La fête coûte que coûte à Oran

30/04/2022 mis à jour: 23:28
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Devant l’entrée, deux clowns font de l’animation en se prenant en photo avec les enfants. Ils sont recrutés par le gérant de ce qui apparaît comme un «supermarché du prêt-à-porter», un immense magasin occupant tout l’espace des deux premiers niveaux d’un immeuble flambant neuf de la catégorie haut standing situé à l’intérieur, côté ouest, du périmètre urbain de la commune d’Oran. 
 

Il est 22h passées et nous sommes à quelques jours de l’Aïd et l’affluence est remarquable, un véritable air de fête avant l’heure. L’établissement fait partie de la toute nouvelle tendance commerciale. On y vient presque exclusivement en famille et de partout spécialement pour lui, à pied en voiture ou par transport en commun. 
Le succès populaire est indéniable et il ne faut pas s’y méprendre car, fonctionnant sur le même principe qu’un supermarché d’alimentation, on y trouve de tout et à tous les prix. 

Mais le succès est dû dans une large mesure à la démarche marketing des gérants qui multiplient les tombolas, les promotions, les cartes de fidélité et les rabais durant tout le mois de Ramadhan, en plus d’une forte présence sur les réseaux sociaux, avec notamment les détails concernant presque chaque article proposé à la vente. Beaucoup de clients viennent même des wilayas limitrophes. «Moi, je viens de Aïn Témouchent et j’avoue que c’est l’effet d’internet et des réseaux sociaux qui nous ont fait venir ici», confie Mohamed qui ne veut rien refuser à ses enfants à l’occasion de l’Aïd. 
 

Celui-ci est resté dans la voiture garée à proximité tandis que le reste de la famille est allée faire le tour des articles proposés et déjà consultés sur internet. La nouveauté est là, car l’établissement n’est pas situé dans une zone commerciale réputée en tant que telle, comme c’est le cas à Akid Lotfi. A l’intérieur, on découvre que tout le premier étage, réservé aux articles pour enfant, grouille de monde, toutes catégories sociales confondues. Abdelkader, père de famille, vient du quartier les Amandiers : «Je ne dirais pas qu’ils sont abordables mais je trouve que les prix sont réellement plus bas qu’ailleurs. J’ai déjà dépensé 15 000 DA et je peux vous dire que c’est le maximum que je peux débourser pour cet Aïd, car la vie est devenue trop chère ces temps-ci.»  

Une autre famille est venue avec 5 enfants, ce qui présage des dépenses plus conséquentes. «Trois des enfants sont miens et les deux autres sont orphelins, mais ils ont eux aussi droit aux joies de la fête», précise le responsable de cette famille de Belgaïd (à l’autre bout de la ville), qui nous déclare ne pas réserver de budget spécial pour l’Aïd. «Les achats ont déjà commencé et si quelque chose nous plaît nous le prenons aussi», explique-t-il après avoir montré sur son téléphone portable un de ses enfants avec une tenue complète à 12 000 DA. «J’ai proposé à ma fille cette robe à 7000 DA mais elle ne lui a pas plu», enchaîne-t-il avant de donner le montant global des dépenses de l’Aïd qui s’élève à 60 000 DA en comptant les avantages de la carte de fidélité. Pour faire face à toute cette affluence, une armée de jeunes a été recrutée, «à mi-temps», précise l’un d’eux ? entre deux sollicitations de clients. Tous les clients ne dépensent pas autant et, pour beaucoup de familles, ces déplacements sont des prétextes à des sorties récréatives. 
 

Plus bas en direction du centre-ville, l’avenue Choupot est devenue depuis quelque temps déjà un des hauts lieux du commerce d’habillement et donc très fréquentée, notamment les jours précédant l’Aïd. C’est le cas ce soir  avec une congestion de la circulation autant pour les automobilistes que pour les piétons, avec des trottoirs bondés à l’extrême. L’odeur du sucre de la «barbe-à-papa» mêlée aux effluves des grillades de rue confère un air de fête foraine à ce quartier qui a opéré une véritable mue au point que même les anciens fast-foods ont fini par se transformer en magasins d’habillement. Seul subsiste, tel un monument rescapé d’une période révolue, la «Choupotoise», une crémerie qui arbore la mention apposée sur la devanture : «Depuis 1969». La transformation est telle que, ironise un riverain, «le quartier est presque devenu une m’dina d’jdida nocturne». 
 

Marchands ambulants
 

En effet, des marchands d’articles divers ont pris possession des trottoirs. C’est le cas de ce jeune qui propose des chapeaux dont raffole les jeunes filles le jour de l’Aïd à seulement 100 DA l’unité. «J’exerce cette activité faute de mieux, car je n’ai pas trouvé de travail stable et cette période de l’Aïd me permet de me faire un peu d’argent», indique un vendeur de baskets bon marché à 1500 DA la paire.

 Là aussi, il y en a pour tous les goûts et pour tous les prix. Sur l’extension de la rue communément appelé «Trig six» (référence à la ligne de bus qui y passait jadis), un magasin adopte la formule «Tout à 1000 DA». Des articles au choix pour les adultes mais aussi pour les enfants. «Les temps sont durs et je vous avoue que viens ici pour les bas prix, car l’essentiel pour moi c’est de ne pas rater l’occasion de faire plaisir à l’occasion de l’Aïd», confie ce jeune mari accompagné de son épouse. 
 

Cette ambiance nocturne va en s’accentuant au fur et à mesure qu’on se rapproche de la veille de l’Aïd. 
Une ambiance particulière, caractérise également M’dina D’jdida, le vieux quartier qui fait la renommée commerciale de la ville d’Oran, mais uniquement durant la journée. Ses ruelles se remplissent relativement tôt, y compris durant le Ramadhan.

 Dans les ruelles, on avance épaule contre épaule et on comprend pourquoi il a été fermé plus d’une fois au plus fort de la crise sanitaire. Ici en général, les prix sont bas, mais tout dépend de ce qu’on cherche. Avec des jeans pour petit garçon à 2400 DA ou des robes pour fillette  à plus de 6000 DA proposés pour certains à l’occasion de cet Aïd, les prix ne sont pas toujours accessibles aux petites bourses. 

Mais ce qui fait la particularité de ce quartier, ce sont bien les habits traditionnels. En effet, les pantalons légers de la tradition qui se portent sous la «abaya», une tenue particulièrement prisée par les hommes le jour de l’Aïd, sont proposés à la criée à seulement 500 DA contre 1000 DA pour la «abaya». Pour les femmes, le prix de la «bediiya», une robe longue simple et légère, oscille entre 800 et 1200 DA. 

«Dans la tradition, à l’époque où on ne se compliquait pas la vie, les hommes avaient juste l’obligation d’offrir cette simple robe à leurs femmes le jour de l’Aïd, mais les temps ont changé», indique sur un ton de nostalgie une dame qui dit vouloir prendre son temps avant de se décider à acheter quoi que ce soit. 
 

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