La Kabylie se préparait à l'action armée dès 1945

31/10/2024 mis à jour: 08:52
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Des moudjahidines dans le maquis - Photo : D. R.

Des militants du Mouvement national se préparaient déjà à l’action armée juste après les événements du 08 Mai 1945. Le 1er Novembre 1954 a été marqué par des attaques et des actes de sabotage contre des établissements de l’armée coloniale dans plusieurs localités à Tizi Ouzou.

Evoquer le 1er Novembre 1954 est une occasion de rappeler une date qui constitue un jalon historique pour raviver le souvenir des énormes sacrifices consentis par le peuple algérien pour libérer le pays du joug colonial français. A l’instar d’autres régions d’Algérie, la Kabylie a été aussi au rendez-vous avec le déclenchement de la lutte armée contre le colonialisme.

Dans cette région, l’esprit du combat révolutionnaire est né même avant le début des années 1950 puisque des militants se préparaient déjà à passer à l’action armée quelques jours seulement après les événements sanglants du 08 Mai 1945. Parmi ces militants, il y avait ceux qui ont pris le maquis et y restent jusqu’au 1er novembre. Des actes de sabotage ont eu lieu dans plusieurs localités de Tizi Ouzou où Krim Belkacem et Amar Ouamrane, entre autres, commençaient à sensibiliser les citoyens dans les villages.

D’ailleurs, lors de l’hommage rendu récemment par le Musée régional du moudjahid de Tizi Ouzou  au martyr  Moh Saïd Kasmi, qui a milité bien avant le déclenchement de la guerre de Libération nationale, notamment avec Krim Belkacem, les témoignages d’anciens maquisards de la région ont souligné que la première cellule PPA  a été créée, en 1939, à Makouda par Kasmi et  d’autres militants du Mouvement national, comme Amar Bessalah, dit Amar El Bass, Moh Saïd et Akli Hamouche ainsi que Saïd Chabni, et ce, avant de mettre sur pied, en 1947, une section de l’OS  pour préparer le déclenchement de l’insurrection armée.

Des militants de plusieurs localités venaient ainsi à Makouda afin de prendre part aux rencontres avec les figures de proue du Mouvement national qui se déplaçaient aussi, notamment à Mizrana, à Iflissen et à Ath Jennad. Youcef Sahel, enseignant d’histoire à l’université de Tizi Ouzou, nous a précisé que plusieurs localités de Tizi Ouzou étaient prêtent  pour le la lutte armée.

D’ailleurs, a-t-il expliqué, des actes de sabotages contre la voie ferrée à Tadmait et à Nacéria ont eu lieu en mai 1945. Des militants  de la région, Hocine Ait Ahmed et Amar Haddad, dit Yeux bleus, ont aussi, a-t-il rappelé, participé, en 1949, à l’attaque contre la poste d’Oran. Parlant de la préparation du 1er Novembre 1954, des citoyens rencontrés, vendredi dernier, à Zekri (daïra d’Azazga) et à Ait Chaffaâ (Azeffoun),  ont apporté de précieux temoignages sur cette période.

Le choix stratégique de Bounamane

Des habitants du village Bounamane, dans la commune de Zekri, racontent : «J’avais cinq à six ans mais, je me rappelle bien quand Amirouche Aït Hamouda venait ici, dans notre village, pour entraîner les jeunes qu’il préparait pour le déclenchement de la Révolution. Notre village est devenu ensuite le poste de commandement (PC) d’Amirouche Ait Hamouda et de Mohand Oulhadj qui s’étend de Tala Boudadene jusqu’à Akarouche qui dépend de la commune de Beni Ksila, dans la wilaya de Béjaia.

