La révolution algérienne et l’Afrique : Le triomphe des nationalismes (2 ème Partie)

29/05/2023 mis à jour: 03:00
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Un puissant courant unitaire traversait le continent africain. Les partis politiques, les syndicats et les étudiants avaient mis en place des organisations à l’échelle des ensembles régionaux. Les colonialistes avaient des objectifs dictés par leurs intérêts et contraires à ceux des peuples africains ; ils ont repris le vieil adage romain «diviser pour régner». 

Presque tous les dirigeants de l’AOF (Afrique occidentale française) et de l’AEF (Afrique équatoriale française) étaient partisans de la mise en place de deux grandes fédérations. Le modéré, comme le Sénégalais Léopold Sédar Senghor (1906-2001), et les révolutionnaires, comme le Guinéen Sékou Touré, le Nigérien Djibo Bakari (1922-1998) et le Malien Modibo Keita (1915-1977), étaient les plus engagés sur cette voie. Le président du RDA, l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny (1905-1993), n’écoutera pas ses lieutenants, en revanche, il prêtera une oreille attentive aux dirigeants français qui préféraient traiter avec treize Etats au lieu de deux. De Gaulle a su réaliser les desseins des néocolonialistes et donner à son pays une très vaste zone d’influence. Il était l’homme le plus approprié pour une telle opération, en raison de sa très forte personnalité, du pouvoir qu’il exerçait sur les hommes, de sa fermeté et de son nationalisme exacerbé. Il opposera un refus catégorique aux leaders africains qui tentaient de lui suggérer l’émergence de deux grandes fédérations. 

Ahmed Sékou Touré était même disposé à sacrifier momentanément l’indépendance de la Guinée et à accepter le maintien de l’Union française si un Etat fédéral en Afrique occidentale voyait le jour. Il avait proposé la présidence de cet Etat à Houphouët Boigny, qui était très sensible aux sollicitations du général de Gaulle dont il défendra la politique. Il obtiendra en contrepartie une aide conséquente pour le développement de la Côte d’Ivoire, qui sera privilégiée par l’Occident tout entier. Le Soudan et le Sénégal vont créer une fédération du Mali, embryon d’un plus grand ensemble dans l’esprit de ses promoteurs, qui éclatera très rapidement en raison des manigances de Jacques Foccart (1913-1997), le Monsieur Afrique de l’Elysée. 

Lorsqu’en 1958, la Guinée a choisi l’indépendance, un autre gouvernement de territoire choisira lui aussi la même option. Il s’agit du gouvernement du Niger, dirigé par Djibo Bakari, leader du parti la Sawaba, qui était affilié à une organisation que dirigeait Léopold Sédar Senghor. Le général de Gaulle va faire truquer les élections au Niger pour évincer le grand patriote qu’était Djibo Bakari. Ce dernier avait auparavant irrité l’Elysée, car il situait son combat dans celui de l’Afrique tout entière et se voulait solidaire de tous les peuples en lutte pour leur indépendance. Militant calme et fier, progressiste mais opposé au dogmatisme, de culture occidentale mais sensible aux affinités de la civilisation musulmane, Djibo Bakari vouera toute sa vie à l’émancipation totale du Niger, tout en tenant compte de l’environnement de son pays. 

Par solidarité avec le peuple algérien, il sera le chef du gouvernement de territoire qui s’opposera fermement à la politique française de mise en place d’un ensemble saharien destiné à amputer l’Algérie de la plus grande partie de son territoire. Par cette opération, la France espérait réaliser son indépendance stratégique au plan énergétique en créant un Etat fantoche dans le Sahara. Il s’agissait pour elle de s’assurer la mainmise sur les ressources du sous-sol saharien, en particulier l’uranium, le pétrole et le gaz. Djibo Bakari s’est opposé à cette politique malgré les promesses alléchantes de Paris qui espérait mobiliser les Etats riverains pour le partage des ressources d’un peuple en lutte les armes à la main et qu’il fallait donc pour cela pénaliser. Le trucage des élections a permis à de Gaulle d’écarter non seulement un homme qui voulait l’indépendance de son pays mais aussi un chef d’Etat soucieux de renforcer la solidarité de l’Afrique envers les peuples en lutte contre l’impérialisme, le colonialisme et l’apartheid. 

A partir de l’indépendance de la Guinée et du Ghana, l’Algérie aura une plus grande possibilité d’intervention en Afrique. Elle participera à la première réunion des Etats africains, qui se tiendra au Liberia, et son président William Tubman (1895-1971) fera flotter le drapeau algérien à Monrovia. L’Algérie sera également présente à la deuxième réunion des ministres africains des Affaires étrangères, qui se tiendra à Addis-Abeba. Sa délégation était composée de Frantz Fanon, Omar Oussedik, Ahmed Boumendjel et de M’hammed Yazid. Elle apportera pareillement sa contribution à la deuxième conférence de solidarité des peuples afro-asiatiques tenue en mars/avril 1959 à Conakry. 

A cette époque, le Cameroun était également indépendant. Avant de reconnaître la souveraineté de cet Etat, la France avait pris soin d’écarter les dirigeants de l’Union des populations camerounaises (UPC), pour propulser au sommet un homme qui lui était acquis : Ahmadou Ahidjo (1924-1989). Elle a attisé les rivalités tribales pour obliger à la clandestinité l’UPC, qu’elle amènera à déclencher une lutte armée prématurée. La répression sauvage, la torture, les ratissages dans le sud du pays peuplé de Bamikés causeront d’énormes pertes. Um Nyobe (1913 - assassiné en 1958), surnommé Mpodol (celui qui porte la parole des siens), le leader charismatique, tombera dans une embuscade et sera remplacé par un organisateur hors pair Félix-Roland Moumié, qui lui aussi sera assassiné en Suisse par les Services de documentation extérieur et de contre-espionnage (SDECE) français. Dans cette affaire, on verra donc la France exciter le Nord musulman contre le Sud chrétien. Les traditionalistes baptisés pour l’occasion modernistes contre des progressistes étiquetés «communistes au service de Moscou», contre l’Occident chrétien et civilisé. 

