La montée des monnaies numériques officielles en 2024

13/05/2024 mis à jour: 04:56
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Photo : D. R.

Alternative prometteuse pour les instituts d’émission dans un monde qui se numérise rapidement, de nombreuses Monnaies numériques banque centrale (MNBC) devraient voir le jour en 2024 et à moyen terme. Vu la progression marquée des technologies numériques, de très nombreux gouvernements sont donc en train de se doter de stratégies de numérisation pour transformer les services publics et accroître leur efficacité.

Pour ce qui est des banques centrales, les défis sont considérables vu la montée de la numérisation des paiements. Guidées ainsi par le besoin de s’adapter rapidement à ces nouvelles réalités, les banques centrales se focalisent désormais sur la mise en place d’une Monnaie numérique banque centrale (MNBC).

Cette dernière est, tout comme une monnaie régulière, un passif numérique de la banque centrale utilisé comme moyen de paiement par la population (détail) ou les institutions financières (gros). Une MNBC est in fine simplement la monnaie officielle d’un pays sous forme numérique. Nonobstant ses avantages, la création d’une telle MNBC est également source de coûts élevés qui vont de façon ultime dépendre des conditions propres à chaque pays. Discutons de tous ces points cruciaux.
Un processus de numérisation mondiale des monnaies officielles en pleine accélération.  Les MNBC suscitent un intérêt considérable qui s’explique par la nécessité (1) de compenser la baisse de l’utilisation de l’argent physique ; (2) de repousser la menace qui pèse sur leurs pouvoirs d’impression monétaire de la part du Bitcoin et des grandes entreprises technologiques ; et (3) d’échapper aux sanctions nationales (Russie et Venezuela).

Les données à fin mars 2024 montrent que : (1) Onze pays au niveau des Caraïbes, de l’Amérique latine et de l’Afrique ont déjà lancé une MNBC ; (2) Deux autres grandes économies émergentes, l’Inde et le Brésil, comptent le faire cette année ; et (3) 130 pays (98% de l’économie mondiale) explorent désormais des versions numériques de leurs monnaies, dont près de la moitié sont à des stades avancés de développement et de pilotage. A contrario, certains pays qui les ont lancées – comme le Nigeria, ont connu une adoption décevante, tandis que le Sénégal et l’Equateur ont tous deux annulé leurs travaux de développement. Pour ce qui est des Etats-Unis, le projet de MNBC avance lentement au vu du poids colossal du dollar dans le système financier et de ses énormes conséquences sur le monde. 

Les avantages et inconvénients liés à la création d’une MNBC. Cette dernière diffère de la monnaie numérique existante (dépôts bancaires) dans la mesure où elle relève de la responsabilité directe de la banque centrale plutôt que de celle d’une banque commerciale. Elle diffère également des comptes de dépôt existants auprès de la banque centrale (les réserves bancaires) vu que le public peut détenir directement une MNBC.

Même si celle-ci offre potentiellement des paiements plus sûrs, plus rapides et moins chers pour le grand public, elle soulève également des questions complexes en termes de politiques publiques. Une préoccupation majeure est qu’une MNBC pourrait entrer en concurrence avec les dépôts bancaires, provoquant une désintermédiation du système bancaire existant et réduisant la disponibilité du crédit pour les ménages et les entreprises. Une autre préoccupation (toutefois connexe) concernant 12 MNBC est que les chocs sur les dépôts bancaires pourraient affecter les prêts bancaires.

La gestion du processus et des risques principaux liés à la création des MNBC. Le succès de la mise en place de ces dernières est lié à : (1) l’adoption d’un cadre d’analyse et de conduite du processus de création de la MNBC ; (2) la fixation d’objectifs précis à atteindre ; (3) la capacité des MNBC à remédier aux inefficacités des systèmes de paiement ; (4) la prise en charge des impacts de la MNBC sur la stabilité financière, la politique monétaire et le risque opérationnel de la banque centrale ; et (5) la capacité des MNBC à atteindre les objectifs politiques et à en atténuer ces risques.

