Le petit Blond de La Casbah, D’Alexandre Arcady : Des contrevérités blessantes et choquantes

04/12/2023 mis à jour: 14:58
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Ecole du Soudan (1957/CE2) : Flici Omar debout, 4e rang droite (cercle)

C’est le ressenti d’un lecteur du livre au film : Le petit Blond de La Casbah (Plon 2003-2023), du réalisateur Alexandre Arcady, qui retourne à Alger avec son jeune fils, pour présenter un long métrage dans l’Algérie indépendante. Je suis choqué des contrevérités retrouvées dans son nouveau roman et son film autobiographique. 

Presque 20 ans après avoir écrit Le petit Blond de La Casbah, Alexandre Arcady adapte son autobiographie au cinéma. Il tente de nous faire revivre ces moments de bonheur, de rires et de larmes de son enfance algéroise d’hier. Mon avis personnel, avec mes références et sensibilités d’un enfant né à La Casbah, ayant fréquenté la même école que le réalisateur et vécu durement cette tragédie algérienne pendant la colonisation française. Le cinéaste Alexandre Arcady joue sur la chronique de l’exil des pieds-noirs et le souvenir du pays perdu à tout jamais, un jour glacial de décembre 1960. 

Du pur mélo à la française, certes, mais du mauvais, du début à la fin : fatalité, amour, haine, amitié, jalousie, joie, religion et l’abandon de la terre natale, de cette grande fresque lourdement romanesque et lyrique. Le film est en salle de cinéma en France, depuis le 15 novembre 2023. Ce film est l’adaptation du récit autobiographique éponyme d’Alexandre Arcady. Le réalisateur de 76 ans, qui a vécu jusqu’à ses 15 ans en Algérie, raconte son enfance, sa saga familiale et le destin des rapatriés français d’Algérie. Accompagné de son jeune fils, il doit présenter son nouveau film qui retrace son enfance heureuse dans «l’une des plus belles villes de France, baignée de soleil, un ciel bleu et de grands boulevards haussmanniens dans l’Algérie coloniale». Un film sur son vécu à La Casbah d’Alger et la nostalgie grandement gardée. Alexandre Arcady est de retour chez lui là-bas. 

L’enfant sépharade lance, dans cette fiction autobiographique, une nouvelle flèche blessante contre nos yaouleds (gamins) qualifiés de «racistes et haineux». Vous affirmez qu’on vous a traités de «sale juif !» dans la cour de récréation de l’école du Soudan, c’est vous qui le dites. Monsieur le réalisateur, je suis choqué, du livre au cinéma, par des contrevérités de votre part. 

On ne peut plus continuer de raviver ce feu, les ruptures affectives sont définitives. Arrêtez d’insister pour que les décisions, les joies, les pensées et les complicités du temps passé se partagent. Votre vivre-ensemble, les larmes et le deuil datent de votre départ de l’Algérie vers la France. Je rapporte les phrases blessantes que vous avez versées sur nous les «yaouleds indigènes», que je refuse, car malveillantes et choquantes. Que chacun médite des deux rives de la Méditerranée, ces mots qui font vraiment mal, rapportés dans son livre autobiographique (Plon, 2003 et 2023).«J’observais ces pauvres gamins qu’on appelait des «yaouleds››, avec un mélange de compassion et de crainte. 

De compassion, car ils étaient sales et mal habillés ; de crainte parce que chez nous, lorsqu’un enfant travaillait mal à l’école, il s’entendait menacé de finir comme petit cireur de chaussures… Au pied de la statue du Duc d’Orléans, des régiments de petits cireurs guettaient leurs clients potentiels parmi les Européens…» «Les Arabes qui vivaient, eux, dans La Casbah tellement nombreux qu’à force de ne pas les voir, on finissait par les oublier…» !  

«Fatima, Aicha ou Kheïra…, il n’y avait pas une famille (pied-noir) même la plus pauvre qui n’avait ‘’sa bonne’’.»  «Car l’école en Algérie fut la plus éprouvante de mes expériences. Non, en raison de la difficulté des leçons, mais parce que c’est la première fois que je fus confronté au ‘’racisme et la haine’’… Mais l’événement déterminant, le virage radical, ce fut mon entrée à l’école du Soudan. L’enfer cinq-cents élèves, des bâtiments immenses et lugubres. Il me fallait soudain affronter la vie, la vraie, l’intolérance et le racisme ».«Sale juif !» Dès mes premiers pas à l’école du Soudan retentit cette vraie éternelle injure qui me poursuivait pendant des mois… L’établissement était majoritairement pour les enfants de La Casbah. 

