La diaspora algérienne, enjeux et richesse stratégique négligée ( Partie 3 et fin )

28/02/2024 mis à jour: 11:25
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Il s’est enfermé dans une lecture superficielle de son histoire avec cette non-volonté d’une dignité à retrouver, non pas dans les salons dorés des ministères, mais dans la tête et dans le cœur, un peu comme ses parents qui ont eu le courage de garder la tête haute durant la colonisation, l’exode ou la pauvreté, ce «nif» (nez) ou «charraf» (honneur) que les Algériens connaissent bien. 
 

Ces Bounty de la République sont surtout utilisés comme catalyseurs pour neutraliser les énergies revendicatrices de cette population. Ils sont les faire-valoir du modèle assimilationniste pour lequel ils développent un zèle extrême pour prouver leur totale loyauté au système qui les instrumentalise. 

En réalité, ils ne sont souvent que des «khobsistes» (celui qui est prêt à vendre son âme pour remplir son frigo) qui ont besoin d’un emploi, d’une fonction ou d’une reconnaissance avec des convictions faibles et superficielles. Au fond d’eux-mêmes, ils savent qu’ils ont trahi une part profonde de leur identité. 
 

Ces personnes ont fait beaucoup de mal à la communauté algérienne de France car elles ont neutralisé les énergies revendicatrices. La première grande émergence de ces faire-valoir a été durant la marche pour l’égalité et contre le racisme, dite «Marche des Beurs» où les leaders ont été récupérés par SOS Racisme et le Parti Socialiste pour devenir de micros techniciens de quartier, perdant l’espoir du devenir de toute une communauté.
Ces «Bounty» sont partout, dans toutes les strates de la société. La première est dans le champ politique et associatif. 
 

Concrètement, tous les gouvernements successifs de droite comme de gauche, depuis plus de trente années, ont eu dans leurs gouvernements et cabinets ministériels des ministres ou conseillers techniques qui avaient une double mission : faire percevoir au grand public, sur la forme, que la République était capable de diversité dans sa gouvernance et, en second lieu, de les utiliser pour qu’ils neutralisent les revendications tout en vantant les mérites du modèle assimilationniste. 

Cette représentation est bien sûr déclinée en région avec des élus municipaux et d’autres fonctions dans les institutions y compris religieuses, avec la même tactique opérée.
Les «Bounty» ont un point commun, ils sont récompensés, de manière visible par la République française, pour bons et loyaux services, pour être les fervents défenseurs d’un modèle assimilationniste qui fracture la France et qui est voué à l’échec. 
 

Ces «Bounty» se retrouvent dans un désarroi terrible lorsqu’on ne les utilise plus. Ils ont vendu leurs âmes pour défendre un certain modèle de société, souvent en contradiction avec leurs convictions profondes, par carriérisme et esprit «khobsiste», mais aussi par manque de courage dans une médiocrité suicidaire. 
 

Les quelques piètres récompenses obtenues (emplois précaires, légions d’honneurs et prix divers) ne peuvent souvent leur permettre de rebondir dignement après une période plus ou moins longue les poussant fréquemment dans une névrose profonde, avec le sentiment d’avoir vendu les leurs et d’avoir été trahis par la République. 

Bizarrement, lorsque leurs fonctions prennent fin, ces personnes ont le culot d’inverser leurs positions en étant les nouveaux farouches adversaires des «Bounty», faisant dire à certains, qu’ils sont les «danseuses du ventre» de la République prêtes à tous les déhanchés possibles pour décrocher un peu de biscuits dans leur piètre existence.
 

En résumé, la majorité déplore le manque de solidarité de cette communauté qui semble perdue. Une élite qui n’a pas transmis les bons repères faisant de la diaspora algérienne, la diaspora la plus nombreuse mais aussi la plus faible de France incapable de se fédérer contrairement aux autres communautés (arménienne, portugaise, juive mais aussi marocaine et tunisienne…).
 

F. Dahmani, Nekkaz, Dib, Begag, Dati, Rahim, Zeribi et les autres, la partie visible de l’iceberg.
Arezki Dahmani, proche de Michel Rocard et de Charles Pasqua, a créé France plus au début des années 80. Rachid Nekkaz a été, en France, au début des années 2000, un militant actif de gauche. 

