Même si ses porte-parole et diplomates répètent tout le temps et partout le contraire, Washington sait très bien que ce sont Netanyahu et son Exécutif qui font obstacle à un arrêt des hostilités.
Le contraste est aussi violent qu’éloquent ; au moment où l’heure est théoriquement aux dernières retouches pour parvenir à un cessez-le-feu à Ghaza, l’armée israélienne s’est remise à cracher le feu sur tout le territoire de l’enclave palestinienne depuis 48 heures. Au moment également où William Burns, puissant patron de la non moins omnipotente CIA, était hier à Doha pour presser le médiateur qatari de vite convaincre le Hamas d’accepter l’offre américano-israélienne, les hôpitaux sinistrés à Rafah et ailleurs avaient du mal à dégager des places dans les morgues pour les victimes des nouveaux bombardements.
Les opérations sur le terrain ont continué simplement à disqualifier le processus qui, selon les apparences, mobilise la Maison-Blanche et son staff diplomatique, fait se liguer les puissances occidentales et arabes pour faire pression sur les «deux belligérants» afin de les amener à reprendre les négociations… Mais en termes de belligérance, il y a bien lieu de constater, une nouvelle fois, que ce sont l’aviation israélienne et son artillerie qui sèment de nouveau la mort, du «nord au sud» de la bande de Ghaza, selon la formule de l’AFP.
Près d’une semaine après le discours de Joe Biden et sa proposition pour parvenir à un cessez-le-feu, et après des jours de batailles politiques non tranchées au sein de l’Exécutif israélien, un premier élément est venu hier fortement suggérer que l’on s’acheminait vers un remake de l’échec, il y a exactement un mois, d’une précédente tentative.
Le 5 mai dernier, le Hamas avait fini par répondre favorablement à une proposition de négociations, avant qu’un revirement de Tel-Aviv, le lendemain, ne dynamite le processus. Le 6 mai, et contre l’avis unanime de toute la communauté internationale, Benyamin Netanyahu ordonnait en effet une offensive terrestre sur Rafah et la prise de contrôle intégrale des frontières avec l’Egypte, signant une fin brutale des efforts de médiation.
Selon la chaîne Al Jazeera, le cabinet de guerre israélien, après une réunion marathon, est sorti avec l’«exigence de garanties», de la part du parrain américain, que Washington ne s’opposerait pas à une reprise des opérations militaires à Ghaza, si au bout du cessez-le-feu temporaire de 42 jours, le Hamas ne tenait pas l’engagement de libérer tous «les otages».
Sur ce point, la présentation faite par Biden vendredi dernier, et jugée d’ailleurs «incomplète» par le bureau de Netanyahu, indiquait que le cessez-le-feu était extensible au-delà des six semaines prévues, si les deux parties ne parvenaient pas à clore les négociations sur l’amorce de la deuxième étape du processus. Le Premier ministre israélien, pressé par les hardliners de l’extrême droite et de son parti, le Likoud, attend donc une assurance de Washington que son armée pourrait reprendre les massacres de civils palestiniens et, probablement, son plan d’occupation de Ghaza, une fois que les «otages» israéliens seraient rentrés chez eux.
Encore une fois, il se révèle que la problématique de l’après-guerre, ou du «day after», est une question qui ne fait décidément pas partie de l’agenda de l’Exécutif hébreu, alors que le fameux plan de la Maison-Blanche, tel qu’il a été vendu par Biden, table sur un processus à trois étapes, dont la dernière est faite pour consacrer la fin de la guerre et un programme international de reconstruction de Ghaza.
Le Hamas dénonce un marché de dupes
Et le Hamas a dû montrer hier qu’il n’était pas dupe des calculs de Tel-Aviv. Oussama Hamdane, un des dirigeants politiques du Hamas, a déclaré, à partir de Beyrouth, que la seule transaction qui intéresse Israël porte sur une trêve temporaire pouvant permettre la libération de ses détenus, pour calmer un front intérieur de plus en plus impatient sur la question. «Le fait qu’Israël n’ait toujours pas accepté un tel accord confirme qu’il compte récupérer les prisonniers puis reprendre son agression et sa guerre contre notre peuple», a-t-il développé.
Le mouvement palestinien a fait donc savoir aux médiateurs, qatari et égyptien notamment, qu’il «ne peut accepter un accord qui ne garantisse pas... un cessez-le-feu permanent et le retrait israélien complet de la bande de Ghaza, ainsi que la conclusion d’un accord sur l’échange de prisonniers».Les conditions d’un nouvel échec se mettent donc en place, même si la puissance américaine, du moins l’administration Biden, a cette fois mis son poids dans la balance pour convaincre Tel-Aviv de tenter la négociation.
Même si ses porte-parole et diplomates répètent partout le contraire, Washington sait très bien que c’est Netanyahu et son Exécutif qui font obstacle à un arrêt des hostilités. En s’investissant personnellement comme le parrain et le garant du nouveau processus de pourparlers, fruit d’«un long et laborieux travail diplomatique avec Tel-Aviv», comme il avait tenu à le préciser, Joe Biden aura du mal cette fois à se défausser sur le Hamas en cas d’échec.
L’objectif consubstantiel de tirer des dividendes politiques en interne d’un processus de médiation abouti au Proche-Orient pourrait tourner également au coûteux revers pour le candidat démocrate, à quelques mois de l’élection à la Maison-Blanche.