatéralisme et du protectionnisme de la part de certains pays avancés. La présence de la Chine, puissance globale, donne désormais un poids considérable aux BRICs dans la recherche d’une nouvelle gouvernance économique et politique mondiale. Est-ce suffisant au vu des difficultés à transformer les BRICs en contrepoids du monde occidental ? 
 

les défis énormes entravant le projet de renforcement des BRICs :
 

• L’absence de points communs des futurs membres : ces derniers se distinguent par des divergences politiques (démocraties et des autocraties théoriques), des différences en termes de structure économique (importateurs et exportateurs de produits de base) et des visions économiques et politiques fondamentalement différentes. 
 

• Les relations tendues entre les grands pays fondateurs des BRICs, à savoir l’Inde et la Chine du fait des conflits dans le sous-continent indien et autour de la frontière du Ladakh et de la méfiance de l’Inde vis-à-vis de la technologie chinoise. 
 

• L’absence de consensus sur des critères d’adhésion au nouveau du groupe. La Chine n’a pas encore offert de détails sur ces derniers. La Russie insiste pour que les pays rejoignant le groupe ne soient pas des satellites de la Chine. 
 

Le Brésil et l’Afrique du Sud n’ont pas donné un avis à ce jour. Si ces deux pays adoptent une position similaire, la situation sera encore plus complexe. Suivons cette question qui pourrait se décanter au cours des prochains mois. 


• Le financement des institutions nouvelles devant porter l’action du nouveau groupe. Les 5 pays membres font face à des difficultés financières qui pourraient affaiblir leurs ambitions. Evaluation : En raison des contraintes ci-dessus, tous les observateurs avertis sont d’avis que l’émergence d’un BRICs élargi ne sera pas possible dans le court et le moyen terme. 
 

Dans l’intervalle, le groupe pourrait admettre certains nouveaux membres. Mais la question se pose si ces derniers disposeront des mêmes droits que les pays fondateurs qui veulent driver le processus sans céder de l’influence. 
 

En définitive, les BRICS n’auront pas de sitôt les moyens économiques et politiques pour remettre en cause la gouvernance mondiale actuelle. 
 

Dans ce contexte, ce groupe pourrait avoir des ambitions plus modestes et demander d’être consulté sur la façon dont la gouvernance mondiale est conduite. 
les ambitions algériennes
 

Avec une structure économique dominée par le pétrole, l’agriculture et les services à faible valeur ajoutée, une population de 44 millions d’habitants, un PIB de $166 milliards, un revenu par tête d’habitant de $3720 en 2021, une faible intégration à l’économie mondiale, les institutions de Bretton Woods qualifient l’Algérie de pays exportateur de pétrole à revenu moyen. Il est loin de faire partie du groupe des pays émergents qui se distinguent, entre autres, par une croissance et une stabilité forte et soutenue qui peuvent produire des biens à plus forte valeur ajoutée et présentent des similarités avec les économies avancées non seulement en termes de revenus, mais aussi de participation au commerce mondial et à l’intégration des marchés financiers. 
 

Seules des transformations structurelles importantes et un arrimage progressif a l’économie mondiale lui permettra d’acquérir un poids et une voie sur la scène internationale. De ce fait, sur la seule base de critères économiques, l’Algérie ne se qualifie donc pas pour être membre des BRICs qui a rassemblé depuis sa naissance des pays émergents. 
 

Par contre, si les BRICs se donnent une stratégie à long terme pour devenir un acteur puissant dans la gouvernance mondiale et peser sur cette dernière, et sil les critères d’admission sont élargis aux pays qui aspirent à devenir émergents, l’Algérie devrait alors rejoindre ce groupe. Deux raisons fondamentales
 

1. Primo, l’Algérie a une longue tradition de lutte en faveur d’une gouvernance économique mondiale équitable, d’un transfert de ressources aux pays en développement et d’un renforcement des échanges commerciaux sud-sud. Ces thèmes ont été au centre du discours historique prononcé le 10 avril 1974 à la tribune de l’ONU par le défunt président Boumediène. L’Algérie devrait continuer à porter dans ce nouveau forum des BRICs. 
 

2. Secundo, cela offrira une dynamique économique au pays en appui d’une trajectoire en direction du statut de pays émergent. Pour ce faire, le pays doit se doter d’une stratégie de développement à long terme et créer une économie forte et indépendante en entamant d’ores et déjà un plan ambitieux de réformes structurelles pour une insertion productive au sein de l’économie mondiale (le découplage de la Chine étant une vision de l’esprit). 
 

Dans le monde actuel, les poids économiques des pays sont les déterminants principaux de la place d’un pays sur l’échiquier mondial et de la voix qu’il peut porter.

 

Par Abdelrahmi Bessaha

 Expert international en macroéconomie

 

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