La base du PC est située à Bounamane où il y avait un hôpital de l’ALN, un atelier de fabrication d’explosifs et un autre de confection des tenues militaires pour les moudjahidine qui est situé loin de là, sur la colline de Tadount Oughanim. Bounaamane était une zone que l’armée coloniale ne pouvait pas pénétrer en raison de sa position stratégique pour repousser toute attaque des militaire français», témoigne Mohamed Mouhoub, président du comité de village, un septuagénaire qui, dit-il, garde toujours en mémoire les images des moudjahidine qui préparaient le déclenchement du 1er novembre à Bounaamane.

De son côté, Rabah Seddik, chef de la kasma des moudjahidine de la commune de Zekri, daïra d’Azazga, qui cite les témoignages recueillis auprès d’anciens maquisards de sa commune, nous a parlé aussi de l’implication effective des femmes de la région dans la lutte armée comme il précise aussi que dans les villages limitrophes comme Tigrine, dans la commune à Aït Chafaâ, à Azeffoun, les citoyens ont grandement contribué au déclenchement du 1er novembre. «Après 1945 déjà,  Mohand Tahar Zerouki était au maquis. Il y avait Ouamrane qui venait souvent le voir au village pour préparer la révolution», ajoute-t-il.

Said Hacene, connu sous le nom de guerre Hend Tigrine, ancien moudjahid nous a, lui aussi, du haut de ses 84 ans, fait aussi des témoignages poignants. Il a évoqué, en outre, ses relations au maquis avec d’autres maquisards, à l’image de Si Mohand Ouidir d’Achouva, Oucharki (Chef de secteur), Ami Kaci d’Abizar (l’intendant). Il souligne que son village, Tigrine, a donné 64 moudjahidine, dont 46 sont tombés au champ d’honneur.

Toujours dans le secteur d’Azefoun, Tigzirt et Azazga, les témoignages d’anciens maquisards notent particulièrement l’éveil politique des citoyens avant 1954 et l’implication effective de la population durant la guerre de libération nationale jusqu’à l’indépendance. 
Ahmed Askri, un des moudjahidine de la région qui est devenu responsable à la Fédération de France du FLN,  affirme que «durant les années 1946 et 47, les chefs du maquis de l’époque, dont Krim et Ouamrane, venaient fréquemment chez nous, à Ighil Mahni.

Ils étaient reçus par Mouh Abba avec lequel ils entretenaient un contact régulier. Nous étions encore jeunes et loin de la guerre. Mais, il y avait une organisation très active au village qui s’occupait de la sécurité de ces hommes. Nous, les jeunes, nous assurions   la garde de jour et de nuit. Ces maquisards arrivaient dans l’anonymat le plus total et ne se déplaçaient que de nuit. Ils étaient habillés de kachabias sous lesquelles ils portaient des armes !

C’était au cours de ces rencontres que Mouh Abba avait déjà engagé Ighil Mahni dans le combat libérateur. Lors de sa tournée en Kabylie en 1947, Messali Hadj a fait une halte à Ighil Mahni ce qui nous alertait, c’était surtout le nombre élevé d’actions, le fait qu’elles touchaient l’ensemble du territoire national et qu’elles aient été accomplies à quelques minutes d’intervalle, ce qui indiquait clairement qu’il y avait une seule et même direction.

Nous saurons progressivement, mais pas tout de suite, que le feu de la révolution a été allumé par un petit groupe de responsables du Parti du peuple algérien et de sa façade légale, le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (PPA-MTLD), tous issus de l’Organisation Spéciale (OS)», raconte-t-il, tout en évoquant certains noms connus durant la révolution comme  Hend Ouzayed (de son vrai nom Ahmed Zaidat), Saïd Mehlal et Omar Toumi. «La région d’Azeffoun, fut représentée par Mohand Hammadi sous le commandement Yazourenei qui deviendra le colonel Vrirouche», a-t-il ajouté

«Krim Belkacem venait souvent à Ighil Imoula avant le 1er novembre 1954»

D’autres localités de Tizi Ouzou ont été le théâtre d’intenses préparatifs pour le jour J.  Le village Ighil Imoula, dans la commune de Tizi N’Tlata, au sud de la wilaya,  a été choisi pour le tirage de la proclamation du 1er Novembre 1954 en raison de sa situation géographique. C’est une colline qui domine plusieurs localités de la région. D’ailleurs, à ce jour, cette bourgade, perchée à 700 m d’altitude face au massif montagneux du Djurdjura, demeure toujours un lieu d’histoire et de mémoire compte tenu de l’importance des événements ayant marqué sa population.

