Plus de sept mois après le déclenchement de la guerre et le début de l’offensive terrestre à Ghaza, la résistance palestinienne arrive à asséner des coups surprenants à l’armée israélienne. Mercredi dernier, une embuscade conjointe entre les éléments des brigades Al Qassam, affiliées au Hamas, et les brigades Al Qods de la faction du Djihad islamique, a fait entre 10 et 20 morts, selon des sources, parmi les troupes engagées dans des opérations dans le camp de réfugiés de Jabaliya, au nord de Rafah.
Les porte-paroles de l’armée israélienne ont, dans un premier temps, avancé la thèse des «tirs amis» ayant résulté d’un manque de coordination à une phase de l’offensive, avant de reconnaître que les pertes ont été subies lors d’opérations conduites par les éléments du Hamas.
D’autres opérations, sur les bilans desquels les informations sont restées contradictoires, ont eu lieu depuis deux jours dans le périmètre, démontrant une fois de plus que malgré la puissance de feu criminelle et sans précédent lâchée sans discontinuation contre l’enclave palestinienne depuis plus de 220 jours, des foyers de résistance restent actifs, enlisant l’armée israélienne dans un conflit qui n’est pas prêt de connaître une issue.
La témérité de la résistance palestinienne se manifeste par des coups d’éclats non seulement dans ce nouveau front que constitue la région de Rafah, mais aussi dans certains points du nord de l’enclave de Ghaza théoriquement passés au peigne fin, les mois derniers et les semaines dernières, après avoir été complètement dévastés.
On ne sait pas si ce sont ces événements qui ont vaincu les dernières réticences du ministre israélien de la Défense à faire part publiquement des difficultés auxquelles fait face son armée sur le terrain, après sept mois de mobilisation extrême et, surtout, de l’incapacité du gouvernement à tracer un plan politique et un objectif clair à un déploiement militaire de plus en plus coûteux et de plus en plus incertain.
Ce faisant, Yoav Gallant, un des trois hommes qui composent le Cabinet de guerre, entre en confrontation directe avec Benyamin Netanyahu et sa garde rapprochée d’extrême droite, et donne un aperçu des failles qui se sont creusées au fil des déconvenues diplomatique et stratégique dans l’Exécutif aux commandes à Tel-Aviv.
«Efforts sisyphiens» à Ghaza
Le ministre de la Guerre a ainsi exprimé, dans une déclaration télévisée, son opposition au plan de contrôle militaire de Ghaza après la fin de la guerre, tel que préconisé par le Premier ministre, renouvelant sa préférence pour une autorité combinée associant des représentants de tribus arabes locales «non hostiles» et une coalition internationale dont il reste à définir les contributeurs.
Très peu élaborée, la proposition de Gallant semble plus viser une porte de sortie à l’armée du bourbier ghazaoui, d’autant que, argue-t-il, une présence sur la durée des forces israéliennes sur le territoire est synonyme de pertes supplémentaires dans les rangs et un coût social et économique que l’Etat hébreu aura du mal à assumer.
Sans le reconnaître ouvertement, il laisse entendre donc que l’objectif d’anéantir le Hamas et ses capacités militaires va rester hors de portée et qu’il faudra donc éviter de surexposer l’armée sur le terme par une occupation prolongée, ou définitive, de Ghaza. Quelques jours auparavant, un son de cloche aussi sceptique et polémique a été développé par le chef d’état major, lui-même gagné par le doute quant à l’efficacité de l’effort de guerre engagé à Ghaza sans perspectives politiques clairement déclarées sur le fameux «jour d’après» par le gouvernement.
Il aurait ainsi lâché, lors d’une entrevue avec le Premier ministre, que le gouvernement avait compromis l’armée dans des «efforts sisyphiens» et qu’il était temps de changer de fusil d’épaule. Les faits font suite à d’autres marques de défiance de l’appareil sécuritaire et militaire contestant ces dernières semaines la navigation à vue du gouvernement s’agissant de la durée prévisionnelle de la guerre, ainsi que sur ses objectifs tactique et stratégique.
Le roc de la résistance palestinienne
La réponse à cette montée au créneau est venue rapide et sans précautions de forme. Près d’une heure après les déclarations de Gallant, Benyamin Netanyahu rétorque qu’elles sont simplement «dénuées de substance» et qu’elles ne méritent donc pas d’être considérées au-delà de ce commentaire.
Le Premier ministre ajoute cependant qu’il n’est pas question d’envisager une alternative de gouvernance à Ghaza tant que le Hamas garde la moindre possibilité d’entreprendre des actions et que ladite alternative ne portera surtout pas le cachet du Fatah ni de l’Autorité palestinienne qui siège à Ramallah.
C’est la première fois depuis le début du conflit qu’une passe d’armes pareille oppose le sommet du gouvernement au département de la guerre ; le désaccord, en débordant l’obligation de confidentialité institutionnelle, atteste d’une tension qui accentue l’isolement de Netanyahu, certes, sans effets réels sur ses choix politiques pour le moment.
Encore une fois, il n’a dû compter que sur le soutien des forcenés de la coalition d’extrême droite. Itamar Ben Gvir, ministre de la Sécurité intérieure et dirigeant du parti suprémaciste Force juive, dénonce les «visions défaitistes» du ministre de la Défense et appelle Netanyahu à le limoger sans tarder. Bezalel Smotrich, dirigeant du Parti sioniste religieux, ramassis de colons racistes et boulimiques, enjoint, lui, Yoav Gallant à démissionner immédiatement s’il ne partage pas les options du gouvernement.
Le ministre de la Défense, détenteur pourtant d’un palmarès fourni en actes et déclarations criminels contre les Palestiniens, dont l’appel à traiter les Ghazaouis «comme des animaux», au tout début de l’offensive, passe dans le contexte pour un tiède qui ne fait pas l’affaire, juste parce qu’il émet l’idée de ne pas occuper Ghaza. C’est dire la qualité du climat actuellement dans les rouages de décisions au sein de l’Etat hébreu et l’impasse dans laquelle le pousse l’héroïque résilience palestinienne.