Le coup de gueule de Sellal

08/01/2022 mis à jour: 01:44
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Photo : D. R.

L’ex-Premier ministre Abdelmalek Sellal s’est défendu, jeudi dernier, en affirmant avoir assumé «une fonction politique» et, de ce fait, il n’est ni un agent public ni un fonctionnaire pour être visé par la loi sur la corruption. Il qualifie les poursuites de «nulles et non avenues» et précise que la décision prise en tant que Premier ministre était politique et collégiale. Les deux anciens walis Mohamed Hattab et Abdelkader Zoukh ainsi que l’ex-ministre des Ressources en eau, Hocine Necib, ont tous nié les faits qui leur sont reprochés.

Au deuxième jour du procès des frères Chelghoum, propriétaires et gérants du groupe Amenhyd, devant le pôle financier et économique près le tribunal de Sidi M’hamed, à Alger, de nombreux prévenus ont été entendus, mais c’est l’audition de l’ancien Premier ministre, Abdelmalek Sellal, qui a le plus retenu l’attention d’une assistance nombreuse.

Malgré sa mine défaite, Sellal ne mâche pas ses mots. D’emblée, il lance au juge, qui lui cite les griefs retenus contre lui : «Je ne suis concerné ni de près ni de loin par cette affaire. Ma mission en tant que Premier ministre est politique. Le Premier ministre n’est ni un fonctionnaire ni un agent public. Les hautes fonctions de l’Etat, les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, ainsi que le Premier ministre, sont définies, par le décret 01/17, comme fonctions politiques.

Ce ne sont pas des fonctionnaires. La loi sur la base de laquelle je suis poursuivi ne s’applique pas sur moi, en tant que Premier ministre. Toute la procédure est pour moi nulle et non avenue.»

Le juge le ramène aux faits. «Je n’avais pas l’intention de les aborder, mais ‘‘maâliche’’ (ça ne fait rien, ndlr), je vais vous parler de ce projet de transfert d’eau potable.

En tant que Premier ministre, chef de l’Exécutif, j’avais présidé un Conseil du gouvernement, où le ministre des Ressources en eau avait demandé l’accord pour recourir à la procédure de gré à gré. Il faut savoir que cette procédure ne peut être accordée que par le gouvernement, avec ses 33 ministres. La décision n’est pas celle du Premier ministre.

Elle est collégiale. J’ai été durant cinq ans Premier ministre. Jamais quelqu’un n’est resté aussi longtemps à ce poste, même en dehors du pays. J’ai une grande expérience», dit-il avant que le magistrat ne lui rappelle : «Donc, c’est vous qui aviez autorisé le gré à gré ?» Sellal : «C’est le conseil du gouvernement avec ses 33 ministres.

Lorsque le dossier est arrivé, il était accompagné d’un rapport du ministre des Finances et d’un autre détaillé, émanant du directeur général de l’ADE (Algérienne des eaux), sur la situation très difficile à laquelle étaient confrontés les habitants de Mansoura, située à l’ouest de Bordj Bou Arréridj et à l’est de Bouira, en raison de la crise de l’eau potable. J’étais ministre des Ressources en eau, puis ministre des Travaux publics et des Transports avant de devenir Premier ministre. Je connais très bien les problèmes du pays.

L’eau était inexistante à Mansoura et toutes les communes avoisinantes. Elles étaient alimentées par des citernes et ne recevaient que 30 litres par semaine. Je lisais les rapports sur cette grave crise de l’eau. En tant que responsable, que voulez-vous que je fasse ? Que je dise aux citoyens qui ont soif d’attendre l’avis d’appel d’offres qui peut prendre au minimum 18 mois ?

D’attendre le cahier des charges, qui peut prendre 3 à 6 mois ? J’ai été wali durant 10 ans, chef de daïra durant 6 ans et Premier ministre durant 5 ans. Je connais tous les problèmes. ll faut attendre au moins 90 jours pour faire passer le projet par la commission nationale des marchés et 18 mois pour le démarrage des travaux. En attendant, dois-je laisser les citoyens livrés à la soif ?»

