La stratégie de la tension et l’escalade autour de l’armement de l’Algérie

13/11/2024 mis à jour: 00:14
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Photo : D. R.

Le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, déclarait vendredi dernier devant une commission du parlement marocain que «des signes d’escalade proviennent de l’Algérie, et une volonté apparente de passer du conflit à la confrontation directe».

Il s’agit là d’une déclaration d’une voix officielle et autorisée et non pas d’activistes des réseaux sociaux, même si ces derniers régulent, en bonne partie ces dernières années, les relations intermaghrébines. Elle émane d’une personne qui parfois ne cache pas des marques d’inimitié à l’égard de l’Algérie et relève d’une politique avérée de répartition des tâches au sein du makhzen et d’une forme de clarification du discours royal.

Le narratif, souvent destiné à un usage interne, n’est ni nouveau ni fondé : ce sont des colons français, gros propriétaires terriens, qui avaient réclamé, au Protectorat français au Maroc et pour les besoins de leur commerce, un accès à un port de l’Atlantique, bien avant l’indépendance de l’Algérie.

Ce même accès a été proposé à l’Algérie indépendante dans les accords bilatéraux de juin 1972 avec le Maroc, et qui sont aujourd’hui dépassés par la construction de la ligne Tindouf-Béchar-Oran qui marque une prise de conscience, tardive d’ailleurs, sur le fait que notre politique commerciale doit correspondre à nos orientations stratégiques.

La France de Charles de Gaulle tout comme l’Espagne de Francisco Franco avaient proposé à l’Algérie de lui céder le Sahara occidental, un territoire qui ne leur appartenait pas, et les américains nous avaient proposé de le partager avec leur allié, le Maroc. Celui-ci avait accepté, faut-il le rappeler, de le partager avec la Mauritanie du président Mokhtar Ould Dadah en novembre 1975.

Il est toujours utile de rétablir certaines vérités historiques car le ton guerrier auquel a recouru l’officiel marocain procède essentiellement d’un ressenti historiquement établi sur un complexe sur l’envergure de la masse territoriale de chacun des deux pays. Il est conforté aujourd’hui par une arrogante assurance qui repose sur la dernière position du président Macron sur le Sahara occidental et le retour aux affaires de Donald Trump.

Armement : l’Algérie a-t-elle atteint son point d’équilibre ?

La géographie impose à chacun d’entre nous des exigences, notamment en matière de sécurité et de défense de l’intégrité des frontières, et donne à certains pays, dont l’Algérie, des atouts stratégiques structurels. Le problème se pose dans ces termes parce qu’en réalité c’est de cela qu’il s’agit pour le Maroc et pour certaines puissances du sud de la méditerranée.

Ils doivent pourtant se résoudre à admettre que l’Algérie s’arme raisonnablement et qu’elle n’a pas encore atteint le niveau d’équilibre entre son armement actuel et l’immensité de son territoire, les menaces à ses multiples et longues frontières et l’hostilité de forces régionales et non régionales.

En effet, plus de 20 Etats interviennent militairement directement à nos frontières avec la Libye, le Maroc et le Sahel. Devant ces menaces multiformes, nous devons compter sur nous-mêmes car nous avons fait le choix souverain, pour des raisons historiques évidentes, de n’intégrer aucune alliance militaire. Ceci aurait certes donné l’avantage de tirer profit de la mutualisation des moyens multilatéraux, mais aurait concomitamment fait perdre à l’Algérie l’autorité sur la décision stratégique militaire. L’histoire nous a appris à ne pas confier la sécurité de l’Algérie aux autres.

Divergences de doctrines militaires en Afrique du Nord, source de tensions ? 

L’histoire a donné raison à nos aînés, libérateurs et pères fondateurs de l’Algérie moderne viscéralement attachés à la souveraineté et dignes héritiers de la pensée stratégique de Massinissa qui a su préserver l’intégrité et l’unité de la Numidie des puissants hégémonismes de son époque. La mémoire historique de l’espace nord-africain est loin d’être un sous-produit de la colonisation française comme on veut le faire accroire, elle est pour nous le socle normatif, deux fois millénaire, de nos limites géographiques actuelles.

Cette doctrine politico-militaire de l’Algérie marque une divergence fondamentale avec celle adoptée par le Maroc dans les arrangements militaires de la fin du protectorat français en 1956 et quand il a été désigné par les etats-unis, il y a 20 ans, comme allié majeur de l’OTAN en Méditerranée. Il bénéficie en outre du soutien militaire multiforme des pays du Golfe (soutien diplomatique, financement des équipements, renseignement militaire) et de l’assistance d’Israël depuis la fin des années 1960.

Notre voisin, quasi insulaire avec l’Algérie comme seule frontière internationale reconnue, si l’on excepte les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, n’a ni les responsabilités internationales que confère la géographie à l'Algérie ni les inquiétudes et les menaces que génèrent 6400 km de frontières communes. Il est donc légitime pour l’Algérie de s’interroger sur la finalité et les objectifs de la multiplication, à ses frontières occidentales, d’alliances militaires aux agendas qui dépassent les moyens et les ambitions du Maroc.

Algérie : Le risque d’être perçue comme hostile à l’Occident 

Parallèlement, le discours officiel marocain désigne l’Algérie comme un pays hostile à l’Occident et nous crédite d’une imaginaire alliance avec l’Iran et, par extension, avec le Hezbollah pour mieux nous insérer dans leur confrontation avec l’Occident, nous exposer aux critiques des puissances occidentales et mieux nous isoler diplomatiquement.

Les décideurs marocains ont toujours pensé que l’Algérie finirait par céder devant cette stratégie de la tension permanente qui vise son image, la stabilité de ses frontières et sa politique étrangère. Ils ne mesurent pas que la nation algérienne ne s’est pas construite autour des gouvernances successives mais autour d’une idée de liberté.

Ils ne mesurent pas non plus le degré de résilience d’une société qui a affronté tant de crises en si peu de temps ni le niveau d’adaptation du consensus national sur les questions de diplomatie et de défense nationale. Le pays a appris à établir ses priorités stratégiques, c’est pourquoi le grand défi restera celui de défendre les frontières et d’éviter que notre région se transforme en espace de confrontation entre les puissances étrangères.

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