Le Burkina Faso, la France et Wagner

28/01/2023 mis à jour: 03:28
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Dans les années 1960, un journaliste français, accompagné de son collaborateur, Patrice Lumumba, devenu icône de la décolonisation et Premier ministre congolais, rapportait les propos du chantre de la libération de l'Afrique, le Ghanéen progressiste Kwame Nkruma, qui les recevait sur la terrasse de son antre romantique, battu par les vents de l'océan Atlantique. Il les gratifia d'une longue philippique contre l'idéologie post-coloniale française. «Elle finira mal», répétait-il. Il dénonçait «l'art de la France de "couver" les élites politiques noires, vestige, disait-il, de sa prétention universelle à exporter un modèle, qui ne l'est pas». Nkruma est le contraire et à l'opposé de nombreux leaders politiques africains à l'époque. Comme Houphouët, enfant gâté de la Côte d'Ivoire, «fille aînée de la France», incarnant avec ses pairs africains, Omar Bongo, Sassou Nguesso, Debby, Tombalbay, Eyadema. Mobutu, Ahidjo, Bokassa, ami de Giscard et ses diamants, Senghor, Gbagbo, Ouattara, Bedié, les prototypes, des présidents inféodés à la puissance tutrice et qui ne s'en cachaient pas. La France, pour sa part, aime à rappeler, avec son corps expéditionnaire, qu'elle a consacré à l'Afrique subsaharienne d'obstinés dévouements et une coûteuse assistance. Sans trop évoquer la contrepartie, qui consiste en une influence certaine sur une bonne partie ouest du continent, puisque dans la plupart des pays francophones, qui ont facilité le maintien des bases militaires françaises, un tissu commercial non négligeable, des pactoles pétroliers et l'extraction d'autres richesses non moins importantes se sont développés. Alors que la monnaie CFA a été maintenue, quoi qu'il en coûte, pour asseoir indéfiniment une domination injuste et pesante. On sait ce qu'il est advenu d'El Gueddafi, lorsqu'il a envisagé le projet d'une monnaie unique africaine, financé presque entièrement par ses soins. Le projet basé à Yaoundé n'a pas vu le jour en raison du refus de plusieurs présidents africains sous l'aile intéressée de l'ancienne puissance, qui voyait d'un mauvais œil cet intrus marcher sur ses plates-bandes et anéantir ses desseins en Afrique. Desseins, de plus en plus contestés  devant l'opprobre international suite au génocide rwandais, dans lequel la partie française était montrée du doigt, de même que dans la guerre civile en Côte d'Ivoire (2002/2007), où l'implication et la partialité françaises ont été dénoncées.

Mais cette influence suffit-elle à justifier les régressions, les instabilités récurrentes, le sous-développement persistant, la pauvreté, le chômage, qui rythment la vie de ces pays ? Les élites dirigeantes corrompues ne peuvent dégager leurs responsabilités, de par leurs gestions catastrophiques, sous l'ordre mercenaire des derniers exploiteurs, inquiets de l'influence grandissante de puissances comme la Chine et la Russie. C'est dans cette atmosphère tendue que le Burkina Faso demande aux troupes militaires françaises de quitter le pays d'ici un mois, en précisant : «Ce que nous dénonçons, c'est l'accord qui permet aux forces françaises d'être présentes au Burkina. Il ne s'agit pas de la fin des relations diplomatiques entre les deux pays.» En attendant, l'ambassadeur français est illico rappelé à Paris. Apparemment, c'est la même logique de rompre avec l'ancienne puissance coloniale qui prévaut, même si ici la présence de Wagner n'est pas effective. Cette situation rappelle le Mali, d'où les soldats français se sont retirés quelques mois auparavant, mais aussi celle de la Centrafrique, qui a connu la même fin. Faut-il rappeler, qu'en décembre 2013, la France a déployé plus de 1600 soldats en Centrafrique, dans l'opération «Sangaris», pour faire cesser les violences intercommunautaires entre les anti-balaka chrétiens et les musulmans de la Seleka. L'opération s'est achevée en 2016. En 2021, la France décide de suspendre sa coopération militaire avec la Centrafrique, jugée «complice» d'une campagne anti-française, téléguidée, selon elle, par la Russie, qui confirme la présence de 1135 experts militaires russes du groupe Wagner en Centrafrique. Il y a un mois, les derniers militaires français quittaient ce pays.

Les Etats-Unis, qui n'ont pas perdu la main en Afrique, traquent le groupe paramilitaire russe Wagner, qui a essaimé sur le continent africain et auquel les Américains ont infligé de nouvelles sanctions pour ses activités en Ukraine, aux côtés de l'armée régulière russe.

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