«On peut juger de la grandeur d’une nation par la façon dont les animaux y sont traités» Mahatma Gandhi (1869-1948)
L’histoire de la médecine vétérinaire est presque aussi vieille que celle de la médecine humaine. Si cette dernière remonte aux premiers âges de l’Humanité, la médecine vétérinaire, quant à elle, plonge dans la nuit des temps.
Longtemps considérée comme une médecine de seconde zone, qualifiée au tout début de son histoire de «soins aux animaux», la percée vétérinaire se fera au cours des ères où, chronologiquement, chaque âge lui apporta sa part de contribution. En plus des liens qu’avaient les premiers hommes avec les animaux, du reste, immortalisés par les gravures rupestres, les soins envers les animaux se sont, en outre, enrichis par le poids du culte et le dogme des différentes religions.
En premier lieu, après le grand «déluge» de Noé où, inexorablement, une sorte de sacralité a imprégné certains animaux auxquels la future médecine vétérinaire sera vouée et qui sera, bien plus tard, élargie à toutes les espèces animales. Cependant, le qualificatif de «médecine» ne s’est greffé à la pratique «vétérinaire» qu’à partir de la période marquant la fin du monde antique, ou ce qu’on appelle le moyen-âge, et le début de la renaissance, prémices du monde nouveau.
Historiographie de la médecine vétérinaire : le code d’Hammourabi à l’origine
La plupart des ouvrages qui ont abordé l’évolution de la médecine vétérinaire démontrent que l’esquisse des soins aux animaux remonte à la révolution néolithique. Une période marquée par la domestication de l’animal par l’Homme : le chien en premier qui deviendra, depuis, son premier et éternel compagnon.
En effet, des recherches portant sur la protohistoire concluent, que durant cette période, les groupes humains, considérés comme les premiers paysans du monde, pratiquaient la trépanation sur les crânes des animaux. Une médication de nature primitive qui consiste à pratiquer un orifice dans le crâne et qui est reconnue comme étant la plus ancienne forme de chirurgie.
Dans son ouvrage de référence Histoire Mondiale des Sciences, le Britannique Colin Ronan (1920-1995), spécialiste en Histoire et philosophie des sciences, indique que «les éleveurs et les bergers qui gardaient du bétail durent apprendre beaucoup sur la façon dont les animaux se reproduisent et un peu sur les maladies, sur la guérison des maux bénins et par certaines techniques, comme celle qui consiste à remettre un membre brisé». D’après lui, le médecin primitif s’est autant intéressé à l’animal pour ses expérimentations en lui administrant divers potions et autres mixtures.
Le spiritisme s’est également emparé de l’Homme durant ce stade social et culturel de son évolution, puisque «la magie a eu sa part dans l’organisation et la préservation des connaissances pratiques, profitables dans le traitement des animaux», rappelle Mourad Zeggane, enseignant universitaire de L’histoire des sciences.
Il précise à cet effet que l’homme primitif, porté par les croyances, considérait que les animaux étaient possédés, ceci, rajoute-t-il, «avant qu’une sorte de logique ne soit fondée, bien plus tard, sur des perceptions et des théories matérielles». Néanmoins, la vraie ébauche de l’exercice des soins aux animaux a eu lieu, selon plusieurs chercheurs, durant le XVIIIe siècle avant J.-C.
D’après eux, cette période a vu la naissance, en Mésopotamie, de la première organisation relative à l’exercice de la chirurgie des animaux, bien après l’arrivée des sémites, premiers nomades du désert.
Elle y figurait dans le code d’Hammourabi (Loi du Talion) au sein de la société babylonienne où les devins et les oracles furent bousculés par les praticiens. En effet, des dispositions relatives à la santé des animaux qui font référence à ce qui est appelé aujourd’hui «chirurgie des animaux», sont mentionnées sous les termes de «blessure» et/ou «opération de plaie», selon différentes versions.
D’après Pierre Cruveilhier (1868-1941), ces dispositions sont édictées dans les chapitres 125 et 126 du code d’Hammourabi. Il les retrace comme suit : «Si le médecin d’un bœuf ou d’un âne a fait une blessure (opération d’une plaie) grave à un bœuf ou à un âne et l’a guéri, le maître du bœuf ou de l’âne donnera au médecin pour son honoraire un sixième d’argent (de son prix)». : «S’il a traité ou fait une blessure (opération d’une plaie) grave à un bœuf ou à un âne et a causé sa mort (ou l’a fait mourir), il donnera au maître du bœuf ou de l’âne un cinquième ou un quart de son prix.»
