L’Afrique du XXIe siècle : souveraineté, puissance économique et intégration stratégique ( 1re partie)

19/01/2025 mis à jour: 08:21
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Résumé. La loi sur la croissance et les opportunités en Afrique (AGOA), dont la mise en œuvre remonte à 2000, a été déterminante pour favoriser le développement des relations commerciales entre les Etats-Unis, qui détiennent 24% du PIB mondial pour 4% de la population mondiale et l’Afrique subsaharienne en leur permettant d’accéder à plus de 1800 produits en vue de créer des emplois et  améliorer les réformes économiques. 

Le sort de l’AGOA, qui doit expirer en 2025, soulève des interrogations plus que jamais à la veille de la présidence de Donald Trump à partir du 20 janvier 2025, qui pourrait redéfinir les priorités économiques américaines. Le sommet des chefs d’Etats africains, programmé pour février 2025, pourrait constituer un moment-clé pour coordonner un plaidoyer en faveur du renouvellement d’une AGOA qui montre tout de même la capacité des nations africaines à se faire entendre en commun face aux Etats-Unis. Même si l’AGOA a favorisé les investissements étrangers en Afrique, plusieurs difficultés perdurent, à commencer par la concentration des investissements seulement dans quelques secteurs, sans oublier les conflits d’instabilité politique. Même si l’AGOA a eu pour mérite la plus grande diversification des exportations africaines, les résultats sont inégaux et les pays africains devraient se tourner vers des politiques régionales complémentaires à l’AGOA, tel le lancement de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) pour en maximiser la portée. Pour réaliser une transformation véritablement économique, les pays d’Afrique devraient développer leurs stratégies selon leurs besoins locaux, renforcer l’intégration régionale et le capital humain tout en soutenant en retour un renouvellement ambitieux de l’AGOA, en faveur de l’inclusivité et l’équitable caractère des échanges commerciaux.  


Introduction à l’AGOA et son rôle stratégique 

Instaurée en 2000, l’African Growth and Opportunity Act (AGOA) est depuis lors un pilier des relations commerciales entre les Etats-Unis et l’Afrique subsaharienne. En offrant un accès préférentiel à leur marché pour plus de 1800 produits, cette législation a sans nul doute contribué à faire croître l’économie en Afrique et à générer plusieurs centaines de milliers d’emplois tout en soutenant de nombreuses réformes structurelles dans les pays ayant bénéficié du programme. 

Néanmoins, avec l’échéance de son expiration dans quelques mois, l’avenir de l’AGOA suscite des interrogations sur les priorités stratégiques des Etats-Unis et sur la capacité des pays africains à élaborer une défense collective de ce dispositif névralgique. 

Deux dates marqueront ainsi ce moment. Le 20 janvier 2025, l’intronisation de Donald Trump présidera au réaménagement des priorités économiques des Etats-Unis en vue d’une politique commerciale plus transactionnelle. En février 2025, moins d’un mois plus tard, le sommet des chefs d’Etat africains sera l’heure propice à la synchronisation d’un plaidoyer collectif pour le maintien de l’AGOA. Un enjeu d’importance pour l’Afrique qui aura besoin d’affirmer son autonomie et défendre sa position vis-à-vis de la puissance américaine ; témoignant d’une dynamique, que Pascal Lorot désigne comme un «choc des souverainetés»  où le processus de coopération se heurte au sujet et aux enjeux d’influence. Pour les Etats-Unis, l’AGOA apparaît comme un puissant vecteur de projection économique et normative pour faire émerger des réformes en phase avec ses préceptes en matière de commerce, de gouvernance et de droits humains.

A l’inverse, pour les Etats africains, cet instrument constitue un levier de croissance, à condition qu’ils puissent en maîtriser les enjeux, et surtout qu’ils définissent leur propre itinéraire de développement, sans dépendance. Le choc des souveraineté place les deux parties à un croisement stratégique. Les Etats africains doivent se mobiliser ensemble pour prouver que l’AGOA peut être utile pour eux, mais ne peut pas être contre les intérêts, y compris économiques et stratégiques, américains. 

De retour à l’administration Trump, à elle de réussir à maintenir un partenariat mutuellement avantageux, sans imposer un modèle unilatéral. A l’approche de l’échéance, le renouvellement de l’AGOA ne doit plus être appréhendé simplement comme un enjeu technique, mais un test révélateur des capacités de chaque partie à transcender les tensions de souveraineté qu’ils ont à surmonter pour faire exister un partenariat économique durable.

