Vingt-trois ans après l’effondrement de l’URSS et le triomphe hégémoniste des Etats-Unis d’Amérique, la guerre en Ukraine devrait remettre les compteurs à zéro et annoncer la fin du monde unipolaire tel que connu par la génération du numérique. Il y aura des morts et des dégâts déplorables qui doivent faire honte à l’humanité, mais à l’instar de l’Allemagne et des Allemands à la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Ukraine et les Ukrainiens ne sont que les victimes collatérales d’un affrontement global.
L’humanité n’est pas encore prête à vivre en paix ni à résoudre ses différends par le dialogue des civilisations et la diplomatie des sages. Les dérèglements et les ajustements se font donc dans la douleur, et au-delà de l’invasion d’un pays et l’écrasement d’un peuple, toujours condamnables, ce qui se joue en Ukraine entraîne, selon beaucoup d’observateurs, des «conséquences positives», au moins pour la moitié de la planète.
L’Occident qui se prend pour l’incarnation du Bien et se permet de pacifier le monde, selon sa vision, n’est pour d’autres que l’image de la mort, le moyen de la dégénérescence collective et l’arme du suicide de la planète. Et beaucoup, impuissants face à la domination occidentale, perçoivent le redressement de la Russie comme une rupture salutaire avec l’astre mortel.
La guerre télévisée nous montre un Occident déstabilisé psychologiquement, qui a du mal à digérer l’idée d’un retour à un monde bipolaire. Il refuse de reconnaître ce renversement paradigmatique, et s’emploie à travers sa puissance propagandiste à habiller les faits du costume de la morale.
Cette morale que lui-même n’a jamais respectée, écrasant les peuples par des siècles de colonialisme et un siècle d’ultralibéralisme prédateur. Au nom du monde libre et de ses valeurs, tous les actes des alliés occidentaux trouvent des justifications : la guerre au Vietnam, en Irak et en Syrie, en Libye et au Yémen. Et l’apartheid pratiqué par Israël et le génocide contre les Palestiniens deviennent des politiques «défensives» pour protéger «la seule démocratie» dans la région. Trop d’injustices, à quoi s’ajoutent les dominations économiques et culturelles, achevant d’enterrer les promesses d’un monde meilleur dessiné à l’aube de la mondialisation.
Les vies des Ukrainiens sont précieuses, mais pas plus que les vies des Yéménites tués chaque jour par des armes occidentales, achetées au dollar américain et dans l’indifférence de l’OTAN, de l’Europe et de leurs médias. Emporté par sa folie globalisante, son orgueil et sa gourmandise, l’Occident est devenu aveugle et s’est aliéné la moitié de la planète.
Cette moitié qui se réjouit du redressement russe dans la mesure où il est en train de relativiser la domination occidentale en créant un champ de résistance et de nouvelles possibilités pour les forces alternatives, et pour tous les peuples. Un léger mieux, en attendant l’émergence de nouveaux pôles et une harmonie multimodale.