En revanche, le développement réel des soins des animaux revient aux grandes civilisations de l’Histoire (grecque, romaine, indienne, égyptienne...). Et la prééminence de la discipline est venue de la percée du cheval, tout au long des différentes époques, comme le confirment plusieurs auteurs.
Ceci, indiquent-ils, au vu de son apport lors des conquêtes. Effectivement, véritable machine de guerre et de poste (pour la transmission des messages et des colis), le cheval acquiert chez les puissants empires (macédonien, persan, mongol…) une valeur supérieure à celle des autres espèces domestiques qui, soit-dit en passant, les nourrissaient et les habillaient à tel point que les soins envers cette espèce ont parfois dépassé ceux prodigués aux humains.
Concernant ces grandes dynasties, des recherches plus précises attestent que ce sont les héritiers de l’empire romain, à savoir les Byzantins, qui ont apporté, après la chute de Rome, la quote-part la plus élevée aux soins des animaux, notamment envers les espèces animales autres que les équidés. A travers les élevages d’animaux qui ont enregistré un développement sans précèdent au cours de leur règne, les Byzantins recouraient notamment à la saignée et à la castration des animaux.
Par ailleurs, l’on ne peut parler de l’histoire de la médecine vétérinaire sans évoquer la civilisation arabo-musulmane et ses califats dynastiques qui s’ensuivirent. Tous les chercheurs s’accordent à dire que c’est durant le rayonnement de cette civilisation, entre le VIIe et le XVe siècles, que les soins des animaux se sont le plus épanouis, notamment envers l’animal symbole.
En apportant leur savoir supplémentaire, les Arabes se sont intéressés de près au cheval, espèce très vénérée. D’ailleurs, le premier livre de l’histoire consacré à cet animal a vu le jour durant leur période faste.
Il s’agit d’un traité écrit, en 1333, par un érudit, Abû Bakr Ibn Badr Al-Baytar, plus connu sous le nom de Ibn El Moundhir. Il a été publié sur instruction du Sultan Mamelouk d’Égypte, Malik Al Nassir Ibn Saïf Eddine, connu aussi sous le nom de Mohammed Ennacer.
Repris au IXe siècle par Abdallah Ibn Akhi Hizâm Al-Khuttali, cet ouvrage, mondialement connu, traite du diagnostic et des traitements des maladies animales. Le livre en question a d’ailleurs été traduit en français et édité pour la première fois en France, en 1853, soit cinq siècles plus tard.
Le Pr Jamal Hossaini Hilali, vétérinaire et historien marocain, lui a consacré un livre qui a été plusieurs fois primé, intitulé Chevaux et Hippiatrie, traduction du livre Al Khayl wa Al Baytara d’Ibn Akhî Hizâm al Khuttalî. Il souligne que cet ouvrage, plus connu sous le nom de Al-Naçeri, en référence au Sultan, a été à l’origine du développement des champs de l’hippologie (élevage et prévention) et de l’hippiatrie (soins).
Cela compléta, en terre d’Islam, l’excellence des Arabes dans l’équitation et l’art de la guerre, commente pour sa part le Dr Jean-Pierre Digard dans une publication parue dans la revue Études rurales.
En vérité, les Arabes n’étaient pas seulement subjugués par le cheval, source de prestige et de noblesse. Ils considéraient tellement les praticiens qui le soignait et en prenaient soin qu’ils finirent par leur conférer le titre d’Al-Baytar soutient le vétérinaire historien.
D’où la désignation du métier par Al Baytara chez les Arabes qui, plus qu’un lexème, constitue la première brèche qui a été ouverte sur la médecine vétérinaire et qui a émergé, par la suite, au cours de la période moderne.
Le siècle des Lumières : Bourgelat ou l’essor de la médecine vétérinaire
Il peut paraître comme un pléonasme de dire que la médecine vétérinaire s’est développée grâce aux flambées des maladies animales. En réalité, le début de la période moderne de l’Histoire a été marqué par la propagation de plusieurs épizooties, en particulier la fièvre charbonneuse et la peste bovine qui ont, à titre d’indication, décimé presque la totalité des cheptels équin et bovin de l’Europe.