1. L’AGOA et les Initiatives économiques américaines pour l’Afrique : Bilan, enjeux et perspectives. L’AGOA a été mise en place pour inciter aux investissements directs étrangers (IDE) en Afrique en améliorant le climat des affaires. Bien que des avancées aient été réalisées, notamment avec une augmentation des flux d’IDE vers certains pays bénéficiaires, l’impact de l’AGOA globale est faible. En effet, les investissements sont principalement sectorisés dans quelques secteurs, ceux des matières premières, et se concentrent sur un nombre faible de pays. 

Les économies africaines souffrent elles-mêmes de défis structurels majeurs que sont l’instabilité politique, les infrastructures inadaptées et la réglementation inappropriée, limitant les perspectives de diversification des investissements. Néanmoins, l’AGOA est soutenue depuis son lancement en 2000 avec un renouvellement de trois fois en faveur de son maintien et se positionne comme facteur central des relations économiques entre les Etats-Unis et l’Afrique. 

La loi a pu contribuer à diversifier les exportations de certaines économies africaines vers les Etats-Unis, celui des textiles par exemple, mais de manière très inégale ne mettant pas en exergue là encore les inégalités entre les pays africains à en bénéficier. A côté, l’initiative Prosper Africa lancée dans l’administration Trump (2016-2020) vise à approfondir les relations d’investissement et commerciales entre les Etats-Unis et l’Afrique. L’ambition de Prosper Africa est de doubler le volume de l’échange d’investissement et commercial en favorisant les partenariats commerciaux et en soutenant des réformes économiques en vue de promouvoir une relation entre les deux continents tournés vers un partenariat commercial et non d’assistance. Quoi qu’il en soit, les résultats n’en demeurent pas moins modestes car l’Afrique ne représente qu’une part marginale du commerce mondial des Etats-Unis. 

En revanche, d’autres initiatives, à l’instar de Power Africa et de l’Initiative de transformation numérique avec l’Afrique, s’attèlent aux besoins en infrastructures énergétiques et à la mise en place d’une gouvernance numérique en Afrique, contribuant à son développement économique et à l’élévation des échanges commerciaux.  

2. Défis de l’AGOA et Synergies avec la Zlecaf  : Perspectives pour un développement durable du commerce africain.

L’African Growth and Opportunity Act (AGOA) installé par les Etats-Unis pour élargir l’accès préférentiel au marché américain des produits de l’Afrique contribue à l’instar du tout aussi préoccupant (ou largement critiqué) Coton 2000 qui prévalait pour le coton du Brésil, tant aux opportunités qu’aux faiblesses des exportations africaines, sans toutefois constituer déontologiquement un modèle à suivre, tant sont présentes les limites du régime usuel. Par ailleurs, ces contraintes sont essentiellement constituées par des règles d’origine accentuant les rigidités des produits africains exportés vers les Etats-Unis qui se conjuguent à des prérequis de détermination des pays éligibles également fluctuants et transitoires. 

Ce qui, in fine, crée une instabilité inattendue d’un marché, la résultante des critères décisionnels déterminés directement par les Etats-Unis, sur la durée de vie et de mise en œuvre de ce dispositif, n’incitant guère à la stratégie d’investissements des entreprises et des consommateurs. Même le tissu productif concret qui se développe attendu de l’évaluation normale des différentes capacités logistiques de production et d’interconnexion est engorgé par les particularismes traditionnels d’hier, que constituent encore des segments sectoriels africains de haute qualité soufrant de la faiblesse de la sécurité en matière d’exigences techniques s’articulant finalement à des choix politiques selon les insatisfactions des consommateurs. 

De plus, ajoutons enfin d’autres contraintes générales aux Etats concernés qui peut être en partie compensée et acquises au titre des dispositifs dérogatoires de qualité tant pour la recherche première fondamentale que sectorielle en matière de financement des productions des produits de l’AGOA. Ces différentes difficultés peuvent aussi être compensées par des instruments continentaux efficientes que sont la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), l’Union douanière (CU) et le Marché commun (CM), qui constituent des mécanismes de complémentarité à mettre en œuvre avec l’AGOA pour valoriser les situations d’émergence de niveau des systèmes productifs et leurs stratégies tant nationales que régionales.

