Le poison français (2e partie)

09/07/2023 mis à jour: 03:25
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Quelles sont les causes du poison français ? Deux raisons semblent s’opérer, la raison historique et la raison religieuse et les deux sont imbriquées. L’histoire sanglante de la colonisation a généré une mémoire collective française pas totalement réconciliée avec son passé. Ce passé traumatique la France peine à l’admettre. 

Des crimes contre l’humanité furent commis à l’encontre des populations civiles algériennes de 1830 à1960, mais aussi des pratiques qui furent celle du nazisme comme le confirme Germaine Tillon, une des plus illustres résistantes françaises durant la seconde guerre mondiale : «Avant 1957, je n’avais jamais entendu parler de la torture. Sauf par les nazis. Je n’imaginais pas que des Français pouvaient torturer des prisonniers. 

Ce qui se passe sous mes yeux est une évidence : il y a à ce moment-là, en 1957, en Algérie, des pratiques qui furent celles du nazisme. Le nazisme que j’ai exécré et que j’ai combattu de tout mon cœur… Avec en même temps, dans l’Algérie de 1957, une volonté, impuissante, de retenir, de contrôler la cruauté. » (5). Les propos du Président Macron : propos percutants alors rapportés par le journal Le Monde du 2 octobre 2021 : «Une histoire officielle réécrite par Alger construite sur la haine de la France», « la rente mémorielle», «un système politico-militaire fatigué» et son refus catégorique de présenter des excuses aux victimes alors qu’il présentait cette colonisation comme crime contre l’humanité en 2017. Faisant dire à certains : «On ne peut que devenir schizophrène avec des volte-face de la sorte. »
 

Le rapport fantasmé de Benjamin Stora

Il suffit de lire le rapport fantasmé de Benjamin Stora pour prendre la pleine mesure de la manipulation politique de l’historien (3) qui est devenu le conseiller des princes sur l’Algérie depuis plus de 40 années, comme le confirme Olivier Le Cour Grandmaison (6). Incapable de prendre la mesure de la violence coloniale, parlant de brutalisation en Algérie, alors qu’il sait que des crimes contre l’humanité ont été perpétrés, et des centaines de milliers de civils assassinés sans parler de la torture institutionnalisée, des dépossessions des terres, des viols et de la clochardisation de la population. 

Ce conseiller des princes, depuis fort longtemps, tente par un jeu d’équilibriste de vouloir imposer une symétrie des responsabilités des acteurs en présence alors qu’il sait qu’il y avait un colonisateur qui massacrait en masse et des colonisés qui tentaient d’arracher leur indépendance d’une manière artisanale. Le bilan est dramatique et il le sait. Mais il confirme d’une manière tactique qu’il n’est pas nécessaire de proposer de présenter des excuses aux victimes ou aux ayants droits (3). Quant à l’ex-ambassadeur Driencourt, deux fois ambassadeurs de France en Algérie soit 8 années d’exercice, nommé la deuxième fois par le Président Macron, ses propos vont encore plus loin en considérant que les Algériens en responsabilités sont souvent des manipulateurs, assoiffés par le rapport de force, les intérêts personnels et qu’il faut réagir pour inverser ce rapport de force au risque d’une faillite de la France.

 Il affirme : «Le prix de notre aveuglement ou de nos compromissions s’appellera donc immigration massive, sans rapport avec ce qu’elle est aujourd’hui, islamisme conquérant, ghettoïsation de nos banlieues, repentance mémorielle.» «L’Algérie, en ce sens, a gagné le combat contre l’ancien colonisateur : elle reste un problème pour la France, elle s’effondre, mais risque d’entraîner Paris dans sa chute. 