Point 1 : Mettre en place un cadre d’analyse et de création des MNBC : Pour ce faire, il est important de : (1) définir clairement les objectifs assignés aux MNBC ainsi que les mesures appropriées pour assurer la réussite de l’opération ; (2) articuler une stratégie visant à identifier et quantifier les risques ; (3) évaluer avec minutie la capacité des autorités à expérimenter, réglementer, superviser et éventuellement mettre en œuvre les MNBC ; (4) définir une politique de communication pour guider les actions de toutes les parties prenantes au titre de ce processus de création de la MNBC; (5) faire établir par les banques centrales un ensemble d’exigences en matière de fonctionnalités de la MNBC ; et (6) se doter de bases juridiques et réglementaires solides qui permettraient de soutenir le projet MNBC dès le départ.

Point 2 : Baliser le processus de création des MNBC en distinguant cinq étapes : (1) la préparation qui se focalisera sur la recherche des tendances, la définition des objectifs, l’établissement des critères de réussite, l’évaluation de la faisabilité ainsi qu’un audit des capacités techniques et d’analyse des risques ; (2) la validation de principe qui passe par la réalisation de tests empiriques et d’activités de validation à petite échelle pour mieux comprendre les conceptions de MNBC, généralement dans un environnement de laboratoire ; (3) la création d’un prototype qui s’appuie sur le développement ou l’acquisition des technologies nécessaires et la sélection des partenaires appropriés ; (4) la phase pilote représente le test en direct d’un produit quasi final et (5) la phase de production qui marque l’émission et l’exploitation finale de la MNBC.

Point 3 : Favoriser l’inclusion financière : Afin que la MNBC soit acceptée comme mécanisme de paiement par les populations financièrement exclues, elles doivent : (1) reproduire certaines des propriétés souhaitables de l’argent liquide, dont l’accès aux paiements sans compte bancaire, la confiance associée à la monnaie de banque centrale, des frais faibles ou nuls et des exigences d’identité moins strictes pour les populations à faible risque ; (2) offrir des avantages allant au-delà de ceux de l’argent liquide, tels que le développement d’un historique financier pour contribuer à élargir l’accès au crédit ; (3) servir de point d’entrée précieux au système financier formel ; (4) stimuler la concurrence en abaissant les prix des paiements et des services financiers ; et (5) répondre aux besoins des populations éloignées et à faible revenu mal desservies par le secteur privé, grâce à leur disponibilité sur une variété d’appareils matériels et dans des environnements hors ligne. 

Point 4 : Renforcer l’efficacité des paiements : La MNBC doit être proposée à un coût inférieur à celui des alternatives existantes, condition incontournable pour : (1) stimuler la concurrence sur le marché des paiements : (2) contribuer à accroître l’accès aux comptes bancaires, à travers des plateformes technologiques existantes ; et (3) améliorer l’efficacité des services de paiement transfrontaliers par le biais d’une interopérabilité des systèmes de paiement, une rationalisation des contrôles de conformité, une simplification des chaînes de transactions, un renforcement de la concurrence et une baisse du coût des transactions transfrontalières. 

Point 5 : Protéger la stabilité du système financier : Eventuellement les MNBC vont concurrencer les dépôts bancaires, principale source de financement des banques, réduisant ainsi leur rentabilité et leurs volumes de prêts. Dans ce contexte, la préservation de la stabilité financière implique alors la disponibilité de réserves de capital, de rentabilité et de liquidité adéquates, ce qui pourrait contribuer à atténuer les effets négatifs potentiels de la concurrence générée par les MNBC. De plus, il est crucial de disposer au départ d’un système bancaire sain, d’une base juridique solide et d’une forte capacité de surveillance et de réglementation afin de traiter les éventuelles implications négatives.

Point 6 : Maintenir un canal adéquat de transmission de la politique monétaire. En offrant une monnaie de réserve de valeur sûre et des moyens de paiement efficaces, une MNBC peut accroître la concurrence pour le financement des dépôts, augmenter la part des banques dans le financement de gros et réduire les bénéfices des banques. De plus, si la MNBC élargit le processus d’inclusion financière, elle pourrait réduire in fine la dollarisation de certaines économies. Des niveaux modérés de détention de MNBC ne vont pas modifier le canal de transmission de la politique monétaire en contexte normal.

Si en revanche, ce dernier se caractérisée par des taux d’intérêt bas ou des tensions sur les marchés financiers, cela entrainerait une hausse de détention de la MNBC. Autre cas possible, une MNBC non rémunérée pourrait tester la limite inférieure zéro des taux d’intérêt. Enfin, une MNBC pourrait accroitre les risques de fuite en direction des dépôts des banques de détail (pour des raisons de sécurité) en période de tensions sur les marchés.

