S’agissant de l’Afrique de l’Est, si la transformation numérique des secteurs de la finance, de la santé, de l’agriculture et du transport a contribué à l’accroissement de la productivité, celle-ci demeure inégalement répartie ; l’offre de compétences numériques à vocation intermédiaire et avancée allant de pair avec une forte concentration sectorielle.
Dans l’optique de maximiser ce potentiel, le rapport CUA/OCDE (2021) recommande notamment la mise en place de dispositifs d’enseignement technique et professionnel appropriés, mais également de stimuler les initiatives entrepreneuriales numériques au moyen d’incitations réglementaires.
L’établissement d’un marché numérique unique dans la région pourrait favoriser les échanges et servir d’agent d’intégration régionale. L’Afrique du Nord bénéficierait, elle, d’un potentiel de développement dans les énergies renouvelables sans équivalent sur le continent, à même de générer 2,7 millions d’emplois dans l’hydrogène vert d’ici 2050, à condition cependant de disposer d’une main-d’œuvre très qualifiée, dont la disponibilité s’avère insuffisante au regard des besoins, d’après le rapport CUA/OCDE (2024). Investir dans des centres de recherche et mettre à jour les programmes scolaires pour l’orientation vers les disciplines STEM (sciences, technologies, ingénierie et mathématiques) permettraient en effet à la région de se positionner comme leader mondial du secteur.
Persuadés que l’économie agro-alimentaire en Afrique de l’Ouest est dominante, le rapport CUA/OCDE (2023) met en avant le défi que pose la transformation des produits agricoles, alors que 78% des emplois sont dans l’agriculture, essentiellement en milieu rural et que l’amélioration des compétences des opérateurs de ces chaînes de valeur serait un atout dans cette région.
La mise en place de politiques favorisant la recherche d’un accès au financement et la numérisation des activités agricoles pourrait accroître la compétitivité et l’efficacité des chaînes de valeur régionales, ainsi que leur intégration dans la ZLECAf (Zone de libre-échange continentale africaine). Pour faire face à ces défis intersectoriels, les pays africains doivent développer des stratégies différenciées selon les besoins locaux. Tout en prenant acte des recommandations formulées dans les rapports CUA/OCDE (2019, 2021, 2022, 2023, 2024), visant à promouvoir la qualité de l’éducation, l’accès à la formation professionnelle et la coopération régionale, le besoin d’harmoniser les cadres réglementaires, de renforcer les infrastructures et de soutenir l’innovation doit rester au cœur des priorités.
Ces initiatives contribueront non seulement à améliorer la performance économique, mais aussi à optimiser l’efficacité des programmes, tels que l’AGOA, soumis aux objectifs de développement durable de l’agenda 2063 de l’Union africaine. Le renouvellement de l’AGOA est crucial pour garantir à la fois la stabilité et la prévisibilité des relations commerciales qui lient tout autant les Etats-Unis que les pays africains concernés. Les ministres africains, du commerce en particulier, ont souligné l’urgence d’un renouvellement d’au moins dix ans pour l’AGOA, afin à la fois d’apporter une visibilité à long terme aux investisseurs et d’encourager l’essor du commerce.
Parallèlement, un renouvellement, assorti de modifications peu contestées, renforcerait l’efficacité du programme sans apporter des changements gênants à l’intégration régionale et la mise en œuvre de la ZLECAf.
Un autre point important consiste à élargir l’AGOA à un plus grand nombre de pays africains, en s’assurant que ceux qui sont déjà dans un statut de revenu élevé, comme l’île Maurice, ne soient pas mis à l’écart trop rapidement, ce qui empêcherait d’établir les chaînes de valeur régionales.
Certes, le renouvellement de l’AGOA permettra aux pays africains de mieux se préparer aux défis que posent leurs diversifications économiques dans le cadre de la compétitivité mondiale, mais il est impératif qu’ils ne soient pas isolés dans leurs engagements au Congrès américain pour défendre une position unie sur le renouvellement et l’amélioration de l’AGOA, pour éviter de gaspiller les bénéfices pour l’ensemble du continent.
4. AGOA : un instrument du partenariat américain pour le commerce et le développement durable en Afrique. L’AGOA est certes l’instrument majeur de l’action américaine envers l’Afrique, mais c’est un instrument du développement commercial et du développement économique de l’Afrique. Son objectif premier est l’obtention d’un accès réservé au marché américain au bénéfice d’un certain nombre de pays africains, et cela de façon préférentielle, à l’origine de la performance de certaines industries en particulier dans le secteur textile habillement et agricole. Un bilan sans appel après 25 ans de mise en œuvre ; l’AGOA nécessite des ajustements pour mieux faire face aux enjeux contemporains et à un plus grand besoin exprimé par les pays africains.
La première voie d’ajustement est la prise en compte des inégalités géographiques dans le déploiement de l’AGOA, à savoir l’intégration des pays d’Afrique du Nord qui n’ont pas aujourd’hui accès à la même opportunité, car séparés par une frontière bureaucratique entre l’Afrique subsaharienne et l’Afrique du Nord, alors que la stratégie des États-Unis pour l’Afrique sub-saharienne en 2022 préconise une approche globale pour l’ensemble du continent. L’intégration de l’AGOA à l’Afrique du Nord pourrait favoriser l’inclusivité et des échanges commerciaux équilibrés entre les différentes régions du continent.