La IVe République est morte à Alger, la Ve succombera-t-elle à cause d’Alger ?» (7) Ce personnage aujourd’hui décomplexé va même jusqu’à menacer l’Algérie sans être fermement recadrer par son ex ministère de tutelle : «Alors disons aux Algériens que nous nous donnons jusqu’à la fin de l’année pour revoir complètement notre relation migratoire et les accords de 1968. Et si, d’ici le 31 décembre, nous n’avons abouti à rien, nous dénoncerons cet accord et tant pis pour vous». (8) Sans parler des intellectuels comme Onfray et les autres. Un point commun à tous ces acteurs, ils sont devenus des idéologues politiques en cherchant désormais ouvertement le rapport de force. A titre d’exemple, ils savent qu’ils heurtent d’une manière frontale la mémoire de ces enfants de l’immigration qui restent fortement attachés à leurs origines et à la mémoire algérienne contrairement à ce qu’ils pensent. Ne pas respecter la mémoire de leurs grands-parents, c’est indubitablement une offense à leurs dignités et ces idéologues le savent. Par prolongement, comment s’étonner de constater la difficulté de ses enfants de la colonisation d’être fiers d’être Français. La fracture est d’autant plus grande qu’ils ne peuvent admettre ce traitement différencié face à l’histoire avec une certaine idéologie française sur l’Algérie où la mémoire de leurs familles est toujours bafouée.
 

L’idéologie française sur l’Algérie accélère le poison

Le Président Macron, Le conseiller Stora, l’ex-ambassadeur Driencourt, les politiques Le Pen, Zemour, Ciotti, Philippe, le philosophe Onfray et tous les autres ont un point commun, une peur bleue d’être submergés par l‘influence algérienne en France en particulier de ces franco- algériens.Avec le risque de demander des comptes sur le passé, y compris en termes de réparation financière des crimes coloniaux. La posture commune à tous ces acteurs : il ne faut rien lâcher sur l’essentiel, comme le confirme le Président Macron dans son interview au journal le Point du 12 janvier 2023 : «Je n’ai pas à demander pardon, ce n’est pas le sujet, le mot romprait tous les liens. Tout en donnant l’illusion aux Algériens qu’on avance par l’installation d’une commission mixte d’historiens composée du côté français de personnalités pour le moins controversées. Comme Jean-Jacques Jordi qui affirme dans un rapport du Sénat (9) par une note détaillée que le nombre de morts du côté algérien serait de 152 000 victimes, chiffre dérisoire, soit 10 fois inférieur aux positions algériennes. 
 

Les Algériens ne sont pas dupes et l’historien algérien Hosni Kitouni (10) a raison de préciser le profil de l’équipe Stora, tous partisans d’une certaine idéologie. Cette idéologie française sur l’Algérie peut se résumer de la sorte : il faut inverser le rapport de force et surtout ne rien lâcher aux Algériens sur l’essentiel c’est-à-dire sur la réparation, car ce serait source d’une nouvelle humiliation insupportable après la perte de l’Algérie française. Avec le risque de tout perdre une seconde fois et de faire sombrer la Ve République comme le souligne l’ex-ambassadeur Driencourt et d’une certaine manière le Président Macron en soulignant : «Le mot pardon romprait tous les liens.» 

Ce mot pardon qui ouvrirait la première porte du chemin de la réparation intégrale des crimes et dommages coloniaux.

La France est malade de l’Algérie, car elle n’a pas su se remettre en question, se soigner. Allant même jusqu’à louer les bienfaits de la colonisation, par une loi en 2005, sans un mot pour les victimes algériennes. Une forme de suicide collectif renforçant toujours un peu plus le poison racisme. Il n’y a pas un jour en France sans interview, article ou émission TV qui n’attaque pas les musulmans et par prolongement les Algériens. Comment ne pas tomber malade et voir chez certains Français d’origine algérienne, une haine de la France qu’il ne faut jamais justifier mais tenter d’expliquer pour sortir de ce piège. 
 

Ce démon colonial est omniprésent dans la mémoire collective française, car on n’a pas su le déconstruire et apporter les justes réponses, c’est-à-dire la reconnaissance et la réparation pleine et entière de toutes les victimes, y compris algériennes. Faire l’exception avec le déni de justice pour les victimes algériennes, comme c’est le cas depuis l’indépendance de l’Algérie c’est inéluctablement un signal fort de discrimination aux Franco-algériens qui ne peuvent que le rejeter et se révolter lorsque le poison s’exprime à leur égard. 

Ce poison qui se fonde en grande partie sur ce déni colonial. Il a fallu 40 ans pour reconnaître qu’il y a eu une guerre en Algérie, il a fallu légiférer en 2005 pour relater les supposés bienfaits de la colonisation espérant noyer le trauma colonial et étouffer les revendications de juste reconnaissance et réparation des victimes algériennes. Il a fallu 60 ans pour qu’on accepte l’idée d’une commission mixte sur la base du rapport Stora donnant l’impression de vouloir concéder quelques éléments accessoires pour préserver l’essentiel c’est à dire la non réparation des crimes et dégâts coloniaux (chimiques et nucléaires). 
 