La médecine humaine, ayant connu une nette avancée durant le XVIIIe siècle, a été interpellée pour limiter un tant soit peu l’hécatombe provoquée par ces deux maladies animales. Il a donc fallu l’intervention d’éminents médecins et biologistes de l’époque, à leur tête François Boissier de Sauvages, plus communément appelé François de Lacroix, qui s’y sont immiscés en transposant leurs connaissances médicales et leurs acquis en pharmacie, chez les populations animales. Mais il n’y a pas que le volet épizootique qui a concouru au développement de la médecine vétérinaire.
Selon Daniel Robin, un professionnel de la santé animale, «la conjonction des facteurs culturels, économiques, politiques et humains» ont, de leur côté, joué un grand rôle dans la transition du métier vétérinaire vers la médecine. Il explique que «la Vétérinaire, ainsi qu’on s’exprime volontiers lorsqu’on veut être concis, s’est d’abord appelée l’art vétérinaire.»
La raison, suppose-t-il, est «sans doute voulait-on marquer que, si la médecine (sous-entendu de l’homme) était une science, celle qui concernait nos frères inférieurs ne pouvait être tout au plus qu’un art».
A propos de cette transition, il relève que «sous l’influence des idées de Jean-Jacques Rousseau», ceci d’une part, et d’autre part vu que durant cette période «la nature était à la mode», cela a poussé François Quesnay, médecin de Louis XV, à la création, vers 1750, du mouvement physiocratique. Un mouvement, indique-t-il, qui s’était distingué en plaidant la création des académies liées à l’agriculture, du fait que durant cette époque, l’agriculture était la première source de toute richesse, remarque-t-il.
Cela, argue-t-il, à l’instar des académies qui étaient dédiées aux autres sciences «dures», médicales plus particulièrement, mais aussi, parallèlement à la multiplication des sociétés agricoles, a-t-il rajouté.
Non sans mettre en exergue le rôle qu’a joué Quesnay, en rappelant la reconnaissance qu’il a eu de la part des grandes figures de la révolution française, à l’image de Mirabeau, l’orateur du peuple, qui, soulève-t-il, encensa Quesnay en déclarant qu’ «il a découvert en médecine l’économie animale, en métaphysique l’économie rurale, en agriculture l’économie politique».
Cette partie de l’histoire a, donc, été caractérisée par une jonction abyssale entre les sciences «médicales» et les sciences «agricoles», particulièrement sa branche de l’élevage où la santé des animaux, autres êtres vivants, était une préoccupation autant importante que celle des humains pour les nombreux et éminents spécialistes qu’a connu ce siècle.
C’est ainsi, et au vu de tous ces facteurs, qu’un éminent avocat du nom de Claude Bourgelat (1712- 1779), alors chef de l’Académie d’équitation de Lyon, émergea dans le domaine des soins aux animaux. Il publia en 1750, soit plus de quatre siècles après Al-Baytar, le tome I des Eléments d’hippiatrique. Devenu, par la suite, écuyer du Roi Louis XV, il annexa à l’Académie une infirmerie pour animaux où il pratiquait des dissections afin de connaître l’étiologie des maladies.
C’était le prélude à l’anatomie pathologique vétérinaire, une spécialité de base en médecine vétérinaire. Poussant ses recherches et profitant de sa promiscuité avec la Cour, Claude Bourgelat atteignit son objectif, à savoir l’édification d’une école où les élèves peuvent étudier les principes de la médecine et de la biologie animale tout en répondant à la nécessité économique. Soit, en plus clair, la lutte contre les épizooties.
Il crée ainsi, en janvier 1762, la première école au monde dédiée aux soins des animaux. Basée à Lyon, elle sera appelée en langue vernaculaire école vétérinaire : l’étymologie vient du terme « veterinarius », du latin-roman, langue liturgique encore utilisée à cette époque, et dont l’adjectif, «veterinum», signifie bête de somme.
Cette école sera suivie d’une deuxième école vétérinaire que Bourgelat fonda, en 1765, à Maisons-Alfort, près de Paris. Il courtisa «des gens instruits, de préférence médecins ou chirurgiens» pour «donner ainsi une formation complète à tous ceux qui se destinent à la médecine des animaux», est-il mentionné par l’encyclopédie Universalis.
Dr Salim Kebbab
(Médecin vétérinaire, Master en journalisme scientifique, Certificated on High Performance Attributes In Management)