Par cette modeste contribution, nous proposons de faire un éclairage sur la trajectoire empruntée par la réforme du système budgétaire du pays, à travers un exposé succinct sur le contexte dans lequel elle est intervenue, ses motivations, ses fondements juridiques et techniques, les missions rénovées des principaux acteurs et intervenants, ainsi que ses perspectives, à court, moyen et long termes. Particulièrement, le rôle de la Cour des comptes s’en trouve redimensionné.
LE CONTEXTE DE LA RÉFORME
L’attention portée sur la gestion des finances publiques, partout dans le monde, n’a jamais cessé d’être une préoccupation majeure suscitant des débats publics, parfois exacerbés, entre l’exécutif et le législatif, ne manquant pas, par ailleurs, d’attirer l’intérêt de plus en plus affirmé de la société civile.
Ce regard grandissant se focalisant sur un domaine, aussi sensible, de la gouvernance de l’Etat, se veut être, en permanence, un examen minutieux sur les crises profondes et répétitives qui affectent particulièrement la gestion budgétaire et financière, en raison de la détérioration chronique des indicateurs socio-économiques de nombreux pays, à l’origine de déficits croissants et persistants et d’un endettement public endémique. La maîtrise de telles situations est devenue aléatoire, à différentes époques et dans de nombreux pays, eu égard à la démultiplication des politiques publiques sans commune mesure avec les besoins incompressibles des populations et la mobilisation des ressources publiques.
LES MOTIVATIONS DE LA RÉFORME
En dépit de nombreux aménagements apportés aux principes et règles budgétaires classiques (annualité, spécialité, unité et universalité), leur orthodoxie n’a pu, cependant, résister à l’exigence impérieuse d’une refondation du cadre budgétaire pour l’adapter aux nécessités et aux nouvelles pratiques dont la modernisation offre une dimension raisonnée, plus large et plus explicite, à la gestion budgétaire axée sur les résultats. Le périmètre de cette réforme exige, au demeurant, l’ancrage de nouveaux principes budgétaires, empruntés à la science des organisations : c’est l’approche managériale de l’Etat visant à changer en dépassement de la logique des moyens et de l’optique juridique, les comportements budgétaires, fussent-ils humains ou organisationnels, en y imprégnant une culture de résultats inédite et deux nécessités intimement liées : la transparence et la performance budgétaires. Cette nouvelle approche allait sérieusement impacter la doctrine, les missions des acteurs et partenaires à la gestion et au contrôle des finances publiques, ainsi que les activités des intervenants, particulièrement en matière budgétaire et financière.
LE CAS DE L’ALGÉRIE : LES FONDEMENTS JURIDIQUES ET TECHNIQUES
L’Algérie n’a pas été en reste de cette importante évolution du contexte international de la gouvernance des finances publiques, puisqu’il a été jugé utile, auparavant, de réviser la loi-cadre 84-17 du 7 juillet 1984, modifiée et complétée, relative aux lois de finances pour recentrer toute sa substance aux innovations des systèmes politique et économique, de la réforme de l’Etat et de la modernisation de la gestion publique.
C’était l’œuvre de la loi organique n°18-15 du 2 septembre 2018 relative aux lois de finances, modifiée et complétée par la loi organique du 11 décembre 2019. L’article 1er de la loi susvisée dispose la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) a pour objet de définir le cadre de gestion des finances de l’Etat devant régir la préparation des lois de finances, leur contenu, leur mode de présentation et leur adoption par le Parlement. Elle fixe aussi les principes et règles des finances publiques, des comptes de l’Etat et d’exécution et de contrôle de la mise en œuvre des lois de finances.
La gestion axée sur les résultats
En résumé, la substance de ce dispositif législatif, et des textes d’application subséquents, instaure de nouvelles règles d’élaboration et d’exécution du budget de l’Etat, s’évertuant, d’une part, à réformer le cadre de gestion publique pour l’orienter vers les résultats et la recherche de l’efficacité, et d’autre part, renforcer la transparence des informations budgétaires et la portée de l’autorisation parlementaire.
