La dynamique de la production des brevets au sein des universités et institutions publiques de recherche en Algérie

26/09/2023 mis à jour: 00:46
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On sait que l’enseignement au sein de l’université dans tous les domaines est lié à la création de nouvelles connaissances. Par exemple, la recherche en sciences humaines et sociales concerne la philosophie, l’éthique et l’épistémologie de la science. Singulièrement, les recherches en économie sont utiles pour analyser et comprendre les performances en matière d’innovation. 

 

Et plus généralement, ces recherches sont nécessaires à la théorie, à la politique, comme elles peuvent être une source d’innovation de service, d’innovation organisationnelle ou autres. Dans les domaines des sciences naturelles, des sciences physiques et mathématiques, de la technologie, etc., l’enseignement supérieur est lié aux processus d’innovation. 
 

En effet, la formation au sein des universités permet le développement des compétences humaines pour la production, l’utilisation et l’absorption des connaissances, soutenant ainsi les activités d’innovation et l’utilisation et la diffusion des nouvelles technologies dans le secteur socioéconomique, notamment dans le domaine de l’information et de la communication. 

En conséquence, l’enseignement supérieur a un rôle de levier fondamental pour promouvoir le développement des capacités d’apprentissage. 

De ce fait, il est étroitement lié à la construction d’une économie basée sur la connaissance (Foray, 2009) caractérisée par l’allocation des ressources existantes pour augmenter le stock de connaissances ou une économie d’apprentissage (Lundvall et Johnson, 1994) caractérisée par la formation de nouvelles ressources pour les activités d’innovation. 

Dès lors, l’enjeu capital de la politique des pouvoirs publiques d’un pays est la mise en place au sein des universités et institutions publiques de recherche, des relais et structures d’appui à la recherche, l’innovation et la production de brevets et leur valorisation économique.
 

D’une manière générale, une invention est considérée comme brevetable quand elle remplit trois conditions : une solution technique à un problème technique, elle doit être originale, et susceptible d’être valorisée sur le marché. Quand ces trois conditions sont remplies, le brevet (propriété intellectuelle) est acquis et donne à son possesseur un monopole provisoire, avec comme garantie de déposer une description précise de l’invention dans le pays où le brevet a été obtenu ou dans les pays où le brevet est étendu (le passage vers une protection du brevet au niveau mondial est possible aussi via la procédure «Système international des brevets») (PCT de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle-OMPI). 

Ainsi, le brevet représente un instrument de protection des connaissances produites, mais aussi un vecteur essentiel de diffusion des innovations. Si le brevet aboutit à des droits privatifs et donne une exclusivité temporaire des connaissances produites (une protection), la réglementation juridique impose à son titulaire de divulguer suffisamment les détails techniques de ces nouvelles connaissances tacites (implicites) par un processus de codification. Autrement dit, les connaissances décrites dans les textes du brevet doivent être directement compréhensibles, par un processus de conversion en un message qui peut être ensuite utilisé comme une information. Les connaissances qui décrivent le brevet peuvent être, de la sorte, utilisées pour effectuer un ensemble d’opérations à un coût marginal très faible. Au final, le descriptif technique de l’innovation va permettre sa diffusion. 
 

Au sein des universités, les brevets d’invention sont le résultat de la recherche fondamentale. Les établissements universitaires, les laboratoires et les centres publics de recherche ne sont plus uniquement considérés comme des contributeurs nets au stock de connaissances fondamentales, mais également, et de plus en plus, comme des contributeurs directs au flux d’inventions (Carayol, 2006). 

En effet, ces quatre dernières décennies, le nombre de dépôts de brevets d’invention par les universités a augmenté significativement partout dans le monde. Et pour cause, les brevets d’invention issus de la recherche académique sont considérés comme un facteur favorisant le transfert des connaissances vers le secteur socioéconomique. 
 

