Le doute gagne les alliés potentiels du Président Saïed : La Tunisie dans la tourmente

23/03/2022 mis à jour: 00:38
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Le président Saïed de plus en plus isolé

Huit mois après le coup de force du 25 juillet 2021 du président Saïed, les choses ne semblent pas se préciser en Tunisie, même avec la fin, le 20 mars 2022, de la consultation populaire à distance, représentant la 1re étape de la feuille de route de la transition prévue. 

526 000 personnes ont participé à cette consultation en ligne, ce qui représente moins de 20% des électeurs lors des divers scrutins de la Tunisie de l’après-Ben Ali. Les questions portaient, il est vrai, sur des problèmes complexes pour le Tunisien lamda, comme le mode électoral (uninominal ou liste), les causes de la récession économique ou le modèle de développement. 
 

Cette consultation sert, dans la feuille de route du président Saïed, comme socle pour le référendum populaire prévu le 25 juillet prochain, qui accordera de la légitimité populaire aux choix du Président. Il est prévu que le régime politique deviendrait alors présidentiel. Une commission d’experts, pas encore divulguée, analysera les réponses et s’en inspirera pour les questions du référendum. 

Certaines d’entre elles porteront sur le régime politique, le mode électoral et le modèle de développement. Les universitaires Mohamed Salah Ben Aissa, Sadok Belaïd et Amine Mahfoudh sont pressentis pour faire partie de la commission qui rédigera les questions du référendum, puisqu’ils ont régulièrement rencontré le président Saïed lors de l’élaboration de sa feuille de route, précisée dans le décret du 13 décembre 2021. «Rien n’est encore clair et j’accepterai volontiers d’assister le processus en dehors de la commission», n’a toutefois cessé d’assurer le Pr Amine Mahfoudh, le plus disponible des experts sur les médias pour évaluer la transition en cours. «J’ai toujours dit que la Constitution de 2014 représente un obstacle à la stabilité politique et qu’il fallait l’amender», a-t-il déclaré. Et de souligner que «le coup de force du 25 juillet 2021 était nécessaire pour faire bouger les choses». 
 

Il est toutefois utile de souligner que la quasi-majorité de la classe politique se trouve écartée du processus en cours en Tunisie. Cela concerne aussi bien l’équipe du pouvoir que les partis de l’opposition, à savoir, d’un côté, les islamistes d’Ennahdha, Qalb Tounes du magnat des médias Nabil Karoui, et les islamistes radicaux d’Al Qarama. D’un autre côté, les partis Ettayar et Chaâb, formant le bloc démocratique, ou encore le Parti destourien libre (PDL), de Abir Moussi, constituaient l’opposition ; tous ces partis sont écartés du processus de transition en cours en Tunisie, tout comme les organisations nationales, l’UGTT et l’Utica, qui avaient constitué la cheville ouvrière du dialogue national de 2014 et avaient obtenu le Prix Nobel de la Paix en 2015, en récompense.

 Il s’affirme, au fur et à mesure de l’avancement du processus, que le président tunisien est prudent quant à l’association de composantes de l’ancienne structure dans la conception du nouveau pouvoir. Le secrétaire général de l’UGTT, Noureddine Taboubi, est formellement opposé à ce choix. «Quiconque, aussi fort et intègre soit-il, ne saurait décider seul de l’avenir du pays», a-t-il déclaré avant-hier à Jendouba, où il a présidé le congrès de l’Union régionale de travail. 
 

Doutes
 

Ce blocage politique survient alors que la Tunisie n’arrive pas encore à obtenir un accord avec le Fonds monétaire international sur un plan de redressement économique et financier et que l’agence Fitch rating a abaissé la note de défaut émetteur de la Tunisie de B- à CCC. Les pays occidentaux, amis de la Tunisie, ne cessent de dire, tout comme les institutions financières internationales, qu’ils continuent à soutenir la transition en Tunisie. Ils recommandent toutefois de rétablir au plus vite les structures représentatives à travers des élections.

 La feuille de route du président Saïed pourrait les satisfaire puisqu’elle assurerait un minimum de représentativité, avec un scrutin transparent. Encore faut-il que le président tunisien parvienne à installer une commission électorale indépendante et qu’elle dispose du temps nécessaire pour assurer le scrutin dans les conditions requises. 
 

Sur un autre plan et concernant le quotidien du Tunisien, un décret-loi contre la spéculation a fini par tomber, quelques jours avant le début du mois de Ramadhan. Les délits qu’il condamne concernent les fake news autour de l’approvisionnement du marché et certains produits déterminés, l’augmentation non justifiée des prix et, en général, la dérogation non justifiée aux lois du marché. Les sanctions incluses dans ce décret partent de dix ans de prison pour atteindre la perpétuité et 500 000 dinars tunisiens (160 000 euros) d’amende lorsqu’il s’agit de spéculation en situation exceptionnelle (pandémie ou autre). 

Lesdites sanctions sont cumulées à l’interdiction de pratiquer le commerce ou d’assumer des fonctions d’élu, ainsi que la confiscation du matériel ayant servi au délit. Le président Saïed veut frapper fort pour réussir sa mission contre la corruption. En a-t-il les moyens ?
 

Tunis
De notre correspondant  Mourad Sellami
 

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