Lundi dernier à 16h a été projeté à la cinémathèque d’Oran Le dernier bouquiniste de Hadj Fitas et Abderrahmane Mostefa, un film qui braque ses caméras sur la fameuse rue Audebert, au tout début du boulevard Emir Abdelkader où le célèbre bouquiniste d’Oran, celui qu’on appelle affectueusement Ammi Moussa, y a officié pendant près d’une vingtaine d’années.
A vrai dire, le projet de ce film remonte à l’année 2016 quand, au mois de septembre, Hadj Fitas et Abderrahmane Mostefa se sont rendus chez le bouquiniste lui proposant de le filmer pour les besoins d’un documentaire. On peut ainsi le voir, à cette époque, parlant longuement de son parcours, de son amour des livres, des auteurs qui l’ont marqué, de son métier qui risque la disparition tant les gens, happés par leurs smartphones, lisent de moins en moins. Il a raconté ses premières années à Oran quand il travaillait le matin au marché Michelet et l’après-midi sous les arcades où il étalait ses livres.
En 1975, décidant de se consacrer exclusivement aux livres, il loue un petit local à la rue Mostaganem jusqu’à 1998, année où on avait démoli l’immeuble qui l’abritait pour ériger une résidence flambant neuve. Il se déplace dans un autre local, distant du précédent d’à peine quelques centaines de mètres, au boulevard Marceau, et y reste jusqu’à 2003, année où la location s’est élevé à 20 000 DA mensuellement. Le bouquiniste ne pouvant se permettre cette hausse, il décide, sur un coup de tête, d’aller garer sa vieille voiture russe au début d’une impasse, entre le boulevard Emir Abdelkader et la rue Mostaganem, à savoir la rue Audebert.
Ovations de la salle et débat vif
On peut dire aujourd’hui, sans exagérer, que Ammi Moussa avait accompli la prouesse de participer, avec ses livres, à l’animation de cette rue désertique et quelque malfamée, jusqu’à 2013, année de la mise en fonction du tramway qui avait apporté au bouquiniste un flot de potentiels lecteurs. Certaines scènes ont ému le public quand on le voit avec son fils, discuter ou blaguer et de sa femme qui confie à la caméra avoir fait avec Ammi Moussa un mariage d’amour et non de raison et qu’ensemble, ils font face à la vie, se serrent les coudes. Plusieurs habitants d’Oran, mordus de lecture, sont aussi filmés en venant lui rendre visiter, acheter des livres, lui en offrir aussi ou tout simplement papoter avec lui longuement et passer le temps.
Si le film est resté longtemps dans les tiroirs, c’est à la faveur du retour du festival d’Oran, et de l’appel à projet qui a été lancé, que Hadj Fitas et Abderrahman Mostefa ont saisi au vol cette opportunité et se sont empressés de le finir. En juin 2024, munis de leur caméra, ils se sont de nouveau rendus à la rue Audebert, mais l’ambiance hélas, n’était plus «bon enfant» comme huit ans auparavant.
C’est le fils Mehdi, qui travaille dans les décors de cinéma, au gré des tournages, qu’on retrouve confiant aux réalisateurs que son père, très mal en point et affaibli par la maladie, ne vient à sa bouquinerie en plein air que très rarement. Bravant quand même le mal qui le ronge, Ammi Moussa se rend à la rue Audebert et s’installe dans sa vieille voiture. Malgré sa difficulté à parler, il est tout sourire et on ressent l’émotion qui dégouline dans la salle.
Au départ, il était prévu qu’il vienne, en ce jour, à la cinémathèque pour assister au film qui lui rend hommage, malheureusement, la mort a eu raison de lui quelques jours à peine avant le début du festival. Le film a reçu les ovations de la salle et un débat vif s’est ensuite engagé dans le public. Hadj Fitas l’a conclu en déclarant que la meilleure manière de venir en aide aux bouquinistes, et permettre à ce noble métier de ne pas disparaître, est tout simplement d’aller chez eux une fois de temps en temps et acheter un ou plusieurs livres.