Latifa Lamhene. Présidente de l’Association nationale des hémophiles : «Le bilan d’hémostase demandé doit être un standard pour chaque enfant»

01/04/2024 mis à jour: 18:14
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Photo : D. R.

- Tout d’abord, qu’est-ce l’hémophilie ?

L’hémophilie est une maladie génétique qui se traduit par un trouble de la coagulation et qui touche essentiellement les garçons. Une naissance sur 5000 garçons peut avoir l’hémophilie.

Autrement dit, lorsqu’un saignement commence chez un enfant hémophile, surtout s’il est jeune, celui-ci saignera pendant longtemps et pouvant même entraîner sa mort s’il ne prend pas le traitement adéquat.

En grandissant, de nouveaux symptômes appariassent chez ce petit garçon hémophile. En effet, on peut retrouver des bleus sur son corps, des ecchymoses ou bien des hématomes. Plus tard, on peut avoir des hémarthroses.

  • Une personne peut-elle être atteinte d’hémophilie sans antécédents familiaux ? Quels sont les risques liés à la circoncision ?

Selon les études faites par la Fédération mondiale de l’hémophilie, 30% des cas d’hémophilie sont des cas sporadiques. On peut même dire que désormais, le chiffre a augmenté, atteignant les 50%.

Autrement dit, la maladie peut survenir sans aucun antécédent familial. Beaucoup de familles font circoncire leur enfant le 27e jour du mois sacré sans analyses médicales. Et malheureusement, nous avons de mauvaises surprises chaque année. La raison : les parents n’ont aucun antécédent d’hémophilie dans leur famille et ne savent même pas de quoi il s’agit exactement.

Il est vrai que l’hémophilie est une maladie héréditaire, mais plus de 30% des cas sont des cas sporadiques. Et sans analyses médicales, on ne peut pas le savoir. Avant, les familles algériennes faisaient circoncire leurs enfants avant la rentrée scolaire, ce qui nous laissait le temps de dépister. Aujourd’hui, nous faisons face à un nouveau phénomène.

La majorité des familles font la circoncision, soit durant le 27e jour du mois sacré ou alors 7 jours après la naissance de l’enfant et cela, sans analyses médicales. Ce qui entraîne de mauvaises surprises.

En fait, soit les parents emmènent l’enfant directement à l’hôpital et demandent au chirurgien de l’opérer sans bilan préopératoire ou carrément certaines familles font venir un médecin, voire même un infirmier, à la maison pour pratiquer l’acte chirurgicale sans penser à faire les analyses.

Et malheureusement, il y a souvent des décès. D’ailleurs, on reçoit souvent des appels dans le cadre de l’urgence, généralement la nuit, de parents dont l’enfant a été circoncis mais n’arrête pas de saigner. On les oriente alors vers les services de pédiatrie qu’on connaît ou les centres d’hémophilie pour que l’enfant soit pris en charge et bien évidemment, on commence par faire un bilan.

  • Quels sont les examens à inclure dans le bilan avant la circoncision ?

On analyse d’abord le TP, le TCK. Normalement, le bilan d’hémostase demandé doit être un standard pour chaque enfant. Il faut savoir que dans le cas des familles qui ont des antécédents d’hémophilie (un frère ou un oncle hémophile), on doit impérativement préparer toutes les filles de la famille au fait qu’elles peuvent avoir des enfants hémophiles.

Et celles-ci doivent elles-mêmes informer le gynécologue quant à cet antécédent. Mais le danger survient chez les familles qui n’ont jamais entendu parler d’hémophilie. Ici, on doit considérer la circoncision comme une bénédiction.

Et pour cause : si on venait à standardiser le bilan d’hémostase complet pour tous les enfants comme cela été indiqué et orienté par le ministère de la Santé depuis plusieurs années déjà, là on peut détecter si l’enfant porte une maladie héréditaire. Mais comme on ne fait pas ces bilans d’hémostase systématiquement, on arrive à des décès.

Je me rappelle, il n’y a pas si longtemps, une famille, vivant au sud du pays, a fait circoncire deux jumeaux la même journée. Malheureusement, ces derniers sont décédés deux jours après. Pourtant, il n’y avait aucun antécédent d’hémophilie. Les parents ont appris, trop tard, que leurs enfants en sont atteints. D’où l’importance d’un diagnostic précoce.

  • -Est-ce qu’un hémophile connu peut être circoncis sans mettre en danger sa vie ?

Une fois que l’enfant est diagnostiqué hémophile, il n’y a pas de problème. Parce que parfois, on a des circonstances de diagnostic qui sont vraiment très précoces. C’est possible que l’enfant ait eu un ictère ou a une maladie qui a été suspectée lors du prélèvement. Et comme le prélèvement a été mal fait, l’enfant va avoir des hématomes.

Une fois les parents alertés, surtout si c’est un nouveau-né dont le saignement a duré longtemps, on pense à diagnostiquer l’hémophilie. Une fois la famille prévenue, l’enfant est préparé à la circoncision. Il a son médecin traitant, qu’il soit pédiatre ou hématologue. Il sera aussi préparé à subir l’opération en dehors de la période de chaleurs pour ne pas intensifier le saignement.

On pense donc à le circoncire en hiver par exemple ou alors, s’il est en âge d’être scolarisé, pendant les vacances scolaires. Une fois les facteurs de coagulation préparés, la circoncision peut être planifiée par le chirurgien, l’hématologue ou le pédiatre. De cette manière, la famille est rassurée, car on pourra opérer l’enfant dans les meilleures conditions.

Sachant que la circoncision est un acte chirurgical, on doit préparer tout le plateau technique. C’est pour ça que l’instruction du ministère de la Santé a fait obligation de la circoncision dans un bloc opératoire. Sera donc présent un réanimateur, un chirurgien. Et dans le cas d’un enfant hémophile, qu’il soit déjà diagnostiqué, car il y des antécédents familiaux, ou bien on a été alerté lors de la naissance, l’enfant est préparé.

Donc, à un âge bien particulier, à partir de deux ans, on peut programmer la circoncision. Finalement, la circoncision étant une obligation sociale, on ne peut pas priver les enfants hémophiles de cet acte.

La seule condition est que les médecins doivent faire obligation du bilan d’hémostase avant l’acte chirurgical, car aussi minime soit-il, ses conséquences peuvent être fâcheuses s’il y a un diagnostic de l’hémophilie. Et si on peut différer l’opération et ne pas faire la circoncision de manière très précoce, c’est encore mieux, car on pourra faire les bilans nécessaires pour dépister une quelconque maladie chez l’enfant.

  • Déconseillez-vous les circoncisions collectives pendant le ramadan ?

Les circoncisions collectives durant le 27e jour du ramadan sont aussi un nouveau phénomène. Je ne vois pas l’intérêt, d’autant plus que cela n’a aucun gain sur le plan religieux.

On peut faire la circoncision toute l’année en prenant les précautions nécessaires et faire la célébration la nuit du 27e jour. Toutefois, je pense qu’il faut éviter cette journée-là étant donné que la majorité des parents veulent le faire ce jour. Les hôpitaux sont donc submergés.

Campagne de sensibilisation contre le risque de circoncision chez les hémophiles disponible sur le site www.elwatan-dz.com

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