C’est lors de la dernière réunion du Conseil des ministres, tenu mardi, que le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a appelé son gouvernement à redoubler d’efforts en vue d’augmenter la production des récoltes agricoles, notamment le blé, et accroître le taux de sa production «à 30 quintaux/hectare» et cela, dans le but de réaliser, dans les plus brefs délais, «l’autosuffisance en cette matière stratégique».
Pour augmenter la production de céréales, Djamel Belaïd, ingénieur agronome, spécialisé en vulgarisation des techniques innovantes, assure qu’il existe deux options : la première, en améliorant le rendement à l'hectare, la deuxième serait via l’augmentation des surfaces emblavées, notamment les terres laissées en jachère. Dans le cas de ces terres, celles-ci ne sont travaillées qu'une année sur deux. Les causes de cette situation sont, selon M. Belaïd, multiples. Il y a, par exemple, l’insuffisance de moyens financiers et matériels, la présence de moutons ou encore le manque de connaissances techniques. «Actuellement, en relevant le prix d'achat des céréales, en accordant les prêts Rfig, en subventionnant le matériel d'irrigation, les engrais à 50% et à 20% les semences certifiées, l'Etat suit la bonne direction», affirme l'ingénieur agronome.
Concernant l'augmentation des rendements, M. Belaïd explique qu’en zone irriguée sous pivot d'irrigation, des rendements de 72 quintaux sont obtenus. Sans irrigation, sur les meilleures terres, des agriculteurs produisent jusqu'à 50 q/ha. Et pour étendre ces performances à d'autres exploitations, M. Belaïd affirme qu’il y a des facteurs techniques mais aussi organisationnels ou socio-économiques.
A propos des facteurs techniques, l'ingénieur agronome explique qu’«il y a l'absence du respect des rotations, le manque de semences certifiées, le manque de généralisation de variétés à haut rendement, les semis tardifs, le faible taux de surfaces désherbées, un apport insuffisant d'engrais». A titre d’exemple, pour semer au moment opportun, le spécialiste recommande l’abandon du labour et le semis direct. Et pour bien ajuster les doses d'engrais azoté, il faut réaliser des analyses de sol chaque année. Ce sont des pratiques qui doivent, selon le chercheur, être ajustées pour chaque région du pays. «Il faut donc des équipes de techniciens aux côtés des agriculteurs. Or, il n’y en a pas assez», se désole-t-il.
Au sujet des facteurs socioéconomiques, M. Belaïd cite la marge financière des agriculteurs. A cet effet, il explique qu'«avant le relèvement des prix des céréales par l'OAIC en 2022, cette marge diminuait. Parfois, il est plus intéressant de louer les terres à blé à des éleveurs pour y laisser pâturer les moutons». Certains agriculteurs louent donc des terres pour 2 ou 3 ans. Toutefois, une vraie loi sur le fermage devrait, selon M. Belaïd, permettre des durées de 8 à 9 ans reconductibles. Par ailleurs, le chercheur s’interroge : «A côté de ces structures de l'OAIC, pourquoi ne pas développer l'équivalent de petites CCLS qui appartiendraient aux agriculteurs ?» Ils pourraient, selon lui, collecter le blé, installer de petits moulins et, par exemple, garder le bénéfice de la vente du son de blé.
Pluie, froid, neige…
Alors que de nombreux agriculteurs pensaient recourir à l’irrigation en raison de l’absence de pluviométrie, la neige et la pluie sont arrivées à point nommé pour leur redonner espoir. Si cette baisse des températures et la chute de neige réjouissent plus d’un, les spécialistes assurent que la résistance au froid est variable selon les stades de croissance des cultures. En effet, après plusieurs hivers cléments, le pays connaît, depuis quelques jours, une vague de froid importante. Alors que de nombreux désagréments sont à soulever, notamment le blocage des routes suite aux chutes de neige, la baisse des températures et le retour de la neige font le bonheur des agriculteurs. En effet, selon les spécialistes, ces pluies et neige arrivent à un très bon moment de la saison agricole, surtout après une période assez longue d’absence de précipitations. Le froid va en effet freiner la végétation et permettre de retarder le bourgeonnement. Cependant, en ce qui concerne les arbres fruitiers dont les bourgeons à fleurs avaient commencé à se développer suite à la douceur de l'hiver, «cette vague de froid peut ruiner la production en détruisant les jeunes fleurs», prévient M. Belaïd. Pour ce qui est des céréales, le spécialiste explique que le retard et l'irrégularité des pluies ont créé différentes situations qui font que les plantes se situent à différents stades de croissance : de la levée au stade tallage. La résistance au froid est donc variable selon ces stades. Ainsi, du stade levée au stade 3-4 feuilles, les plants de blé sont sensibles au froid. Ils sont d'autant plus sensibles que la vague de froid est, selon M. Belaïd, brusque et que les plants n'ont pas eu le temps de s'endurcir. Cette situation concerne, selon lui, les régions à l'ouest du pays, qui ont manqué de pluie et où la végétation est en retard. Passé ce cap et arrivé au stade tallage, M. Belaïd affirme que le blé devient résistant au froid et peut supporter des températures négatives. «C'est le cas des régions qui n'ont pas eu à souffrir du manque de pluie, comme à Constantine», précise-t-il. Mais passé ce stade, les plantes redeviennent plus sensibles. «Des dégâts sont à craindre lors de températures négatives pour le stade appelé ''épi à 1 cm''. Cette situation peut se rencontrer dans les parcelles actuellement les plus avancées», ajoute l’expert. Ce dernier explique par ailleurs qu’étant donné que cette vague de froid est accompagnée de neige, celle-ci a donc un effet protecteur, car elle évite à la plante des températures négatives. M. Belaïd prévient qu’il faudra également tenir compte des parcelles ayant reçu un passage d'herbicides. Dans certains cas, selon les produits utilisés, la vague de froid peut provoquer, selon lui, le jaunissement des feuilles. Mais cette situation est réversible dès que les températures positives réapparaissent. Le bilan des effets de la vague de froid sera donc à établir dans les semaines à venir. Par ailleurs, Djamel Belaïd explique que la satisfaction des agriculteurs à la vue de la neige viendrait des précipitations et donc d'un apport d'eau, «car au bout de quelques jours, la neige commencera à fondre et l'eau issue de cette fonte sera libérée progressivement. Ce qui est loin d'être le cas des pluies tombées lors des orages». En effet, celles-ci ruissellent et l'infiltration de l'eau dans le sol est réduite. Le spécialiste assure néanmoins qu’il faudra d'autres épisodes neigeux ou pluvieux pour réhumecter le sol en profondeur et recharger les nappes phréatiques. A cet effet, M. Belaïd fait également savoir que la joie des agriculteurs à la vue de la neige met en relief la question de la lutte contre le ruissellement des eaux de pluie. «La politique des grands barrages de ces dernières années s'est accompagnée des plans de petite hydraulique initiés par le HCDS. Les ouvrages de dérivation des crues des oueds ont permis d'irriguer des milliers d'hectares», assure-t-il. Dans les zones céréalières, l'ingénieur agronome recommande de mettre en application les techniques permettant de favoriser cette infiltration des eaux de pluie. Ces techniques sont variées. Il y a, par exemple, les bandes de culture alternées perpendiculaires au sens de la pente, les haies constituées d'arbres ou d'arbustes ou encore les obstacles de pierres dans les ravins. Finalement, si un hiver trop doux n’est pas bénéfique aux agriculteurs, un hiver trop froid ne l’est pas non plus. Le repos hivernal est parfois nécessaire aux plantes.