Qu’en est-il de l’émergence d’une MNBC en Algérie ? Un tel projet trouve sa base juridique au niveau de l’article 3 de la loi monétaire et bancaire du 21 juin 2023. Sa création éventuelle ouvrirait la voie à la modernisation du système bancaire algérien (pour peu que ce dernier objectif s’inscrive dans une démarche globale de refondation de l’économie du pays). La création d’une MNBC demandera, toutefois, une préparation minutieuse.  

Point 1 : Des indicateurs de performance d’un secteur financier qui parlent d’eux-mêmes sur les efforts à entreprendre pour le moderniser. (1) Le système non bancaire : se caractérise par une petite taille (avec une importante participation de l’État), une intégration limitée par rapport aux marchés financiers internationaux et des segments d’importance inégale ; (2) Le système bancaire : se distingue par : (i) une pénétration et inclusion financière insuffisante avec une banque pour 26 551 habitants (taux de pénétration bancaire très faible vu la moyenne au Maghreb qui se situe à 1 pour 6000-10,000 habitants) ; et dont 726 780 comptes détenus par des personnes physiques (signe d’une faible inclusion financière) ; (ii) une intermédiation reflétant l’absence de concurrence : avec un crédit total à l’économie de 10 115 milliards de dinars représentant 36 % du PIB, relativement modeste en comparaison internationale et traduisant un faible niveau d’intermédiation ; et des marges d’intérêt à hauteur de 78 % du bénéfice d’exploitation, révélatrices d’une absence de concurrence ; (iii) une concentration des banques d’état (86% des prêts totaux) et une absence de concurrence. Pour finir, notons un produit net bancaire en chute :  de 4,64 % en 2022 et 1,84% en 2021 (Rachid Sekak), reflétant un système bancaire en récession.  

La création d’un MNBC serait alors un très bon pas dans la direction d’une modernisation du secteur financier algérien. En effet, en tant que nouvel actif émis par la banque centrale, il sera donc enregistré comme un passif de cette dernière ce qui lui octroie un certain poids. De façon générale, un tel actif pourrait améliorer l’efficacité et la sécurité des systèmes de paiement, réduire éventuellement les incitations à adopter des actifs cryptographiques et, en même temps, soutenir des objectifs de politique publique tels que l’efficacité et la stabilité des systèmes de paiement à l’ère numérique.
La mise en place d’une MNBC est un travail complexe qui doit prendre en charge un certain nombre de contraintes et de préoccupations et de ce fait doit être inscrit dans une démarche plus vaste de réforme du système financier algérien et de refondation de l’économie nationale. Les conditions minimales à réunir sont les suivantes :   
1. La détermination d’un objectif précis à ce nouvel outil : inclusion financière ? renforcement de la résilience du système bancaire ou promotion de la concurrence bancaire ? De l’objectif retenu, dépendra la conception de cette MNBC car il n’y a pas de modèle standard. Dans le cas de l’Algérie, vu les indicateurs ci-dessus, il serait, à mon avis, judicieux de retenir un objectif d’inclusion financière. 

2. L’établissement d’un équilibre difficile entre la confidentialité due aux clients, la promotion de l’inclusion financière et la garantie de l’intégrité financière. Ces trois éléments portent pratiquement toute l’architecture de la nouvelle MNBC. En d’autres termes, cette dernière doit être rémunérée (pour attirer l’épargne) mais pas excessivement pour entrainer une désintermédiation financière (fuite devant les instruments traditionnels et risquer la stabilité financière).

Par ailleurs, dans un pays disposant d’une économie informelle (environ 30% du PIB) et une faible pénétration bancaire, la confidentialité relative des transactions en espèces doit être retrouvée dans une certaine mesure au niveau de la MNBC (sans complaisance). Certains pays ont adopté une MNBC dite à «portefeuille à plusieurs niveaux», qui offrirait un plus grand anonymat à des niveaux inférieurs de détention de MNBC. Une telle conception peut également contribuer à promouvoir l’inclusion financière, car les exigences d’intégration et de documentation des clients pourraient être simplifiées à des seuils inférieurs.

3. La disponibilité de ressources et de capacités nécessaires adéquates. La mise en place d’une MNBC est un processus complexe exigeant des expertises pointues, notamment dans les domaines juridiques, règlementaires et des partenariats publics-privés. Des expertises sont disponibles auprès du FMI et des grandes banques centrales pour mener à bon port un tel projet. 

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