L’affaire repose la problématique du différend commercial entre l’Algérie et l’UE : El Mordjene fait déborder le pot de l’accord d’association

22/09/2024 mis à jour: 06:03
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L’interdiction d’introduction de la pâte à tartiner algérienne El Mordjene, sur le territoire européen, a remis au jour le différend commercial opposant l’Algérie et l’UE. 

Si pour les ventes des hydrocarbures, le partenariat est au beau fixe, ce n’est pourtant pas le cas pour le reste des produits algériens visant à pénétrer le marché européen, malgré les dispositions de l’accord d’association autorisant un démantèlement tarifaire entre les deux partenaires. 

En vigueur depuis 2005, l’accord d’association, tel qu’il a été négocié, offre, selon la partie algérienne, plus d’avantages au partenaire européen plutôt qu’à l’Algérie qui demande à réviser ses clauses, une par une. 

Outre le déséquilibre flagrant dans le flux des échanges en faveur de l’Europe, l’Algérie reproche également à son partenaire européen de ne pas assez investir dans notre pays, hormis dans le secteur des hydrocarbures.

 L’interdiction de la pâte El Mordjene sur le territoire français a rappelé la récente brouille commerciale entre Bruxelles et Alger, et dont le paroxysme a eu lieu en juin dernier lorsque la Commission européenne avait décidé d’engager une procédure de règlement des conflits contre l’Algérie, selon le mécanisme contenu dans les dispositions dudit accord d’association. 

L’UE conteste «des restrictions sur les exportations et les investissements européens par une série de mesures prises depuis 2021» dans le cadre du système des licences d’importation pour la limitation par l’Algérie d’achat de marchandises produites localement. 

L’Algérie défend, quant à elle, son droit de préserver ses réserves de change et de promouvoir la production nationale, notamment industrielle, et l’utilisation d’intrants nationaux dans la fabrication de véhicules. Le ministre du Commerce et de la Promotion des exportations, Tayeb Zitouni, avait répondu aux récriminations européennes en affirmant que «l’Algérie ne tolérait aucun diktat» et qu’elle avait pris la décision de rationaliser les importations et non pas les arrêter. «L’Algérie n’a pas cessé les importations, mais ce que nous produisons, nous ne l’importerons pas», soulignait-il dans un entretien télévisé, en ajoutant que les importations annuelles algériennes sont estimées à 45 milliards de dollars, dont plus de 22 milliards de dollars proviennent de l’Union européenne.  
 

(La pâte à tartiner El Mordjene de l'entreprise Cebon est interdite de vente en France)

 

 

«Déficit chronique de la balance commerciale»

Le ministre des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, dans une réponse écrite, datée du 24 juillet dernier, à une question du député du MSP, Abdelouahab Yagoubi, évoquant l’avenir des relations commerciales entre l’Algérie et l’UE et les conséquences financières potentielles du différend commercial, a mentionné un déséquilibre de la balance commerciale largement en faveur de l’UE. 

M. Attaf estime que la procédure engagée par la Commission européenne soulève certaines interrogations en termes de contenu, au vu de la réalité des chiffres et volumes d’échanges entre les deux parties. 

«L’évaluation de l’application de l’accord d’association fait ressortir des déséquilibres importants et ne correspond pas à la réalité actuelle de l’Algérie, car la version en vigueur de l’accord perpétue la poursuite du modèle ou de la structure d’importation au détriment de l’investissement et de l’économie productive, ce qui a conduit à un déséquilibre entre les intérêts des deux parties en faveur de l’UE, en totale contradiction avec l’essence et l’objectif principal de l’accord», indique la réponse d'Ahmed Attaf,  rendue publique ce week-end sur la page Facebook du parlementaire, en plein débat sur l’affaire de la pâte à tartiner El Mordjene. 

Le chef de la diplomatie algérienne fait état d’un déficit chronique de la balance commerciale hors hydrocarbures depuis l’entrée en vigueur de l’accord d’association en 2005. «Alors que le volume des échanges commerciaux atteignait 1000 milliards de dollars, les investissements européens en Algérie n’ont pas dépassé 13 mds de dollars, essentiellement dans le secteur des hydrocarbures, et avec un montant de transfert de dividendes à hauteur de 12 mds de dollars sur la période allant de 2005 à 2022», précise M. Attaf. 
Selon les statistiques, dit-il, les estimations des dommages invoquées par la Commission européenne pour ouvrir ce différend commercial avec l’Algérie, ne reflètent pas la réalité de la situation, car les mesures commerciales prises par l’Algérie n’ont pas affecté le volume de ces échanges sous le régime préférentiel de l’accord d’association. 


Bien au contraire, le ministre souligne que les échanges dans le cadre du système préférentiel de l’accord d’association ont même enregistré «une augmentation de plus de 20% en 2023 par rapport à 2022, et de 15% au premier trimestre de l’année 2024 par rapport à la même période de l’année précédente». 

Le déséquilibre majeur dans la balance commerciale a incité le président de la République, rappelle le MAE, à donner des instructions dans la direction d’une révision dudit accord clause par clause, en favorisant une vision souveraine et une approche gagnant-gagnant et en tenant compte de l’intérêt du produit national et de la création d’un tissu industriel et des emplois. 

Tout en notant que le département des AE, et en collaboration avec tous les secteurs, travaille sur cette révision, Ahmed Attaf rappelle que pour l’heure, l’Accord en question n’a pas fait l’objet d’une révision globale, mais seulement d’une révision partielle touchant au régime de démantèlement tarifaire en 2010, et d’une évaluation conjointe à la demande de l’Algérie en 2015, ainsi qu’une évaluation des accords commerciaux préférentiels en 2020. 

M. Attaf a tenu en outre à préciser que la procédure engagée par la Commission de l’UE ne prévoit pas de sanctions à l’encontre de notre pays, mais plutôt l’ouverture d’un différend commercial qui ne prévoit aucune conséquence financière résultant de la décision finale devant être prise à l’issue des consultations. 

Le règlement du différend se fera par consentement mutuel ou, dans le cas contraire, par le biais du mécanisme d’arbitrage bilatéral adopté et convenu par l’accord. «Ce dernier cas est improbable, car généralement le règlement se fait au stade des consultations», précise-t-il encore. 
 

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