Le secrétaire d’Etat américain a entamé hier une tournée en Afrique : Washington veut contrer l’influence chinoise et russe

23/01/2024 mis à jour: 03:33
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Anthony Blinken et le Premier ministre du Cap-Vert Ulisses Correia e Silva

Le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, était attendu hier au Cap-Vert dans le cadre de sa tournée en Afrique afin de maintenir l’influence des Etats-Unis sur un continent convoité par d’autres grandes puissances, notamment Pékin et Moscou. Il rejoindra ensuite la Côte d’Ivoire, le Nigeria et l’Angola. 

Le président américain, Joe Biden, avait promis de se rendre en Afrique en 2023, mais n’a pas concrétisé cet engagement. Depuis la dernière visite du chef de la diplomatie dans la région en mars 2023, le paysage politique a quelque peu changé. A l’époque, il s’est rendu au Niger pour soutenir le président élu Mohamed Bazoum dans ce pays où les Etats-Unis comptent plus de 1000 soldats et des bases de drones pour la lutte contre les djihadistes. Quatre mois plus tard, ce dernier est renversé par un coup d’Etat militaire. 

Conséquence : les soldats français ont été chassés et les liens se renforcent avec Moscou. Au Niger, les Américains ont jusque-là gardé leur base et leurs soldats, mais Washington réfléchit à d’autres options. «Plusieurs endroits» sont ainsi à l’étude pour une base de drones, a indiqué l’an dernier le général James Hecker, commandant de l’armée de l’air américaine pour l’Europe et l’Afrique, selon des propos rapportés par l’AFP. 

Lors de cette visite ouest-africaine, Antony Blinken compte aider les pays «sur tous les fronts pour renforcer leurs sociétés et lutter contre l’expansion de la menace terroriste que l’on observe au Sahel», explique Molly Phee, sous-secrétaire d’Etat pour l’Afrique, qui s’est rendue au Niger en décembre. Cela va également encourager les pays à faire de la «sécurité des civils lors d’opérations militaires et la promotion des droits de l’homme et du développement des communautés», une priorité, a-t-elle ajouté devant la presse.

 «Nous n’avons aucune objection à ce que les pays diversifient leurs partenariats», a-t-elle observé.  «Evidemment, s’ils choisissent d’établir un partenariat avec des pays comme la Russie, ce serait très compliqué», a-t-elle mis en garde, citant les exemples du Mali et de la Centrafrique, où Moscou est également actif par l’entremise du groupe de mercenaires Wagner. «Ce n’est pas un modèle que je voudrais suivre», a-t-elle affirmé. 
 

Le Cap-Vert est un partenaire des états-Unis 

Les Américains louent la stabilité démocratique de cet archipel lusophone. Washington a octroyé quelque 150 millions de dollars à travers deux programmes, incluant notamment l’expansion du port de la capitale Praia, l’amélioration des routes et du système de distribution d’eau potable. Un troisième programme d’aide est à l’étude. Dans la soirée de lundi, Antony Blinken était attendu en Côte d’Ivoire. 

Pays frontalier du Mali et du Burkina Faso, il a jusque-là réussi à endiguer la menace djihadiste. Le dernier incident lié à ces groupes armés dans le nord du pays remonte à début 2021. La Côte d’Ivoire a été une étape de la tournée récente (13-18 janvier) du chef de la diplomatie chinoise, Wang Yi, qui l’a mené également au Togo, en Tunisie et en Egypte. La Chine est devenue le premier partenaire commercial de la Côte d’Ivoire avec des échanges qui ont plus que doublé entre 2017 et 2022, passant de 1,85 milliard de dollars à 4,46 milliards.
 

Offensive à coups de milliards de dollars

L’Afrique constitue un autre terrain de lutte d’influence pour les Etats-Unis, la Chine et la Russie entre autres. L’administration Biden a annoncé l’an dernier un plan sur dix ans afin d’encourager la stabilité et éviter les conflits au Bénin, Ghana, Guinée, Côte d’Ivoire et Togo, pays ciblés par des groupes djihadistes. 

Ce plan encourage, notamment, une réponse sociale en la conséquence et se démarque ainsi de l’approche passée basée essentiellement sur le tout sécuritaire. Le 2 avril 2023, à l’issue de sa tournée africaine d’une semaine qui l’a menée au Ghana, en Tanzanie et en Zambie, la vice-présidente américaine, Kamala Harris, a annoncé plus de 9 milliards de dollars de financement public-privé américain, dont une partie est destinée à soutenir l’Afrique face aux défis climatiques, tandis qu’une enveloppe de 100 millions de dollars sera allouée à la lutte contre l’extrémisme au Ghana, au Bénin, en Guinée, en Côte d’Ivoire et au Togo. 

Washington a en outre prévu de financer la construction en Tanzanie d’une usine de transformation de minéraux en nickel de qualité,  batterie qui devrait atterrir sur les marchés américain et mondiaux à compter de 2026. Lors de sa visite au Sénégal en janvier 2023, la secrétaire au Trésor américain, Janet Yellen, a appelé les pays africains à «être prudents face à des accords alléchants». Ces derniers peuvent «être opaques et finalement échouer à aider les gens qu’ils devaient aider», a-t-elle affirmé, faisant allusion aux accords conclus en Afrique par la Chine. 
 

