Le pays a deux premiers ministres depuis jeudi : La Libye s’enfonce dans la crise

12/02/2022 mis à jour: 21:05
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Le Parlement siégeant à Tobrouk a désigné l’ex-ministre de l’Intérieur, Fathi Bachagha, pour remplacer Abdelhamid Dbeyba à la tête du gouvernement intérimaire

Où va la Libye ? Déjà miné par la fracture entre l’Est et l’Ouest, le pays s’est davantage enfoncé dans la crise en se retrouvant avec deux Premiers ministres rivaux à Tripoli, après avoir manqué l’échéance électorale cruciale de décembre 2021. 

Dans ce qui s’apparente à un coup de force institutionnel du camp de l’est de la Libye contre celui de Tripoli, le Parlement siégeant à Tobrouk (est) a désigné, jeudi, l’influent ex-ministre de l’Intérieur, Fathi Bachagha, pour remplacer Abdelhamid Dbeyba à la tête du gouvernement intérimaire. 

Anticipant ce vote, M. Dbeyba a fait savoir, à plusieurs reprises, qu’il ne céderait le pouvoir qu’à un gouvernement sorti des urnes. Cet imbroglio institutionnel n’est pas une nouveauté, puisque le pays avait déjà été dirigé, entre 2014 et 2016, par deux Premiers ministres rivaux. Mais c’était en pleine guerre civile, avant l’accord sur la tenue d’élections en décembre dernier, finalement reportées, et la mise en place d’un gouvernement d’union censé achever la tumultueuse transition ayant débuté après la mort du dictateur Mouammar El Gueddafi, en 2011. 

«La motivation de nombreux députés est de conserver leurs postes et leurs privilèges, plutôt que de permettre un processus menant sans heurt aux élections», estime Peter Millett, ancien ambassadeur britannique en Libye, interrogé par l’AFP. 

L’espoir d’une pacification était pourtant bien réel. Fin 2020, peu après l’échec du maréchal Khalifa Haftar – homme fort de l’Est – à conquérir militairement l’ouest du pays, un accord de cessez-le-feu avait été signé, suivi du lancement d’un processus de paix parrainé par l’ONU. 

«La voix du peuple»

C’est dans le cadre de ce processus que M. Dbeyba a été désigné, il y a un an, à la tête d’un nouveau gouvernement de transition, avec pour mission d’unifier les institutions et de conduire le pays à des élections présidentielle et législatives initialement prévues le 24 décembre. 

Loi électorale contestée, candidats controversés, tensions sur le terrain... Le processus de transition censé sortir la Libye d’une crise qui perdure depuis la chute d’El Gueddafi a rapidement déraillé. 

Et les élections, sur lesquelles la communauté internationale fondait de grands espoirs pour enfin stabiliser le pays et en finir avec les ingérences étrangères, ont été reportées sine die. 

Pour le Parlement basé dans l’Est, le mandat de M. Dbeyba a expiré avec ce report, alors que le gouvernement assure que sa mission ne s’achèvera qu’avec la désignation d’un nouveau gouvernement élu. 

«On parle d’un clivage entre l’Est et l’Ouest, mais la grande division est maintenant entre le peuple libyen, qui veut des élections, et l’élite politique, qui n’en veut pas. La voix du peuple n’est pas entendue», affirme M. Millett. 

Le désenchantement est d’autant plus grand que le scrutin avait suscité un engouement certain chez de nombreux Libyens. Quelque 2,5 millions d’entre eux, sur une population d’environ 7 millions, avaient retiré leur carte d’électeur en vue du jour J. 

La nomination de M. Bachagha «semble être une décision visant à priver la population du droit de vote, en repoussant encore plus loin les élections, exacerbant le risque d’instabilité à Tripoli», poursuit M. Millett, pour qui le pays fait désormais face à une «grande incertitude qui ne sert pas le peuple libyen». 

« Droit de vote»

L’ONU a justement fait savoir jeudi soir, par la voix de son porte-parole, Stéphane Dujarric, qu’elle continuerait de soutenir M. Dbeyba. M. Bachagha, un poids lourd de la scène politique locale, bénéficie de l’appui du Parlement mais aussi du maréchal Khalifa Haftar, soutenu par l’Egypte et les Emirats arabe unis. 

Dans la région de Tripoli, l’un comme l’autre disposent du soutien de groupes armés encore très influents dans l’ouest du pays, mais dont les allégeances sont traditionnellement mouvantes. 

«Ce qui est potentiellement dangereux, c’est la violence à Tripoli, car Bachagha et Dbeyba ont tous deux des liens profonds dans l’ouest de la Libye», confirme, à l’AFP, Amanda Kadlec, ancienne membre du groupe d’experts de l’ONU sur la Libye. 

Selon elle, «les milices se rangeront du côté de celui qu’elles perçoivent comme détenteur du pouvoir. S’il n’est pas capable de leur attribuer des postes, de leur verser des salaires et de leur fournir des armes, alors il n’y a aucune raison pour que les groupes armés qui soutiennent Dbeyba continuent de le faire.» 

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