L’UPC aura comme principale base arrière la Guinée et le Ghana. 

Lorsque Patrice Lumumba (1925 - assassiné en 1961) arrivera au pouvoir et tant que ce dernier était en vie, l’UPC s’était installée au Congo-Léopoldville (Congo-Kinshasa), d’où elle avait une plus grande possibilité d’intervention au Cameroun. Frantz Fanon et Omar Oussedik lui avaient suggéré d’ouvrir un canal de liaison qui partirait de la province équatoriale du Congo pour aboutir au Cameroun, en traversant une zone inhabitée du Congo Brazzaville. Par ce canal, il pourra faire parvenir au maquis les armes, les munitions et les médicaments dont les combattants avaient besoin. Nous rappelons pour mémoire que ces canaux de liaison du même type traversaient l’Algérie d’est en ouest pendant la Guerre de Libération nationale pour des objectifs identiques. 

Lors de la réunion qui s’était tenue à Addis-Abeba, ainsi qu’à celle de Conakry, l’Algérie aura une position assez confortable, du fait qu’elle avait des alliés de poids, en l’occurrence la Guinée, le Ghana, le Mali et les Etats d’Afrique du Nord. Au cours de la réunion de Conakry, si la présidence avait été donnée – et c’est tout à fait normal – à Ismaïl Touré (1925-1985), dirigeant guinéen, demi-frère de Sékou Touré, les deux vice-présidents étaient : pour l’Asie, Mme Indira Gandhi, et Frantz Fanon pour l’Afrique. Le GPRA en 1959 avait déjà ouvert deux missions diplomatiques en Afrique, l’une à Accra (Ghana) et l’autre à Conakry (Guinée). Ces deux missions étaient entièrement financées par les gouvernements des pays hôtes. 

L’Algérie sera représentée au Ghana par Frantz Fanon et en Guinée par Omar Oussedik. Lorsqu’une nouvelle mission sera ouverte au Mali, elle sera dirigée par l’harmonieux tandem de la Wilaya IV, les capitaines Ali Lounici et Boualem Oussedik. Nous avions donc très rapidement manifesté notre présence sur le continent. Auprès de Lumumba nous avions détaché le journaliste, essayiste et romancier anticolonialiste Serge Michel (1922-1997), de son vrai nom Lucien Douchet, comme conseiller à l’information. 

A ce niveau, nous voudrions ouvrir une parenthèse pour information. Lors d’un entretien que Lumumba avait accordé à Frantz Fanon et Omar Oussedik, ces deux derniers avaient conseillé au dirigeant congolais de rééditer ce que Nyerere avait réalisé en tandem, à savoir, choisir un homme de confiance à placer à la tête du gouvernement et se consacrer totalement à l’édification d’un parti politique qui couvrirait tout le territoire national. A l’indépendance du Congo Léopoldville (30 juin 1960) puis Zaïre (1971- 1997) et aujourd’hui République démocratique du Congo, la situation de ce pays immensément riche, souvent surnommé le Brésil africain, était confuse et difficile. Il y avait en tout et pour tout quatre personnes qui avaient fait des études universitaires. L’enseignement était prodigué par des congrégations religieuses qui ne flattaient pas le sentiment national congolais. La majorité, sinon toutes les organisations en dehors de celle de Lumumba, avait des audiences limitées, et ceci en raison de leurs références qui étaient d’ordre tribal, ethnique, religieux et dans le meilleur des cas régional. 

Seul Lumumba avait une vision nationale. C’était un homme extrêmement intelligent, un patriote et un dirigeant qui possédait un formidable charisme. Malheureusement, son parti avait lui aussi une composante ethnique qui affaiblissait son audience. Il voulait avoir un parti pluriethnique, mais il n’a pas eu le temps nécessaire pour le mettre en place. C’est dans ces conditions que Frantz Fanon et Omar Oussedik lui avaient conseillé de réaliser ce que Julius Nyerere avait accompli en Tanzanie. Il avait provoqué une réunion des ministres africains des Affaires étrangères, au cours de laquelle il a sollicité une solidarité agissante à l’égard du Congo, considéré par les tenants du colonialisme comme un «revolver braqué sur le cœur de l’Afrique de papa». Mais, déjà l’anarchie était installée, encouragée et financée par les services pas toujours secrets des puissances occidentales. 

Ces dernières ne se résignaient pas à admettre le leadership de Patrice Lumumba, qui aspirait à une réelle indépendance. Dans ses déclarations, il préconisait une plus grande solidarité à l’égard des mouvements de libération en Afrique, et ambitionnait un rôle international, que les populations de son pays, son immensité (2 345 410 km2) ainsi que ses importantes richesses pouvaient normalement leur décerner. Il tombera victime de l’impérialisme, au sein duquel la CIA avait eu un rôle de tout premier plan. En outre, et compte tenu du réseau de renseignements qu’ils avaient créé sur le territoire congolais, les services français, à partir du Congo Brazzaville voisin, et les services belges apporteront une contribution importante à la chute de Patrice Lumumba.   (A suivre)

Par le Commandant Azzedine 

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