«Les préparatifs de la guerre avaient commencé avant 1954. Krim Belkacem venait souvent dans notre village. C’est lui qui avait chargé justement Ali Zamoum, enfant d’Ighil Imoula, de cette tâche. Il y avait des militants sincères.

L’opération est tenue en secret total. Même les militants, à l’exception des initiateurs, n’étaient pas au courant de ce qui allait se passer. Et pour faire diversion et ne pas permettre aux citoyens d’entendre le bruit de la ronéo lors du tirage au risque d’attirer l’attention du garde champêtre du village, une tombola a été organisée dans l’épicerie sise en bas de la chambre du tirage clandestin du document», nous a-t-on raconté.

«Puis, après l’impression du document qui s’est terminée vers 3h du matin, un autre militant a été chargé de transporter, dans un bus, une valise remplie des exemplaires de la proclamation du 1er Novembre vers Alger. 

Il y avait des militants qui ont participé à l’organisation sans savoir de quoi s’agit-il d’où la discrétion qui avait entouré l’événement», nous a-t-on ajouté. Beaucoup de témoins de cet événement ont disparu, beaucoup sont tombés au champ d’honneur durant la guerre de Libération nationale.

Ouiza Yahi, la veuve du moudjahid Ali Zamoun, décédée, en février dernier, nous a expliqué, avant sa mort, que l’armée coloniale avait fait subir beaucoup de représailles aux habitants d’Ighil Imoula pour tout le travail fait dans le cadre des opérations de déclanchement de la Révolution. Elle nous a confié aussi que même les femmes ont grandement contribué dans la préparation de la lutte contre l’occupant. «Il y avait même des bombes et des armes qui étaient cachées en dehors du village pour être utilisées contre l’ennemi», nous a-t-elle raconté. 

Le jour «J»

Le 1er Novembre 1954 a été marqué par des attaques contre l’armée coloniale. Les principales actions menées par les moudjahidine le premier jour du déclenchement de la guerre de Libération nationale est l’attaque d’Azazga où un dépôt de liège a été incendié, le siège de la gendarmerie attaqué et des poteaux téléphoniques sabotés. D’autres attaques, pratiquement similaires ont eu lieu, entre autres, à Tigzirt, Tizi N’Talata, Draâ El Mizan, Baghlia, Tadmait et Baghlia.

«Dans la nuit du 1er novembre, nous avons  été saisis par une terrible inquiétude quand nous avons vu du coté d’Azazga des éclats  de feu. Une indicible émotion mêlée de joie et d’incompréhension se lisait sur nos visages. 
Ce jour-là, nous étions en train de veiller dans notre village situé à quelques kilomètres du lieu de la déflagration. Le lendemain, nous avions  repris l’école. 

Lors de notre déplacement de Tizi Rached à Tizi Ouzou, sur une distance d’environs 20 kilomètres, nous avons trouvé la route obstruée à l’aide de platanes et de poteaux téléphoniques  sciés par des militants», souligne le président de l’association Thagrawla, Ouali Ait Ahmed, qui est également secrétaire de l’ONM, bureau de wilaya de Tizi Ouzou. Le premier jour de l’action armée a été marqué aussi par d'autres actions de militants dans d’autres localités de la région qui allait devenir la wilaya III historique où  l’éveil politique des militants du Mouvement national a permis de préparer, dans la discrétion et avec beaucoup de détermination, le déclenchement de la Guerre de libération qui a abouti à l’indépendance de l’Algérie.

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