On ne souhaite toujours pas d’excuses ou de pardon et encore moins de réparation qui est l’enjeu principal. Ce démon colonial (humiliation d’avoir perdu l’Algérie française et perpétuation de l’image des enfants d’indigènes musulmans comme sujets inférieurs) semble constituer un continuum, une problématique désormais déplacée en métropole avec ces enfants de la colonisation. En d’autres termes, la France a souvent été incapable de traiter ces franco algériens comme des égaux. Il reste difficile d’admettre l’égalité pour ces enfants des ex-colonisés. Concrètement, la plupart de ces stéréotypes viennent de très loin et se sont imprimés d’une manière sournoise dans la mémoire collective française sans que le travail de déconstruction soit réalisé. Les politiques de tous bords y compris de gauche ont une lourde responsabilité car ils ont surfé sur cette mémoire fracturée pour capter des électorats divers, y compris des nostalgiques de l’Algérie française. Le temps a été assassin pour ces politiques car ils espéraient effacer la mémoire tragique des victimes de cette colonisation. Le contraire s’est opéré, un attachement à l’Algérie perdure et une soif de reconnaissance plus forte s’exprime pour les victimes et les ayants droit, dont un grand nombre sont devenus français.
 

Aujourd’hui, cette image stéréotypée continue de perdurer spécifiquement dans les médias où d’une manière insidieuse, l’Arabe, le musulman, l’algérien est souvent assimilé à un rebelle, voire à un délinquant, ou à un extrémiste violent qui ne partage pas les valeurs de la république, avec un dernier palier, celui d’être le nouveau porteur de l’antisémitisme français. 
 

L’ASSASSINAT DE NAHEL, VICTIME DU POISON FRANÇAIS ?

L’assassinat du jeune adolescent Franco-Algérien de 17 ans par un policier le 27 juin 2023 a mis le feu aux poudres dans les banlieues où est concentrée la majorité de la population d’origine étrangère, en particulier d’origine algérienne. La question du poison racisme s’impose dans cette tragédie, car nous connaissons depuis longtemps les liens conflictuels entre les personnes d’origine étrangère et les forces de l’ordre en France. 

Il suffit de lire encore le rapport du défenseur des droits pour s’en convaincre :
 

«Les personnes identifiées comme noires et arabes font l’objet de biais et de pratiques discriminatoires d’ordre systémique dans le cadre de leurs relations avec les forces de l’ordre. Page 27» (1).
 

Face à ce constat, une hypothèse s’impose : si le conducteur avait été d’origine européenne, le policier aurait-il réagit autrement. Les premières fausses déclarations des policiers prouvent un fait, leurs comportements fautifs où leurs responsabilités sont pleinement engagées. 

A la justice désormais de caractériser les circonstances de cette terrible tragédie où ces policiers ont failli à leurs missions car on ne tire pas debout face/face sur un jeune individu en fuite ne représentant une menace pour personne. Le combat judiciaire sera long et difficile comme le confirme le défenseur des droits :
«Il reste toujours extrêmement difficile d’obtenir la reconnaissance judiciaire des «contrôles au faciès » comme pratiques discriminatoires compte tenu de la difficulté d’en apporter la preuve face au pouvoir discrétionnaire des forces de police et à l’objectif légitime de maintien de l’ordre.» Page 54. (1)
 

L’Algérie face à ses responsabilités

L’Algérie est au cœur de la politique française depuis très longtemps, n’oublions pas que Louis XIV lorgnait déjà sur l’Algérie au XVIIe siècle en débarquant en 1664 à Jijel mais fut violemment repoussé. Aujourd’hui avec près de 6 millions de ressortissants en France, l’Algérie a raison de se préoccuper de sa communauté à l’étranger. C’est pourquoi son communiqué de presse suite à l’assassinat du jeune Nahel demandant à la France de préserver la sécurité de ses ressortissants, tout en ne cautionnant pas les dérives délinquantes est opportun, car elle connaît la charge du poison français sur ses ressortissants. Mais l’Algérie doit aussi faire beaucoup plus. D’une part en valorisant réellement sa diaspora en France, y compris dans le champ politique et mémoriel pour qu’elle puisse mieux se prendre en main et valoriser les potentiels nombreux (11) loin de tout misérabilisme et d’assistanat mécanique. Cet investissement serait le meilleur moyen pacifique de lutter contre le poison du racisme qu’elle subit quotidiennement. 