Amar Dib et Azouz Begag ont créé Convergences en 2001. Abdelouab Rahim a créé Aida (Association internationale de la diaspora algérienne) en 2018, proche du clan Bouteflika. Karim Zeribi, organise pour mars 2024, une conférence internationale de la diaspora. Quelques dizaines d’associations gravitent autour du même thème, en l’occurrence la valorisation de la diaspora. D’autres ont investi la sphère associative pour revendiquer un lien singulier avec l’Algérie avec des noms comme BarizaKhiari, Nora Berra, Tokia Saifi, Nacer Kettane et d’autres. 
 

Tous ces acteurs ont d’abord un dénominateur commun une volonté de valoriser la diaspora sur le sol français et servir le cas échéant de pont entre les deux rives de la méditerranée. A leurs têtes, des profils plutôt dynamiques et ambitieux avec un réseau établi et quasi toujours une immersion dans les appareils politiques. 
 

Le constat est malgré tout affligeant jusqu’à ce jour. Toutes ces initiatives ont périclité et leurs dirigeants ont dû se reconvertir. Il suffit de constater le désert politique dans lequel s’insère la diaspora algérienne. 
Dans le domaine économique, les résultats de la Caci (Chambre de commerce algérienne en France) sous la houlette de son président Kaci Kacem Ait Yalla, sont peu lisibles. Dans le domaine cultuel, les recteurs des Mosquées de Paris avec Chems Eddine Hafiz, Lyon avec Kamel Kabtane et Marseille avec Djamel Zekri sont dans un climat de désarroi profond.  
 

Certains, très critiques, considèrent que ces initiatives tous secteurs confondus ne pouvaient réussir car il existait une confusion des genres entre intérêts personnels de leurs dirigeants et supposé intérêt général à défendre. Conflit d’intérêt les rapprochant fortement de l’idée d’une élite carriériste, type «bounty» élitiste, qui souhaitait se faire du beurre sur leur communauté.
 

D’autres considèrent que les egos démesurés de leurs dirigeants, les compétitions farouches, les jeux d’acteurs et de pouvoir entre eux étaient trop importants pour créer une dynamique collective saine et positive. 

D’autres encore considèrent qu’ils n’étaient que des instruments de divers pouvoirs politiques, en France ou en Algérie, pour des effets de communication à court terme ne pouvant déboucher sur des processus d’actions en profondeur. En d’autres termes, une forme d’instrumentalisation de leurs prétendues actions collectives. En réalité, l’inefficience de ce type d’initiative est principalement liée à l’absence de conception d’un contenu profond permettant une véritable crédibilité auprès des différents publics y compris politiques. Ces initiatives se limitant trop souvent à des manifestations élitistes mettant en exergue une façade ne reflétant pas les enjeux réels auxquels il fallait répondre. 
 

La diaspora est une ressource stratégique, c’est pourquoi, ce n’est que par une analyse stratégique qu’elle pourra être véritablement valorisée loin de toutes les opérations de communication portées par des acteurs en vogue, quels que soient leur talents et leurs ambitions qui se succèdent au fil des ans.  

Ce n’est que l’Algérie, pays souverain, qui pourra impulser un projet stratégique en faveur de sa diaspora et non le contraire. La question qui se pose est de savoir si l’Algérie peut et veut porter véritablement un projet stratégique à destination de sa diaspora.

Diaspora/Algérie, un dialogue de sourds ?

Depuis près de 40 années, l’Algérie n’a pas clairement défini une approche stratégique sur ce sujet se contentant de demander à la diaspora de s’organiser et éventuellement de créer un lobby en France, sans lui donner les moyens d’une mise en œuvre efficiente. Alors même qu’il est du devoir de l’Algérie à qui il incombe de faire de cet enjeu une priorité et de concevoir cette analyse stratégique à l’horizon 2040. 

Cette analyse devra disposer d’un véritable contenu conçu au plus haut sommet de l’Etat avec une approche transversale impliquant les différents corps ministériels (Présidence, ministère des Affaires étrangères, ministère de l’Industrie, ministère de la Défense nationale et autres) et la définition d’objectifs prioritaires ciblés. Sans une implication pleine et entière de l’Algérie, toutes les initiatives seront vouées à l’échec, le passé nous prouve cet état de fait.

Pour une analyse stratégique efficiente et un contenu adéquat, plusieurs conditions devront, à notre humble avis, être remplies.
 

En premier lieu, dans le champ politique la ressource diaspora ne sera stratégique que si elle dispose d’un pouvoir : pouvoir politique en priorité,  avant l’économique et le culturel. 

Une existence politique de la diaspora en France est vitale pour préserver les droits, trop souvent bafoués, de ces citoyens binationaux, et pour lutter contre le poison racisme qui s’exprime d’une manière récurrente et violente à leurs égards. L’assassinat de Nael en est la plus triste illustration. 
 