La Chine «devrait être la dernière à être accusée ‘‘d’utiliser’’ le piège de la dette», a rétorqué le ministre chinois des Affaires étrangères, Qin Gang, le 7 mars, lors d’une conférence de presse. «La Chine s’est efforcée d’aider les pays en difficulté et est le principal contributeur à l’initiative de suspension du service de la dette du G20», a-t-il ajouté. Pékin est depuis longtemps très actif sur le continent en finançant notamment des infrastructures dans de nombreux pays. Au Kenya, un des grands projets menés par la Chine consiste en la réalisation de la ligne ferroviaire reliant la ville de Mombasa à la vallée du Rift, pour un coût de cinq milliards de dollars, financé à 90% par Pékin. 

La Chine est le deuxième bailleur de fonds du Kenya, après la Banque mondiale. De son côté, la Tanzanie a signé un contrat de 2,2 milliards de dollars avec une entreprise chinoise pour une ligne ferroviaire reliant le principal port du pays à ses voisins. Pékin a dépêché en janvier son nouveau ministre des Affaires étrangères, Qin Gang, pour la traditionnelle tournée africaine de début d’année. 

Souvent accusée de «piéger» l’Afrique par la dette, la Chine est également accusée de développer «une stratégie de prédation sur les matières premières». Ce que Pékin réfute. «L’Afrique devrait être une grande scène pour la coopération internationale plutôt qu’une arène de lutte pour les jeux des grandes puissances», a déclaré le ministre chinois en conférence de presse au siège de l’Union africaine (UA) à Addis-Abeba. 

«S’il y a la concurrence, comparons alors qui a fait le plus de travail pratique pour le développement pacifique de l’Afrique et qui a fait le plus d’efforts pour donner à l’Afrique une plus grande représentation et voix dans l’agenda de la gouvernance internationale», a-t-il indiqué, rappelant que la Chine soutient déjà l’entrée de l’UA au G20.
 

Armes, blé… nucléaire

De son côté, la Russie, qui s’impose comme un des principaux pays exportateurs d’armes vers l’Afrique, entretient un important partenariat agricole avec le continent, dont elle est le premier fournisseur de blé au monde. Selon des données de l’ONU en 2020, 15 pays africains ont importé plus de 50% de leurs produits à base de blé de la Russie ou l’Ukraine. 

Selon Moscou, en 2022, la Russie a exporté 11,5 millions de tonnes de céréales vers l’Afrique, et près de 10 millions de tonnes supplémentaires ont été livrées au premier semestre 2023. En parallèle, elle y renforce sa présence grâce à, notamment, des projets miniers accordés au groupe paramilitaire privé Wagner, nucléaires et en matière des hydrocarbures. 

Début 2023, le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a déjà effectué deux tournées sur le continent, s’efforçant d’attirer le continent africain dans le camp de Moscou pour contrer l’«impérialisme» occidental. Ces dernières années, Moscou a annoncé le renforcement de ses partenariats militaires avec de nombreux pays, dont le Cameroun, l’Ethiopie, l’Afrique du Sud, la Centrafrique et le Mali. Entre 2018 et 2022, selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, la part russe du marché d’armement en Afrique est passée de 21 à 26%. Selon le même rapport, les livraisons d’armes au continent ne représentent cependant qu’une petite part des exportations d’armes de la Russie, soit 12% en 2022. 
 

En parallèle, le groupe Wagner a étendu ces dernières années sa présence en Centrafrique, au Mali et au Soudan entre autres. En janvier, les Etats-Unis ont accusé Wagner de «violations généralisées des droits humains et d’extorsion des ressources naturelles» en Afrique. Accusations réitérées par l’Union européenne (UE). Dans le domaine nucléaire et des hydrocarbures, la Russie a marqué sa présence sur le continent. Ainsi, en Egypte, le géant russe du secteur nucléaire Rosatom a entamé en 2022 la construction de la première centrale du pays, à Al Dabaa, sur les bords de la Méditerranée. 

En 2019, lors du sommet de Sotchi, le patron de l’agence nucléaire russe précisait que son entreprise disposait de protocoles d’accord avec 18 pays africains. De son côté, le groupe pétrolier Rosneft est depuis plusieurs années particulièrement bien implanté au Mozambique, notamment pour exploiter le gaz. Selon le ministère russe de l’Energie, Moscou a par ailleurs plusieurs projets pétroliers en Afrique, menés principalement par le groupe Loukoïl. Le 13 octobre 2023, le groupe russe nucléaire Rosatom a signé un accord avec le Burkina Faso pour construire une centrale nucléaire dans ce pays d’Afrique de l’Ouest. Le Burkina Faso importe une grande partie de son électricité auprès de ses voisins. 
 

Fin 2020, seuls 22,5 % des Burkinabés avaient accès à l’électricité, selon la Banque africaine de développement. Le continent africain ne compte pour l’heure qu’une seule centrale nucléaire, en Afrique du Sud, à Koeberg, près du Cap. Le même jour, Rosatom a annoncé avoir signé avec le Mali un accord de coopération pour développer le nucléaire civil. 

Le document porte notamment sur le «développement de l’infrastructure nucléaire du Mali», la «formation du personnel, des installations de recherche nucléaire et de l’énergie nucléaire», selon ledit groupe. 

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