D’autre part, en lui permettant d’apporter aussi en Algérie une réelle contribution au développement du pays par des dispositifs encourageant l’investissement, la mobilité des scientifiques et des enseignants. Des supports puissants pour consolider le développement de l’Algérie et freiner l’émigration illégale inquiétante de ses enfants. Les compétences existent, il faut désormais une volonté forte et opérationnelle des autorités algériennes pour les mettre en œuvre. La France n’a pas su s’inspirer de sa réconciliation avec l’Allemagne pour faire la paix des braves avec l’Algérie. Cette France qui avait subi l’innommable mais qui était aussi capable le jour de la victoire sur le nazisme de commettre à son tour l’innommable. Comment caractériser le 8 mai 1945 en Algérie si ce n’est un crime contre l’humanité où des milliers de civils algériens furent massacrés parce qu’ils avaient osé solliciter une égalité de traitement.
 

Le poison français du colonialisme a martyrisé une grande part de la population indigène mais la ténacité des Algériens à devenir des hommes libres fut plus forte. Des Français, y compris de confession juive, ont soutenu cette lutte pour l’indépendance et ont permis à des millions d’Algériens d’être accueillis en France avec bonté et générosité. Ces Français qui continuent de lutter aujourd’hui contre ce poison racisme. Je suis convaincu que cette générosité française est le principal atout d’une réconciliation véritable loin du rapport de force que certains comme Driencourt et les autres tentent d’imposer aux Algériens. L’avenir est commun si on respecte l’autre, l’enfant de l’ex colonisé, l’ex-bougnoule, comme son égal en droit mais surtout en fait car c’est sur ce terrain que se joue la matérialisation du poison.

 Les crimes racistes en France existent depuis fort longtemps, depuis le début du XXee siècle. Ils perdurent encore aujourd’hui, preuve d’une société française malade victime de son trauma colonial, incapable de déconstruire et prisonnière de son passé. La tragédie du jeune Nahel doit tous nous interpeller pour combattre ensemble le fléau du racisme en France. La France et l’Algérie sont condamnées à s’entendre sur cette question et à prendre les mesures les plus énergiques, y compris des réformes structurelles, comme le confirme le défenseur des droits. La jeunesse des deux côtés est prête depuis longtemps mais les résistances coupables souvent des politiques et des idéologues persistent. Au risque de radicaliser définitivement la société française et d’avoir à la prochaine élection présidentielle, un parti xénophobe au pouvoir.
 

Je reste optimiste et je mise sur un avenir proche qui verra peut-être un jour un Président franco-algérien élu en France mais aussi en Algérie. Signe d’une fraternité exemplaire. 

 

 

Par Pr Seddik Larkeche
 Intellectuel Franco-algérien
 

 

Bibliographie
 

1. Le Défenseur des droits, Rapport Discrimination et origines, l’urgence d’agir, 2020.
2. Larkeche S, Le poison français, lettre au Président de la république, Ena, 2017.
3. Larkeche S, Réponses d’un franco-algérien au Président Macron et à Benjamin Stora, Ena, 2021.
4. Labat S, La France réinventée : les nouveaux binationaux franco-algériens, Publisud, 2010.
5. Tillion G, la Traversée du mal, Arlea,1997.
6. Le Cour Grandmaison.O, Sur le rapport de Benjamin Stora, le conseiller contre l’historien, Mediapart,28.01.2021.
7. Driencourt X, Interview, Le Figaro, 8 janvier 2023.
8. Driencourt X, Interview, Atlantico, 12 juin 2023.
9. Boyer, V, Rapport sur la répression d’Algériens le 17 octobre 1961, Senat, 1 dédembre 2021.
10. Kitouni H, interview BerbereTv, 16 juin 2023.
11. Larkeche S, Il était une fois en France, Ena, 2000

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