Toute la finalité des principales innovations qu’apporte le législateur par l’entremise de cette loi organique (LOLF) repose sur une approche vertueuse qui ambitionne de faire passer la collectivité publique d’une logique de moyens à celle de résultats car, désormais, les discussions sur les projets de lois de finances se concentreront sur le rapport coût/efficacité des politiques publiques.
L’amélioration de la performance de la gestion publique
Cette démarche, centrée sur la performance, suppose que celle-ci puisse être mesurée de façon rationnelle : les gestionnaires de programmes devaient se voir fixer des objectifs, recevoir des moyens nécessaires pour les atteindre et être jugés sur leurs résultats, en vertu du principe de responsabilisation et/ou d’imputabilité des gestionnaires publics. Pratiquement, il s’agit d’inscrire dans le système de gestion du budget et d’incitations des gestionnaires publics des objectifs clairs, des cibles, des indicateurs et des actions bien définies portant sur les résultats obtenus, plutôt que sur les moyens et les prestations de services.
Dans le sillage de cet objectif, notons qu’à compter de l’année 2023, qui allait constituer l’étape intermédiaire de la réforme, il a été prévu d’entreprendre le développement des dispositifs et mesures relatifs à la performance afin de les appliquer progressivement dans les structures administratives.
Le soutien à l’équilibre structurel du budget : l’approche pluriannuelle
Théoriquement, le nouveau cadre juridique défini par la LOLF algérienne s’annonce comme un vecteur essentiel d’une réforme budgétaire substantielle visant à introduire des supports modernes de gestion, avec l’instauration notamment d’une approche pluriannuelle des recettes et des dépenses, basée sur la mise en place du CBMT (cadre budgétaire à moyen terme), instrument de programmation pour une période de 3 ans), et d’une nouvelle architecture budgétaire, par le biais de nomenclatures concernant l’unification des budgets de fonctionnement et d’investissement, sous un compte unique.
Outre la fixation de prévisions de recettes, de dépenses et du solde de l’Etat, ainsi que, le cas échéant, de l’endettement public, il est attaché, à ce cadrage budgétaire à MT, un objectif de soutenabilité dans lequel doivent s’inscrire la préparation, l’adoption et l’exécution du budget de l’Etat.
Les aménagements techniques : le rôle accru du ministère des Finances
Par ailleurs, dans le but de favoriser une flexibilité dans l’exécution du budget de l’Etat, la LOLF a introduit certains aménagements, en autorisant :
- le recours aux décrets d’avance pour faire face aux situations d’urgence, en l’absence même d’une loi de finances rectificative ;
- une période complémentaire s’étendant jusqu’au 20 janvier de l’année suivant celle du budget concerné ;
- le report de crédits de paiement pour les dépenses d’investissement d’un programme sur le même programme, dans la limite d’une marge de 5% du crédit initial ;
- la possibilité de recourir au gel ou à l’annulation de crédits de paiement destinés à la couverture des équilibres généraux du budget. Ces changements, introduits dans les procédures d’élaboration, de présentation et d’exécution du budget de l’Etat, permettent ainsi de renforcer la capacité du ministère des Finances, en matière de prévision et de gestion des dépenses publiques.
La transparence budgétaire : des informations mieux lisibles et plus documentées
En ce qui concerne l’objectif de transparence des informations budgétaires, celui-ci va se concrétiser par la production d’annexes explicatives devant accompagner les lois de finances (08 au lieu de 03 précédemment), ainsi que par l’élargissement de la liste des documents concourant à la même finalité.
En sus de ces documents, s’ajoute l’introduction de nouveaux principes comptables par la mise en place de trois comptabilités de l’Etat, suite à la promulgation de la loi n°23-07 du 21 juin 2023 relative aux règles de comptabilité publique et de gestion financière :
- la comptabilité budgétaire (recettes et dépenses) ;
- la comptabilité générale (ensemble des mouvements affectant le patrimoine, la situation financière et le résultat ;
- la comptabilité d’analyse des coûts des différentes actions engagées dans le cadre des programmes.