L’instauration aux Etats-Unis en 1980 de la législation «Bayh Dole Act» ou (Patent and Trademark Law Amendment Act) a stimulé la croissance du fait de l’aptitude des établissements universitaires et des institutions de recherche publiques à produire des connaissances et obtenir des brevets, pour ensuite faire la valorisation de la recherche, en transformant les savoirs fondamentaux vers le secteur industriel. En effet, aux Etats-Unis, la «Bayh-Dole» a aussitôt permis aux petites entreprises, universités et institutions publiques de recherche le contrôle du brevet pour le commercialiser sur le marché. Résultat, cette législation a permis de promouvoir l’innovation, au sein de centaines de milliers de jeunes entreprises américaines et la production d’une quantité assez conséquente de nouveaux produits médicamenteux. 
 

En somme, dans les pays développés, les pouvoirs publics encouragent l’interface universités/secteur industriel et la valorisation économique de la recherche académique. Le rapprochement entre cette dernière et le secteur industriel est aujourd’hui d’une grande importance car il permet de créer de la valeur à travers la promotion de l’innovation, la croissance et le développement économique et durable. Au total, la valorisation de la recherche académique à travers les brevets, l’entrepreneuriat et l’essaimage universitaire (création d’une entreprise à partir du transfert des résultats des recherches par des chercheurs- inventor-led spin-off, des investisseur - investor-led spin-off, etc.,) favorise l’innovation et la création d’entreprises technologiques. 

En Algérie, depuis près de trois décennies, les pouvoirs publics ont mis en place des politiques scientifiques et techniques afin de construire une économie de la connaissance et d’innovation dans le but de s’insérer dans l’économie mondiale. 

Dans cette perspective, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique (MESRS) a déployé une stratégie d’innovation à travers notamment des politiques volontaristes en matière de développement de compétences humaines, et la promotion de la production de connaissances scientifiques dans les établissements universitaires et institutions de recherche et leur valorisation économique, pour encourager la croissance économique et le bien-être des populations. En conséquence, la production et la valorisation des connaissances à travers la production de brevets académiques ont connu ces dernières années une dynamique avérée, s’inscrivant dans une volonté croissante d’assumer un plus grand leadership et de participer davantage au développement économique et social du pays.
 

Conformément à l’arrêté ministériel n° 1275 du 27 septembre 2022 qui porte sur le mécanisme «un diplôme... une startup» ou «un diplôme... un brevet», le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique a décidé à l’orientation des étudiants porteurs de projets innovants vers des incubateurs, qui ont été créés à cet effet au sein des établissements universitaires. 

Ainsi, chaque étudiant ou chercheur porteur d’un projet innovant peut bénéficier des services offerts par l’incubateur pour un coaching et un accompagnement personnalisé, recevoir une aide à la formalisation du business model et business plan. Cette politique s’inscrit dans la stratégie du secteur de l’Enseignement supérieur à rendre l’université une locomotive de la croissance et du développement économique à travers la formation de diplômés innovants et porteurs de projets créateurs d’emplois et de richesse comme cela a été affirmé en novembre 2022 par le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique.

 A la faveur de cette politique, le ministre chargé du MESRS a procédé, en juillet dernier avec le ministre de l’Economie de la Connaissance, des Start-up et des Micro-entreprises, au lancement de 84 maisons de l’entrepreneuriat au sein de différentes universités à travers le pays. La stratégie est donc que l’université algérienne devienne une «université entrepreneuriale» pour reprendre une expression du sociologue américain Burton Clark (1998), en intégrant les exigences du marché dans leur fonctionnement (Laperche et al, 2011). Cette «troisième mission de l’université» s’ajoute donc à ses deux autres missions qui concernent l’enseignement et la recherche. 
 

Les étudiants de master, doctorat et les ingénieurs qui soutiendront leurs mémoires de fin étude auront ainsi l’opportunité de créer leur entreprise : un diplôme - une start-up ou un diplôme - un brevet d’invention. A cet effet, une commission nationale de coordination et de suivi de l’innovation et des incubateurs universitaires a été créée par le ministère en septembre 2022 pour piloter le processus de création de start-up et encourager les demandes de brevets d’invention. Mais aussi, pour mettre en place une passerelle entre l’université et le secteur économique en matière de valorisation des produits de la recherche académique. 