Par ailleurs, l’implication dans le champ politique est un atout majeur pour défendre les intérêts de l’Algérie en France mais aussi de favoriser les relations bilatérales dans un véritable partenariat dont le critère premier sera l’investissement avec des taux d’intégration élevés et non plus des échanges commerciaux principalement à l’avantage de la France. 
 

Enfin, l’insertion d’une diaspora impliquée dans le champ politique sera un puissant moyen de citoyenneté active avec tous ses attributs positifs. Cette implication politique devra également s’opérer en Algérie. Dans cette analyse stratégique, le deuxième champ d’implication sera la sphère économique avec une volonté réelle de mettre en œuvre une politique de promotion des investissements de la diaspora en Algérie mais aussi le drainage de son épargne. 
Depuis 1962, il est consternant de constater la fuite des capitaux, estimés à plusieurs milliards annuels, en provenance de cette diaspora parce que nous sommes incapables de mettre en œuvre un réseau bancaire performant en France contrairement à nos voisins marocains et tunisiens. 

Comment peut-on raisonnablement imaginer une diaspora de plus de deux millions de personnes, dont au moins 100 000 personnes porteuses potentielles de projets économiques ou de compétences, souhaitant investir ou travailler dans leur pays d’origine et ne pouvant le faire. Le troisième champ de l’analyse stratégique à construire est lié au domaine culturel où notre absence est chronique dans les principales villes de France où une forte communauté de la diaspora est présente. 

Est-il normal de ne pas disposer de centres culturels algériens par exemple à Lille, Lyon, Marseille. Structures qui permettraient de valoriser la culture, l’identité et d’une certaine manière l’existence digne de ces millions d’Algériens. A titre d’exemple, est-il normal de ne pas disposer de Maison de l’Algérie au sein de la Cité internationale de Paris alors que nos étudiants sont contraints d’être hébergés dans d’autres maisons y compris chez nos voisins du Maghreb. Pour ces trois domaines, nous pourrions multiplier les exemples de contre-performance mais ce n’est pas l’objet de cet article qui se focalise sur les enjeux mais aussi les perspectives avec des fondements clairement établis. 
 

Pour une efficience réelle avec des mesures opérationnelles. Tous les discours, manifestations, opérations de communication ne seront qu’illusoires si aucun projet stratégique n’est élaboré au plus haut sommet de l’Etat algérien. Il est urgent d’agir en profondeur avec une task force composée des meilleurs experts algériens pour rendre au plus tôt un livre blanc sur la diaspora avec la question persistante : l’Algérie souhaite-t-elle réellement que sa diaspora dispose d’un pouvoir puissant d’influence ? Nous n’avons pas la réponse. Si c’est le cas, nous l’espérons, ce serait salutaire pour l’Algérie. 

Mais pour être crédible, il faudra des signaux forts. Le premier, la refonte de notre constitution qui empêche les membres de la diaspora d’accéder aux plus hautes fonctions de l’Etat algérien. Ainsi qu’une représentation parlementaire beaucoup plus forte. Enfin, des moyens financiers dignes de ce nom pour faire exister réellement cette vitalité algérienne à l’étranger. Aujourd’hui, la question du pouvoir d’influence de la diaspora en France et en Algérie reste ouverte. 

Seul les plus hautes autorités algériennes sont en mesure d’impulser un grand projet stratégique à destination de la diaspora que des millions d’Algériens attendent et espèrent depuis fort longtemps. Je profite de cet article pour interpeler humblement le président de la République. 

«Monsieur le Président de la République, je vous confirme que je ne fais partie d’aucun parti politique ou d’organisation partisane et n’ai aucune ambition politique, sinon d’apporter une contribution à mon pays, l’Algérie, à travers mes écrits. Essayer de faire de belles et grandes choses pour l’Algérie est un bel idéal, c’est un peu le mien et j’aimerais le partager. 

C’est aussi une des raisons qui ont motivé cette correspondance. Je suis convaincu que le sens de votre réponse ira dans cette même direction. Veuillez croire, Monsieur le Président de la République, à ma plus haute considération.» 

 

Pr  S. Larkeche

Intellectuel franco-algérien.    

Auteur des ouvrages :  Le Poison français, lettre ouverte au Président de la république française (Préface de Roland Dumas). Editions Ena.
Réponses d’un franco algérien au Président Macron et à Benjamin Stora. Editions Ena


 

 

 

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