Le crâne souvent rasé en raison des ‘’parasites, vêtus pauvrement, parfois même de haillons’’…» «Nous n’étions qu’une poignée de Français dans cet établissement de ‘’la ville arabe’’, les enseignants rivalisaient de gentillesse à mon égard, si bien que du jour au lendemain, je devins la ‘’tête de Turc’’ des autres élèves… Il ne me reste qu’un seul souvenir agréable, celui de la grève des écoles décrétée par le FLN… Pendant des semaines, les élèves les plus turbulents restèrent chez eux, empêchés par leurs parents d’aller au cours. Nous n’étions que trois ou quatre par classe : le bonheur… Nous étions là pour toujours. Bientôt les hors-la-loi finiraient peut-être anéantis et tout reprendrait comme avant…». «Les «hors-la-loi », justement mon père (dix-neuf années de légion étrangère) les avaient déjà affrontés en Indochine». «Sur les devantures de boucheries halal, on pouvait voir dans un nuage de mouches, des têtes de mouton sanguinolentes à la langue pendante…» 

Une remarque, ce terme «halal» n’existait pas durant la colonisation française. Vous insinuez : «Le soir au rez-de-chaussée, le gardien espagnol finit de rassembler les poubelles (car nous les sortons au lieu de jeter les ordures dans la rue par la fenêtre, comme c’est l’habitude dans certaines rues plus haut)…» Des «rues plus haut», Monsieur Arcady, c’est la Haute-Casbah, mon berceau de naissance, et selon vous, on jetterait «les ordures dans la rue par la fenêtre». Ah, si les bourricots bâtisseurs de La Casbah pouvaient parler ! «Du lycée Bugeaud, je découvris le calque inversé de l’école de la rue du Soudan. Mais dans les deux cas, c’était la même haine, la même bêtise aveugle qui ne cherche jamais à connaître l’autre autrement que par sa religion ou ses origines. 

Les Arabes ‘’Est-ce qu’ils vont tous nous tuer ?’’» «C’est seulement en décembre 1960 que nous avons vraiment compris l’évidence : pour nous tout était fini.» Décembre 1960… Vous rapportez : «De la terrasse de la rue du Lézard, nous suivons plusieurs jeunes en train d’escalader le dôme de la grande synagogue, derrière le marché Randon. Ils se sont détachés de la horde qui saccage l’intérieur du bâtiment religieux et veulent planter sur le toit le drapeau algérien.» Comment de votre terrasse, distante de 2 kilomètres, vous avez pu vous rendre compte qu’un «sniper les abatte l’un après l’autre, silhouettes désarticulées qui s’écrasent dans la rue en contrebas ? Images horribles dont l’intensité même nous démontrait que les ponts étaient maintenant bien rompus». 
 

Irréel ! 

C’était la joie et les cris «Tahia El Djazair». A ma connaissance, il n’y a eu aucun vol à l’intérieur de la synagogue, on n’a pas souillé les livres de la Torah ni les Tallith et Tephillin. On n’a pas pris les Tables de la loi brodées d’or venus d’Espagne ni touché aux manuscrits qu’ils tiennent de leurs ancêtres castillans. On nous a accusés d’être entrés dans le lieu saint et d’avoir tout saccagé, par exemple les plaques commémoratives sur les murs, arraché les symboles de la foi juive, vidé les armoires, où les gens rangeaient leurs livres, leurs talliths et leur tephillin. Je me rappelle que tout de suite après, les paras bérets rouges ont occupé les lieux, dormaient à même le sol, se saoulaient et forniquaient au sein même de la cathédrale. 

Et ajoutant l’injure à l’insulte, ils ont même mis en place un arbre de Noël… Pour célébrer Noël et le jour de l’An 1960. De la part des ultras : «Les Algériens en voulaient aux Français, alors ils ont tué des juifs…» Et pour conclure, vous affirmez que le 7, rue du Lézard où vous êtes né, «les deux immeubles appartenaient à un seul propriétaire, un riche juif dont je tairai le nom». Et bien ma conclusion est terrible ; je connais le nom de ce riche juif.  Ce gentil propriétaire était selon vous «particulièrement fier de ses enfants, deux garçons et une fille, tous trois médecins… qui exerçaient à l’hôpital Mustapha. Quand on apprît que les trois médecins venaient d’être arrêtés, ce fut un coup de tonnerre rue du Lézard. Et sous quelle accusation : collaboration avec le FLN. La presse les soupçonnait d’avoir aidé à fabriquer des bombes destinées à tuer des Européens. En pleine Bataille d’Alger. 