«Je ne comprends pas ma présence dans toutes ces affaires»

Le juge : «Vous aviez donc donné l’accord.» Sellal : «L’initiative est venue du ministre des Ressources en eau, et le gouvernement a donné son accord parce qu’il y avait une urgence impérieuse.» L’ex-Premier ministre explique que le choix du groupement (société publique, Foremhyd et le groupe Amenhyd) a été décidé «du fait qu’il avait réalisé en 2012 la première tranche du projet, qu’il était sur place avec toute sa logistique et ses équipements et qu’il avait accepté de maintenir les mêmes prix que ceux de 2012». Pour lui, «c’est un exploit».

Sellal explique : «Le projet consistait en la réalisation de 800 km de transfert et de 12 réservoirs d’eau potable en 22 mois, sachant que la construction d’un seul réservoir peut prendre jusqu’à 18 mois. En une année, les premières communes ont commencé à avoir de l’eau potable. C’est le gouvernement qui a donné l’accord pour le gré à gré, pas le Premier ministre.

Celui-ci n’a pas de relation avec ce projet. Il n’est ni ordonnateur ni maître de l’ouvrage.» Le juge : «Pourquoi avoir choisi Amenhyd ?» Sellal réplique : «Parce qu’il était sur place, il a réalisé avec succès la première tranche du projet, son offre en matière de prix et de délais était très intéressante et était composée d’un partenariat privé-public.

Nous ne nous sommes pas trompés. Au bout d’une année, deux communes étaient déjà connectées au réseau d’eau potable. Le gouvernement a pris une décision politique collective. Je ne suis pas concerné par cette affaire. La décision a été une réussite.» Sellal regagne le box.

Avant lui, Hocine Necib, ancien ministre des Ressources en eau, avait été auditionné. Lui aussi évoque la situation «d’urgence» suscitée par la crise de l’eau potable dans la région de Mansoura, à Bordj Bou Arréridj. «J’avais pris la décision de solliciter le groupement Foremhyd-Amenhyd, qui avait réalisé la première tranche du projet en 2012, pour un contrat de gré à gré.

Il y avait une urgence impérieuse. Dans ce cas, la loi permet d’engager les travaux avant la signature du marché. C’est ce qui a été fait. Le gouvernement a donné son accord.

Je ne peux pas prendre une telle décision sans avoir l’autorisation de l’Exécutif. La crise de l’eau était très grave.» L’ex-ministre révèle que face à la passivité des mairies, de nombreux quartiers ont été créés sans installation de réseaux d’assainissement et d’eau potable. «La population recevait 27 à 50 litres d’eau par personne et par jour. Il fallait à tout prix alimenter les habitants, dont le nombre a sensiblement augmenté.»

Avec la même assurance, l’ancien wali de Sidi Bel Abbès, Mohamed Hattab, affirme que Amenhyd «est venu avec un projet de 600 millions de dinars (60 milliards de centimes) et plus d’une centaine d’emplois», dans une zone industrielle où il n’y avait rien du tout.

«Il fallait retenir le projet pour qu’il n’aille pas ailleurs»

Il ajoute : «Il fallait le retenir pour qu’il n’aille pas ailleurs. Je lui ai dit de faire une demande de concession. Quelques jours après, le directeur de l’industrie m’a présenté une étude d’évaluation du projet. Pour garder l’investissement dans la wilaya, je lui ai signé un accord de principe, en attendant que le dossier aboutisse. Il ne s’agit pas de trois terrains, comme il est dit dans l’enquête, mais d’un seul.»

Appelé à la barre, l’ancien wali d’Alger, Abdelkader Zoukh, se doit d’expliquer dans quelles conditions la concession foncière située à Ouled Fayet, à Alger, a été accordée au groupe Amenhyd, pour la réalisation d’un mall.

Il affirme que le dossier «est passé par toutes les étapes et a été validé par une commission au niveau de la wilaya avant d’avoir l’accord du ministère des Finances».

Zoukh souligne, par ailleurs, que l’acte de la concession foncière n’est pas signé par le wali, mais par les services des domaines, précisant que le projet d’Amenhyd était «très important» et que «le dossier ne comportait aucune illégalité. Il s’est acquitté de toutes ses redevances».

Les auditions des témoins et les questions des avocats se sont poursuivies tard dans la journée. L’audience reprendra demain, avec le réquisitoire et les plaidoiries de la défense.

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