Le but recherché dans l’instauration de la transparence budgétaire vise également à renforcer les capacités du ministère des Finances, en matière d’analyse des coûts et des choix des politiques de dépenses publiques.
Le renforcement de l’information budgétaire
Au chapitre du renforcement de l’information budgétaire, l’esprit et la lettre de la LOLF tendent à améliorer celle inhérente principalement à la situation financière et patrimoniale de l’Etat, à travers la loi portant règlement budgétaire (LRB), à laquelle est, désormais, joint le compte général de l’Etat, le rapport d’évaluation de performance et une certification des comptes de l’Etat par la Cour des comptes. Cela dit, la loi portant règlement budgétaire ne sera plus un simple relevé comptable permettant de constater et d’arrêter le montant définitif des recettes encaissées et des dépenses effectuées, au titre d’une année, mais aussi un moyen de contrôler les résultats des objectifs obtenus et la performance des gestionnaires audités.
Le redimensionnement des missions de la Cour des comptes
Pour plus de précisions, notons que deux importants documents, comptant parmi les plus innovants dans cette entreprise de réforme, sont mis à l’actif de la Cour des comptes, en sa qualité d’institution supérieure de contrôle (ISC), en l’occurrence :
- Le rapport relatif aux résultats d’exécution de la loi de finances de l’exercice considéré et à la gestion des crédits examinés, en particulier, au regard des programmes mis en œuvre.
Dans ce cadre, la Cour aura à se prononcer sur ces résultats, non seulement en termes budgétaires (taux de consommation des crédits, reports, annulations, dépassements, etc.), mais aussi en termes de performance, aux moyens d’analyse des programmes audités, en vue d’apporter des éclairages utiles, à destination du Gouvernement et du Parlement ;
- Le rapport relatif à la certification des comptes de l’Etat, au regard des principes de régularité, de sincérité et de fidélité, laquelle certification est appuyée par un rapport qui retrace les vérifications effectuées, à cette fin. La certification, plus qu’une activité d’audit, constitue un nouveau champ de compétence et d’intervention dont la finalité est de garantir, à l’institution législative et au citoyen, une information claire, plus lisible et une image fidèle de la situation financière de l’Etat.
De par cette vocation, la Cour des comptes algérienne, à l’instar des autres ISC, va réaffirmer son positionnement institutionnel d’acteur clé dans le contrôle public (a posteriori), dont l’originalité des résultats de ses missions, à destination, à la fois, du Gouvernement, du Parlement et du citoyen, lui assigne un statut de grand corps de l’Etat, sur l’échiquier national.
Compte tenu de cette nouvelle attribution, le rôle de la Cour des comptes s’en trouve redimensionné, dès lors qu’elle aura à assumer des missions variées et assez étendues, se répartissant entre des compétences juridictionnelles exclusives et des compétences administratives, au titre desquelles elle juge, contrôle, évalue et certifie.
A ce titre, la Cour des comptes est en droit de prétendre légitimement à son renforcement organique et statutaire et à l’amélioration des conditions d’exercice pour ses ressources humaines.
Le calendrier de mise en œuvre de la réforme budgétaire
Au chapitre des dispositions transitoires, la loi organique, sus-énoncée, a fixé un calendrier précis pour la réalisation des missions constitutionnelles, ainsi définies. La loi de finances, afférente à l’exercice 2023, est la première préparée et exécutée, conformément aux dispositions de la loi organique 18-15, dont il s’agit. Pour ce qui concerne les projets de loi portant règlement budgétaire, ceux afférents aux années 2023, 2024 et 2025 sont préparés, discutés et adoptés par référence à l’exercice budgétaire N-2. A partir de l’année 2026, le projet de loi portant loi de règlement budgétaire est préparé, discuté et adopté par référence à l’exercice budgétaire N-1. S’agissant, par contre, de la certification des comptes, nouvellement attribuée à la Cour des comptes, elle interviendra en 2025 par des moyens propres de l’institution.