L’un des fils fut condamné à mort, puis gracié. Le choc ébranla profondément notre communauté : comment un juif pouvait-il choisir le camp des terroristes ?»  Après une petite enquête de ma part, Yaouled des rues de La Casbah, la réponse du riche juif dont vous ne voulez pas donner le nom, est le père de Timsit Moïse Daniel, juif, militant du FLN et anticolonialiste. 

Je vous comprends de ne pas donner son nom, car pour vous, il n’honore nullement la communauté juive. Reprenons vos propos, phrase par phrase : je pèse, chacun de mes mots. Ne pas faire triste, mais juste ! Les faits que les faits. Ça s’additionne et ça fait beaucoup de couches de fausses vérités. Vous dites «racisme et haine…, le bonheur sans les Arabes…, les hors-la-loi…», le «blondinet bien élevé», «le petit juif qu’on me reprochait et non le petit blond». Vous dites que nous, les indigènes yaouleds de notre école du Soudan, qu’on vous a harcelé des mois durant de «sale juif !»  Faux, Monsieur Arcady, une flèche blessante de votre part. Nous, comme vous dites gamins indigènes, nos parents ne nous ont jamais appris à insulter son prochain. 

A La Casbah, c’était amour et amitié avec nos voisins juifs, mais chacun sa mère et sa religion. Vous insinuez votre «bonheur» sans les Arabes, les «hors-la-loi» … Non ! Ils ont lutté pour l’indépendance de leur pays : l’Algérie. Vous êtes parti vers la métropole de votre propre gré, par bateau les sept sur le «pont d’El Djazaïr».Monsieur Arcady, nous étions à la même école du Soudan à la Basse Casbah,  on a sûrement dû se rencontrer dans la cour de récréation. 

A votre départ en 1960 vers la France métropolitaine, vous aviez 15 ans et admis en sixième au lycée Bugeaud. Je pense que vous vous rappelez de ces moments noirs incrustés dans votre mémoire, ce mot que je vomis de «sale juif !» et que nous la majorité des yaouleds n’avons jamais prononcé, à ma connaissance. Vous écrivez, nous enfants yaouleds, colonisés de «sales et mal habillés… en haillons». J’ai en ma possession une photo prise en 1957, en pleine Bataille d’Alger. D’après vous, regardez bien cette photo et méditez. J’avais 7 ans et vous 10 ans.  On était bien habillés, hiver comme été, des gentils yaouleds, tous les bras croisés, obéissant, nos têtes non rasées. Pour nos pauvres parents, les poux, c’était la honte. Si, vous soutenez toujours qu’on était «en haillons… sales… poux», une bonne raison de nous révolter et prendre les armes sans les larmes.  Nos parents, certes pauvres mais dignes, ne nous ont jamais appris à dire «sale juif !»

 Cette injure, c’est du vomi postindépendance. Monsieur Arcady, je n’ai pas grandi dans la haine des juifs. L’amitié entre Arabes et juifs date depuis des siècles. «Le monde est fatigué de la haine». Une photo de l’école du Soudan (décembre 1957) est jointe à cet article. 

Des camarades de l’école du Soudan, devenus des universitaires fort connus à Alger sont des amis proches de mes frères : le colonel Mohamed Chafik Mesbah, le professeur Noureddine Toualbi Thaâlibi, le talentueux footballeur Ait Mesbah Aziz, Bachir Tayeb Beyet l’instructeur FLN, Mohamed Boukhechoura... qui sont devenus des hauts cadres de l’Etat, des professeurs d’université, des médecins, architectes, avocats… Et vous, dommage, comme vous le rapportez : «Les études secondaires ratées… pas assez intello…, je les aurais sans doute menées à leur terme, si je n’avais donné ma préférence à la construction du jeune Etat d’Israël et au travail d’ouvrier agricole, dans un kibboutz en Galilée…» 

Monsieur le réalisateur, chacun sa mère, sa religion, son argent et sa patrie. Vous, le kibboutz, et moi mon service militaire dans le Sahara algérien à l’hôpital de Reggane, pour soigner les enfants des mères contaminés par la première arme nucléaire française. 

Du lycée Bugeaud, à la cité Balzac à Vitry-sur-Seine, vos études secondaires, suivies à Paris au lycée Voltaire, vous reconnaissez : «Je les aurais sans doute menées à leur terme si je n’avais donné ma préférence à la construction du jeune Etat d’Israël et au travail d’ouvrier agricole, dans un kibboutz en Galilée…» Vous militiez dans votre jeunesse au sein du mouvement de jeunesse sioniste Hachomer Hatzair. 