En tant que projet phare de l’Union africaine, la Zlecaf  vise, en matière dynamique du commerce intra-africain, la mise en place d’un régime de libre échange, l’abrogation des droits de douanes sur 90% des biens échangés(au maximum), et l’harmonisation des réglementations commerciales à travers le continent, de manière à constituer un large marché unique, au profit de l’industrialisation des pays sur le continent en vue de réduire la dépendance de la plupart des pays africains au commerce des matières premières. 
Toutefois pour réaliser cette intégration économique et la cohésion des économies, l’Union douanière (CU), étape-clé vers l’intégration économique, va au-delà de la simple élimination des droits de douane internes en établissant un tarif extérieur commun (TEC) sur les importations en provenance de pays extérieurs à l’Afrique. 

En pratique, la mise en œuvre effective d’une union douanière pose des défis notamment pour faire face aux besoins d’harmonisation des politiques tarifaires des États membres, et de redistribution des privilèges ou recettes douanières entre tous les pays. En ajoutant à cela le marché commun, qui favorise entre autres la circulation des biens et des services, mais aussi des capitaux et des personnes qui représente en vérité la clef pour les pays africains en vue d’attirer les Investissements Étrangers Direct (IED), de favoriser les chaînes de valeurs régionales et rendre les produits africains plus compétitifs sur les marchés mondiaux, l’intégration régionale facilitée par la Zlecaf , l’union douanière et le marché commun, assouplit entre autres les effets limités de l’AGOA en matière de croissance en Afrique pour le développement des capacités productives des autres et à donner aux entreprises africaines le temps d’accéder à des chaînes d’une valeur plus intégrée.

Ainsi, les règles d’origine adoptées sous la ZLECAF couvrent désormais 95% du commerce intra-africain, permettant une plus grande flexibilité pour le commerce régional. Des initiatives comme le Guided Trade Initiative (GTI) ont concrétisé ces ambitions, à travers l’émergence d’échanges commerciaux réels entre pays membres. La complémentarité entre l’AGOA et ces mécanismes régionaux pourrait permettre à l’Afrique de maximiser ses relations commerciales avec les États-Unis tout en solidifiant ses bases économiques internes. 

Mais, il convient d’accélérer les réformes en vue d’aplanir les défis liés à l’harmonisation des politiques économiques, à la gestion des revenus douaniers ou à l’amélioration des infrastructures commerciales. Une mise en œuvre coordonnée permettrait à l’Afrique d’accroître sa compétitivité sur le marché mondial tout en jetant les jalons d’un développement inclusif et durable dans un contexte commercial international de plus en plus équitable.  

3. Perspectives d’amélioration de l’AGOA : stratégies de développement et renforcement des capacités en Afrique

L’AGOA constitue un axe central pour favoriser l’intégration des économies africaines dans le commerce mondial, mais pour maximiser ses bénéfices, d’importants défis en matière de compétences, de diversification économique et d’intégration régionale doivent être relevés. Sur la base d’analyses approfondies, telles que celles du rapport CUA/OCDE (2024), le besoin est affiché d’élaborer des stratégies adaptées par les pays africains pour encourager des croissances inclusives et durables. 


En Afrique australe se développe, en aval de l’exploitation minière, la fabrication de véhicules électriques et le raffinage de matériaux critiques, comme le cobalt, illustrant des démarches de diversification économique, mais la pénurie de main-d’œuvre qualifiée empêche d’assurer pleinement l’exploitation de ces secteurs stratégiques. Instaurer des centres de formation spécialisés et des partenariats public-privé, tels que recommandés avec le CUA/OCDE (2023), pourrait renforcer les compétences locales et attirer des investissements. Ainsi, l’harmonisation des régulations autour des infrastructures d’énergie renouvelable pourrait accélérer l’indispensable transformation industrielle. 

En Afrique centrale, la richesse de la région en minerais stratégiques tels que cobalt (70% de la production mondiale), tantale (30%) et manganèse (20%), ne peut se valoriser au-delà des rentes souterraines, en raison de gouvernance défaillante, de déficits d’infrastructures et de compétences techniques. Améliorer le climat des affaires et développer des politiques pour assurer la transformation locale des minerais sont des éléments incontournables. Comme le souligne le rapport CUA/OCDE (2022), une plus grande relation avec les communautés locales et des investissements dans les infrastructures logistiques sont nécessaires pour améliorer la compétitivité collective et créer des emplois.  A suivre 
 

Par le Professeur Rédha Tir  , ancien président du CNESE-Algérie
 

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