Cette commission travaille en étroite collaboration avec la Direction générale de la recherche scientifique et du développement technologique (DGRSDT - structure du MESRS) ainsi que le ministère de l’Economie de la Connaissance, des Start-ups et des Micro-entreprises afin d’accompagner les étudiants porteurs de projets innovants et encourager l’entrepreunariat et la valorisation des résultats de la recherche par des dépôts de brevets et de création d’entreprises technologiques. La création d’incubateur s’est étendue au niveau des centres de recherche publique pour favoriser la production de connaissances, l’innovation et la production de brevets et leur valorisation commerciale.
 

Aussi, une plateforme numérique a été développée par la DGRSDT du ministère dans le but de fournir des prestations et des services communs aux étudiants et chercheurs porteurs de projets créatifs et promouvoir les dépôts de brevets d’invention et la création de startups.
 

Chaque incubateur d’innovation dispose d’un Centre d’appui à la technologie et à l’innovation (CATI). La mission principale du CATI est de permettre aux porteurs d’idées innovantes d’accéder à des services d’information technologique et de la recherche et à l’extraction d’informations liées à la technologie, à la réalisation de recherches à la demande (originalité de la technologie, état de la technique et atteintes aux droits...), au financement des redevances de demande d’un brevet, à la communication d’informations primitives sur la législation relative au brevet, à la gestion de la propriété intellectuelle ainsi que la commercialisation et la mise sur le marché de la technologie (OMPI, 2023). 

Les mesures déployées par le MESRS ont été concrétisées jusqu’à aujourd’hui par la création de 94 incubateurs, dont 42 incubateurs ont déjà été agréés, et 19 labélisés.

 En ce qui concerne le nombre de demandes de brevets d’invention au sein des établissements universitaires et institution de recherche, il a sensiblement augmenté ces dernières années passant de 358 à 859 entre 2020 et le 31 juillet 2023 selon les statistiques de l’Institut national algérien de la propriété industrielle (INAPI).

 Le cumul de dépôt de brevets a ainsi été multiplié par quatre et demi au cours de cette période en totalisant 1617 brevets déposés à l’INAPI par les étudiants porteurs de projets innovants et chercheurs des centres publics de recherche. En définitive, il y a aujourd’hui un intérêt croissant, à différents stades, des étudiants universitaires créatifs et chercheurs dans le processus de la production de connaissances fondamentales et leurs valorisations par les dépôts brevets. 

L’activité de production de brevets académiques est devenue désormais importante, un phénomène inéluctable qui s’inscrit dans la volonté pour l’université et autres institutions de recherche publique à répondre aux besoins et la demande du secteur économique en matière de connaissances scientifiques et technologiques pour leur concrétisation marchande.
 

 

Par le Professeur  : 

Rédha Younes Bouacida
Docteur en sciences économiques
d’Aix-Marseille Université, France.
 

 

 

 

Bibliographie 


Arrêté ministériel n° 1275 du 27 septembre 2022 portant sur le mécanisme «Un diplôme, une Start-up», Algérie.
Clark, B.R. The entrepreneurial university: Demand and response. Tert Educ Manag 4, 5–16. 
Carayol. N. 2006. «La production de brevets par les chercheurs et enseignants-chercheurs. Le cas de l’université Louis-Pasteur, Économie & prévision», vol. 175-176, n°. 4-5, 117-134.
Foray.D. 2009. L’économie de la connaissance. La Découverte.
Laperche. B et Uzunidis. U.  2011 Contractualisation et valorisation de la recherche universitaire. «Les défis à relever par les universités françaises, Marché et organisations», vol. 13, n° 1, 107-136.
Lundvall. BA Johnson.B 1994.The Learning Economy, Journal of Industry Studies 1(2),23-42.
OMPI. 2023. CATI, https://www.wipo.int/tisc/fr/.
INAPI, Statistiques brevets. https://e-services.inapi.org/.

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