La diplomatie traditionnelle à l’épreuve des nouvelles réalités : Facebook, Instagram… les nouvelles armes

04/01/2025 mis à jour: 11:07
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Photo : D. R.

Les expériences vécues lors des mouvements populaires du Printemps arabe ont vu l’émergence de nouveaux outils et concepts, notamment sur les réseaux sociaux qui ont concurrencé les médias dans la mobilisation des foules.

La diplomatie publique, traditionnellement centrée sur les relations intergouvernementales et la communication institutionnelle, subit une transformation profonde sous l’influence du numérique et de l’intelligence artificielle. Ces technologies modifient en profondeur les modalités d’interaction entre les Etats, les citoyens, les organisations internationales et les nations.

Analyser, cerner et, surtout, développer cette dynamique s’avère désormais impératif, surtout au regard des bouleversements politiques rapides observés récemment. Qu’en est-il de l’Algérie dans cette évolution, particulièrement dans le contexte arabe ?

C’est précisément dans cette optique qu’un colloque international a été organisé à la faculté des sciences politiques, mettant en lumière ces transformations. «Cette rencontre avait pour objectif d’explorer les relations interétatiques dans un cadre informel, tout en s’inscrivant dans le concept de diplomatie publique.

Cette dernière repose sur l’idée essentielle de s’adresser directement aux peuples, sans recourir aux canaux diplomatiques traditionnels», a affirmé, lors d’un entretien avec El Watan, le Pr Mounira Bouderdabene, spécialiste en sciences politiques à l’université Salah Boubnider (Constantine 3) et présidente du colloque international sur la diplomatie publique et la stratégie de négociation dans le monde arabe. Cela ne signifie pas que cette approche de la diplomatie remplace la diplomatie traditionnelle, mais elle la complète plutôt, en tant qu’outil et méthode parmi d’autres. De nombreuses expériences à travers le monde en attestent.

L’ambition de cet événement et des discussions qui l’entourent est de promouvoir une coexistence informelle entre les Etats, éloignée des négociations, des conflits, et des guerres. «Pourquoi ne pas envisager une coexistence informelle via des bureaux d’amitié internationaux, au sein de la société civile, afin de renforcer et d’améliorer ces relations par le biais de négociations pacifiques ? L’objectif ultime demeure la consolidation des relations entre les Etats», s’interroge Mme Bouderdabene.

À l’épreuve du numérique

Quelle appréciation peut-on porter sur la diplomatie publique dans le monde arabe ? En réponse à cette question, le Pr Bouderdabene souligne qu’il ne s’agit pas d’un rejet, mais plutôt d’une certaine adoption de la diplomatie publique au sein du monde arabe. Elle évoque la diplomatie numérique comme une manifestation significative de cette approche, tout comme la diplomatie culturelle, qui en représente une autre. Elle rappelle les expériences vécues lors des mouvements populaires du Printemps arabe, où une myriade d’outils numériques a été mise en œuvre.

On a évoqué le terme de «diplomatie Facebook» et le concept de «diplomatie Twitter», qui ont mobilisé les foules à travers ces plateformes. L’objectif visait à consolider ce paysage politique et à lui conférer une dimension informelle, complémentaire aux négociations officielles. Il est crucial de souligner que les méthodes de diplomatie publique font apparaître un certain fossé.

Les Etats-Unis et les nations européennes affichent une maîtrise avancée de ces outils, allant des réseaux sociaux aux médias traditionnels. Comment les pays africains et arabes peuvent-ils s’affranchir de cette domination ? En réponse, notre intervenante rappelle que les Etats-Unis ont été précurseurs dans ce type de diplomatie, en adoptant le concept de «soft power», ou pouvoir doux, en opposition au «hard power», ou pouvoir dur, afin d’améliorer leur image au sein du monde arabe.