En 1966-1967, vous êtes parti en Israël dans un kibboutz près de la frontière libanaise. Vous n’avez jamais fait d’école de cinéma, ni assistant réalisateur, ni suivi d’études secondaires et c’est peut-être une bonne chose, vu vos succès sur la nostalgie-tragédie des juifs pieds-noirs d’Algérie. Vous êtes vraiment sincère dans vos propos.Votre compagnon de l’école du Soudan, «le sale en haillons, le pouilleux» est devenu médecin, grâce à mon pays l’Algérie, en continuant mes études secondaires pour une Algérie libre et indépendante, effectuant mon service militaire et civil comme vous Monsieur Arcady, non dans un kibboutz mais pour soigner les femmes et nouveau-nés de mon pays, exactement à Reggane où il y a eu la première bombe atomique française. 

Faites, un documentaire sur les Refuzniks (objecteurs de conscience) qui sont de plus en plus nombreux à refuser les rangs de l’armée israélienne de Tsahal pour accomplir leur service militaire. Je vous félicite d’avoir fait un parcours atypique, sans avoir fait d’école de cinéma, ni d’études secondaire et réussir à faire des films nostalgiques aux forts accents pieds-noirs, «l’accent de là-bas qui sent le jasmin et la fleur d’oranger». 

Je le reconnais, comme dirait Camus : «La pensée d’un homme est avant tout sa nostalgie.» Je vous invite à La Casbah, mon berceau, à passer un agréable séjour dans votre pays perdu l’Algérie d’avant, «où coulent le lait et le miel». Je continue mon calvaire où vous avez dit : «Oublier cela (sale juif !) serait commettre ce pire des crimes, celui de l’oubli.» 

Certains à Alger, vos amis algériens vous accueilleront avec honneur et c’est leur droit. Mais l’oubli est impossible, pour «nous racistes et haineux, sales… en haillons, crâne rasé, poux…, et vous tête de Turc de notre part, l’ouvrier agricole, le gentil blondinet qu’on maltraite. Le passé pour nous, yaouleds, c’était la joie, la mer, la baignade à Padovani et le soleil et non la haine du «sale juif !». 

Le traumatisme mémoriel certes existe, mais c’est notre riche passé de l’avoir vécu par les armes et le sang de nos martyrs. Le passé  on ne peut le changer, c’est ancien et cimenté dans nos mémoires. Il ne meurt jamais. Il est vivant, quotidien et nous aide à bien dormir. La vérité dérange. Le cinéma, c’est l’amour et non la haine de l’autre. Le film d’une vie est terminé. Il ne vous reste que la mémoire pour préserver vos souvenirs de «paradis perdu sur une terre âpre, violente, mais si infiniment attachante… d’une mer omniprésente». 

La mélancolie du pays perdu… La nostalgie gardée sur une Casbah perdue, du bon temps des colonies, Non ! Et pour vous faire plaisir, je termine par un proverbe juif : «Avec un mensonge, on va très loin, mais sans espoir de revenir en arrière.» On ne sait plus où vous êtes : ici ou là-bas ? Faites un film ou un documentaire sur ce qui se passe à Ghaza. Il y a une épuration ethnique en cours, un crime de guerre, une occupation illégale et violente.  

De ma part, ni discours ou incitation à la haine ou à la discrimination, ni racisme, ni violence verbale. Pour conclure, je me répète, je n’ai pas grandi dans la haine des juifs, et on ne m’a jamais inculqué un antisémitisme viscéral de vous avoir traité de «sale juif !». Un film de votre part sur ces crimes coloniaux atroces en Algérie et vous serez notre camarade de l’école du Soudan. Le blond et le basané de La Casbah, la main dans la main et non «une main devant, une main derrière», comme rapportée par vos parents lors de l’exil vers la France métropolitaine. Le déracinement, vous en êtes responsable, comme vous le dites : «Obligé de quitter sa terre, ces racines…». 

Et je termine : Non aux porteurs de fausses vérités et en ces circonstances, ce qui se passe à Ghaza, un mauvais timing de rappeler cette période douloureuse de la guerre d’Algérie de ce film soi-disant tendre, jovial, cocasse et poignant. Dans ce nouvel opus, le ridicule l’emporte parfois sur l’émotion. Le film tout simplement, la nostalgie complaisante d’Arcady est à mettre dans les poubelles de l’histoire du cinéma français. 

 

Par Flici Omar
Gynécologue-obstétricien

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