CONCLUSION
En Algérie, la réforme budgétaire a constitué le vecteur principal dans la réorganisation des finances publiques. Depuis plus de deux décennies, les pouvoirs publics ont engagé un vaste chantier pour transformer le cadre institutionnel, organisationnel et fonctionnel de ce secteur, particulièrement avec la mise en œuvre du projet de Modernisation des systèmes budgétaires (MSB).
A l’entame du MSB, l’esprit de la réforme, qui y a présidé, a exigé des décideurs publics, autant que des différents intervenants dans la gestion et le contrôle du budget de l’Etat, de se rapprocher et de se concerter pour apporter des réponses communes à chaque questionnement que suscite la conceptualisation et la réalisation de ce projet.
Néanmoins, le processus adopté, dans cette perspective, il faut le reconnaître, s’est avéré particulièrement long et laborieux, au vu de l’énorme décalage temporel qu’il enregistre dans les différentes phases de sa mise en œuvre : promulgation de la loi organique relative aux lois de finances, en septembre 2015 et de la loi relative aux règles de comptabilité publique et de gestion financière, en juin 2023 ; tandis que le projet de loi organique relative à la Cour des comptes est en phase d’être validé, à fin décembre 2024, pour espérer un rattrapage institutionnel dans l’échéancier de la réforme budgétaire, début 2025 à 2026. Qu’en est-il alors des textes d’application et des moyens matériels et humains ?
Nonobstant cet écueil, il y a indéniablement matière à satisfaction pour les changements significatifs introduits par cette réforme, particulièrement en ce qui concerne la mise en place d’une nouvelle architecture budgétaire, la définition de périmètres pertinents de responsabilisation des gestionnaires publics, l’introduction d’instruments juridiques et techniques, en vue d’améliorer la lisibilité des informations budgétaires, le renforcement des missions de la Cour des comptes et, enfin, le développement de capacités d’analyse stratégique du ministère des Finances et des conditions de pilotage des finances publiques, en général.
La réussite d’un tel pari dépendra d’abord du vaste programme de formation d’agents publics dans tous les secteurs et les démembrements de l’Etat, des actions à diligenter pour la construction d’un système d’information moderne, homogène et performant qui devra mettre en connexion les différents acteurs et intervenants dans la gestion et l’exécution du budget, sous sa nouvelle présentation.
Au-delà de l’impératif d’une mise à disposition de moyens modernes, multiformes et conséquents, la ressource humaine est appelée, par ailleurs, à faire preuve de compétence et de professionnalisme avérés dans le domaine, avec beaucoup d’engagement et de conviction pour hisser la gestion des finances publiques du pays à des standards souhaitables de bonne gouvernance.
Par Mebarki Mohammed Séghir , Magistrat retraité de la Cour des comptes
BIBLIOGRAPHIE
Référents législatifs :
- Loi n°84-17 du 17 juillet 1984, modifiée et complétée, relative aux lois de finances ; - Loi organique n°18-15 du 2 septembre 2018, modifiée et complétée, relative aux lois de finances ; - Loi n°23-07 du 21 juin 2023 relative aux règles de comptabilité publique et de gestion financière ; - Ordonnance n°95-20 du 17 juillet 1995, modifiée et complétée, relative à la Cour des comptes.
Documentation générale :
- Synthèse des travaux du Comité d’étude sur le projet de LOLF. Cour des comptes. Avril 2018 ; - Projet de modernisation des systèmes budgétaires (MSB) 2008-2020-Phase II. Gouvernement Algérien ; - Projet de modernisation des systèmes budgétaires (MSB) – DGC/Ministère des Finances ; - Projet de modernisation des systèmes budgétaires (MSB) - KISSI Fadia, Université de Sidi-Bel-Abbès. AL-IJTIHED Revue des études juridiques & économiques – CUTAM. Algérie ; - Gestion des finances de l’Etat – Budget-Comptabilité-Trésor. Hassane ELARAFI. Rejles. Maroc ; - Cour des comptes française – Brochure de la Direction de la Communication. Septembre 2012 ; - La démarche de performance – Stratégie, objectifs, indicateurs. Guide méthodologique pour l’application de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001. Juin 2014. France.