Elle ajoute que ce type de diplomatie a été mis en œuvre par les Etats-Unis, selon certains analystes, suite aux événements tragiques du 11 septembre. Ces attaques ont altéré la perception de la position américaine dans la région arabe, incitant donc les Etats-Unis à réévaluer et à raffiner leur image par le biais du «soft power». Les exemples abondent, notamment par l’intermédiaire des médias et des organisations non gouvernementales dans le cadre de la diplomatie des ONG.

De plus, elle fait mention de la diplomatie religieuse, observant qu’il a été noté que les Etats-Unis intégraient des récits religieux chrétiens lors des missions d’aide humanitaire destinées aux populations affectées par les conflits, dans le but de promouvoir cette foi au sein des sociétés arabes. L’objectif était d’améliorer les relations et de restaurer une image ternie, notamment après les tragédies du 11 septembre. Où se situe l’Algérie dans cette évolution et cette transformation, alors que la diplomatie se déploie sur de nouveaux supports, de  surcroît ses formes traditionnelles ?

Le Pr Bouderdabene affirme qu’il existe de nombreuses contributions à la diplomatie publique, notant la participation de l’organisation Sant’Egidio qui, à une époque, a pratiqué ce que l’on qualifie la diplomatie informelle. Actuellement, elle soutient que l’Algérie a clairement démontré qu’elle engageait un certain type de diplomatie publique, illustrée par son soutien à la Palestine et à d’autres nations arabes. A l’ère de la numérisation et de l’intelligence artificielle, ce mode de diplomatie est désormais appelé à se perfectionner.

Le Pr Bouderdabene insiste sur l’importance de créer des bureaux d’amitié internationaux entre les pays, s’inspirant des démarches réussies de la Russie dans ce domaine. Il est vital d’établir ces bureaux d’amitié, que ce soit destiné aux étudiants ou aux médias, avec pour ambition d’encourager les échanges culturels, médiatiques, et bien au-delà.

Les ONG et leurs financements

Parmi les outils incontournables de la diplomatie publique, figurent les organisations non gouvernementales (ONG), particulièrement actives dans plusieurs pays arabes et africains. Toutefois, une interrogation demeure essentielle : et si ces ONG poursuivaient des objectifs dissimulés derrière des programmes soigneusement élaborés ? Selon le Dr Ramdane Benchabane, professeur à l’université de Jijel, il est crucial d’analyser la typologie de ces structures. Certaines se consacrent à l’aide humanitaire, d’autres à des échanges culturels ou à des missions diverses.

A cet égard, notre interlocuteur insiste sur la nécessité d’une vigilance accrue : «Il convient d’examiner avec minutie ces organisations, en mettant en lumière leur financement et les motivations qui le sous-tendent.» Docteur Benchabane souligne que «le financement constitue un levier stratégique qui influe considérablement sur les orientations et les actions de ces organisations».

Il précise également que ces financements peuvent détourner les ONG de leurs missions premières, les insérant ainsi dans des dynamiques de manipulation orchestrées par des acteurs externes. Il appelle donc à un encadrement rigoureux de leurs activités, limité au strict cadre de la diplomatie publique.

Les pays développés, souligne-t-il, appliquent des réglementations strictes pour encadrer ces interventions, surveillent les flux financiers et s’assurent du rôle véritable de ces structures. Par conséquent, « les ONG ne jouissent pas d’une liberté absolue d’action, même dans les nations les plus avancées».

En outre, Dr Benchabane rappelle que le rôle traditionnel de l’Etat demeure pertinent, y compris à l’ère de la technologie et de la mondialisation. Il insiste sur le fait que la souveraineté étatique doit s’exercer dans tous les domaines. A ce jour, selon lui, «les activités de ces organisations restent, d’un point de vue théorique, insuffisamment définies». Il conclut sur cette mise en garde, exhortant les gouvernements à maintenir une surveillance stricte pour préserver leur souveraineté face à ces acteurs externes aux intentions parfois ambiguës.

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