Un autre défi majeur à surmonter par l’AGOA est l’accès limité à certaines catégories de pays africains au marché américain. En effet, même si le programme facilite l’exportation de produits africains vers les États-Unis dans sa lettre, en réalité, certains pays d’Afrique subsaharienne, pour des raisons de manque d’information, d’accompagnement, de moyens techniques et financiers, ont des difficultés à tirer parti des opportunités qui leur sont offertes.
Pour lever ces difficultés, les États-Unis pourraient renforcer les initiatives d’accompagnement au travers de l’aide à l’élaboration des stratégies nationales, d’un soutien à la fourniture d’aides techniques, à l’évaluation des potentialités des pays africains, des formations, et de l’accès aux ressources sanitaires, logistiques, financières, ou routières qui pourraient leur donner la capacité d’atteindre les exigences requises par le marché américain. Un accent particulier pourrait cependant être mis sur les pays les moins avancés afin de les aider à renforcer leur capacité commerciale à partir de l’amélioration de leurs infrastructures et des outils nécessaires à leurs exportations.
Évaluer les attentes de ces pays dans le cadre du renforcement du commerce intra-africain, pourrait aussi contribuer au renforcement global du continent, et donc au renforcement des économies africaines en leur permettant de tirer parti des nouvelles opportunités résultant de l’AGOA. En plus de ces ajustements internes, il faudrait faire en sorte de mieux articuler l’AGOA avec les programmes d’intégration régionale en Afrique, par exemple la zone de libre-échange continentale (ZLECAf).
Il s’agirait alors de créer des synergies entre l’AGOA et la ZLECAf pour amorcer le développement des chaînes de valeur régionales dans une logique de coopération commerciale des pays africains, tant entre eux, qu’avec les États-Unis, et aux fins de dynamiser les secteurs stratégiques que l’Afrique doit conquérir, à savoir l’agro-industrie, les infrastructures, les minerais critiques et la pharmacie.
Cette approche constituerait un catalyseur pour renforcer l’intégration et la compétitivité des pays africains sur le marché global. Dans un objectif d’appropriation de l’impact du programme par les pays concernés, les États-Unis pourraient élaborer des indicateurs précis de performance pour évaluer en termes de volumes commerciaux, d’IDE, de développement des capacités productives, l’impact du programme avec la mise en place de mécanismes de retour d’information en organisant cornistes réguliers avec les parties prenantes africaines afin d’ajuster le programme à la réalité des marchés et aux contraintes spécifiques de chaque pays.
En effet, la durabilité des investissements devrait être davantage prise en compte dans une optique de développement à long terme, plus que de bénéfices immédiats. L’AGOA doit donc s’adapter pour tenter de concilier les intérêts stratégiques des Etats-Unis et les ambitions de développement économique des pays africains dans le cadre d’une réforme du programme visant à le rendre inclusif, plus adapté aux réalités locales et à l’intégration dans les dynamiques commerciales régionales.
A cet égard, l’association de l’AGOA à des initiatives d’intégration régionale comme le ZLECAf et le renforcement de l’assistance pour permettre aux pays africains d’optimiser les opportunités commerciales afin que les États-Unis contribuent à l’émergence économique et à la transformation du continent, serait une manière de renforcer les relations commerciales et diplomatiques avec l’Afrique .
Conclusion
Concevoir un AGOA rehaussé et renouvelé à l’accord de libre-échange inclusif à échelle continentale, l’intégration AGOA-ZLECAf est une opportunité stratégique cardinale pour réformer la structure économique et commerciale de l’Afrique. En opérant cette jonction, on pourra procéder à l’émergence de puissantes chaînes de valeur régionales, industrialiser et diversifier les exportations, attirer les investissements et accroître la compétitivité des économies africaines.
Pour réussir cette transformation, il est important de réformer en profondeur l’AGOA pour lui faire perdre son caractère unilatéral et permettre davantage d’équité, d’inclusivité et de durabilité dans les échanges commerciaux. Dans cette perspective, transformer l’AGOA en un véritable accord de libre-échange pour tous les pays africains signataires de la ZLECAf, sans distinction de régions ou de géographie constitue une condition essentielle. Une extension de l’AGOA permet d’unifier le commerce africain, de renforcer la coopération régionale et d’envisager l’intégration dans les chaînes de valeur mondiales.
Il importe également de prolonger l’AGOA jusqu’en 2041 pour donner une vision stratégique à long terme propre à attirer les investissements structurants et à mieux calibrer les politiques économiques.
Enfin, il est crucial de reconsidérer les critères d’éligibilité de l’AGOA afin d’éviter toute définition unilatérale des conditions d’accès. En impliquant davantage les pays africains dans le processus décisionnel et en harmonisant les normes et les politiques commerciales, l’AGOA pourrait devenir un véritable levier de développement, mieux adapté aux réalités et priorités du continent.
Cela garantirait une coopération bilatérale authentique, fondée sur des intérêts communs et un partenariat durable. Au bout du compte, un AGOA réformé et revigoré, articulé avec la ZLECAf et par la suite l’union douanière et le marché commun constitue l’occasion privilégiée de la transformation du commerce africain en moteur de développement, enrichi d’un partenariat mis au jour entre les États-Unis dans une méthode de collaboration basée sur les principes d’équité, de transparence et de respect mutuel, qui vous profitent tout autant, du moins au plan mondial, qu’à l’Afrique elle-même.
Reste, à le redéfinir pour en faire un instrument plus ambitieux d’un rendement aussi tangible qu’attendu de son effet sur le développement économique du continent africain dans les décennies à venir.
Par Professeur Rédha TIR
Expert-international-ancien président du CNESE