La compagnie publique de transport maritime de marchandises, Cnan-Nord, vit une situation des plus chaotiques engendrée par une gestion très discutable de sa flotte, pourtant des plus modernes, acquise il y a à peine sept ans.
Après l’abandon du Timgad depuis octobre 2021, dans les eaux belges, après sa saisie par les autorités portuaires pour des défaillances techniques et non-respect de la convention internationale des droits des marins, c’est au tour du Sedrata d’être bloqué par les mêmes autorités à Anvers pour... expiration de l’assurance depuis plusieurs jours. Dès son immobilisation, le navire a fait l’objet d’autres visites de contrôle qui ont permis le constat de nombreuses défaillances techniques, mais aussi administratives liées au non-respect de la réglementation internationale des droits du personnel marin.
Le bureau de classification des non-conformités a fait état de 42 prescriptions (parmi elles, 6 anciennes), relevées par l’ITF (Fédération internationale des travailleurs du transport) et le PSC (Contrôle portuaire de l’Etat), dont 14 encourent la détention du navire. L’armateur se voit sommé de s’acquitter d’une caution de 320 000 dollars avec une garantie bancaire et la levée de toutes les prescriptions pour pouvoir récupérer le navire. Or, l’entreprise ne semble pas en mesure de s’y conformer, en raison de sa situation financière très difficile.
C’est carrément un remake du Timgad, abandonné en Belgique, puisque le Sedrata a été immobilisé pour les mêmes erreurs (à des exceptions près), commises par le même staff qui dirige l’armement technique de la flotte. Comment un navire peut-il quitter les ports algériens sans assurance ?
Comment a-t-il pu échapper au contrôle des autorités portuaires, notamment les gardes- côtes ? Pourquoi la compagnie n’a-t-elle pas renouvelé, trois mois avant expiration, son assurance Club PI (Protection et Indemnité) ? Est-ce fait délibérément ou s’agit-il d’une grave erreur de gestion ?
Des navires acquis en 2014
Des questions qui méritent réponses, mais en attendant, Cnan-Nord est en train de toucher le fond. Six navires sur les sept que la compagnie a acquis en 2014 sont à l’arrêt pour des raisons techniques liées au non-respect des règles et recommandations de l’Organisation maritime internationale (OMI) ainsi que des dispositions de la Convention internationale des droits des marins.
Ainsi, le Timgad est depuis octobre 2021 abandonné en Belgique, le Constantine est également délaissé dans un quai de minerais à Annaba, le Saoura est en travaux d’escale, le Stidia abandonné dans le cimetière des navires, le Kherrata est immobilisé depuis juillet 2021 et son sort n’est toujours pas connu, le Tinziren est toujours à l’arrêt en attente de pièces de rechange qui n’arrivent pas et le Sedrata a été saisi à Anvers.
Ce constat alarmant laisse transparaître un grave problème de gestion, notamment depuis 2016, coïncidant avec la création du groupe Gatma, dont dépend la flotte du transport maritime et qui a vu tous les projets de développement du transport maritime de marchandises remis aux calendes grecques, notamment celui de l’acquisition de deux vraquiers inscrits au premier programme de 2015.
S’exprimant devant les députés, le désormais ex-ministre des Transports, Aïssa Bekkai, avait reconnu, le 25 février dernier, que la saisie des cinq navires à l’étranger, durant l’automne 2021, constituait «un dilemme qui trahissait une grande corruption», ajoutant : «J’ai trouvé une société de transport fonctionnant avec 15 managers et payant les salaires avec des prêts bancaires.»
Évoquant l’immobilisation du Sedrata, sans le citer, Aïssa Bekkai a rappelé que «les navires doivent être munis d’une autorisation de contrôle pour quitter les ports algériens», précisant que «la mauvaise gestion des sociétés et l’absence de contrôle constituent les principales causes à l’origine de la saisie des navires marchands algériens dans certains ports européens en 2021».
Et de souligner que la situation des trois navires saisis en France et en Espagne a été régularisée en 2021 et celle du quatrième navire, le Timgad, saisi en Belgique, «a été réglée le 6 septembre 2021». Or, à ce jour, le Timgad est toujours inscrit sur la liste de l’OMI des navires en situation d’abandon. Selon l’ex-ministre, «la saisie est due à une défaillance technique et à des raisons liées à la situation financière des sociétés qui n’ont pas pu maintenir les navires en état de navigabilité».
Malgré ce constat d’échec, aucune décision n’a été prise, laissant la flotte sombrer vers le fond, au moment où le secteur du transport maritime de marchandises connaît une demande importante sur le marché et avec des prix jamais égalés. Ni les dénonciations des syndicats d’entreprise, ni les récurrentes immobilisations des navires à l’étranger à chaque fois pour les mêmes griefs – non-respect de la réglementation maritime – n’ont à ce jour poussé les autorités à ouvrir des enquêtes et à situer les responsabilités dans ce qui s’apparente à une gestion scandaleuse du pavillon algérien.