La dernière escale de Lounès Ghezali : «Ma chair brûle»

30/08/2022 mis à jour: 00:57
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Le nouveau roman de Lounès Ghezali, intitulé La dernière escale, publié par les Editions Frantz-Fanon, est un ouvrage qui traduit une douleur émotionnelle. 

L’histoire donne des frissons, de bout en bout, tant elle nous laisse emporté dans un univers mélancolique. Lounès a essayé de mettre une certaine corrélation entre le réel et l’imaginaire pour nous inviter, d’emblée, à s’accrocher à son texte au point d’être même affectés par la tristesse des événements. «Cette histoire est juste le fruit du tassement de multiples silences, la suite d’un tracas foudroyant qui fige mon corps, mais exhortant mon esprit à déterrer jusqu’à l’ultime image…» 

L’auteur est entré dans l’esprit du personnage, une femme alitée, pour révéler son dialogue intérieur à travers lequel elle a passé en revue les souvenirs de sa vie dans l’angoisse de l’au-delà comme elle a parlé également des rituels pénibles liés à sa maladie. 

«C’est à l’ombre de cette mort qui s’avance, sournoisement, que ma mémoire devient subitement foisonnante», s’auto-confie cette femme vautrée sur son lit, dans une atmosphère de détresse existentielle accompagnée des sensations de sa douleur surtout avec le raidissement de sa mâchoire qui bloque ses cordes vocales. «Que m’arrive-t-il ? Finis-je par me dire en moi-même en laissant cette fois échapper quelques sanglots et des gouttelettes de larmes sur mes joues. Quel nom faudrait-il mettre sur ce mal qui me prend en défaut, alors que, d’habitude, je prélasse durant les douces nuits d’été ?», s’interroge-t-elle tout en dressant le bilan de la vie. 

Là, l’auteur établit une voix forte et offre quelques indices de ce qui va se passer dans l’histoire comme il fait déjà sentir la tristesse de son personnage dans la structure du texte. 

Celle-ci est emportée par une succession de faits qui s’enchaînent mais facilitant la compréhension de l’évolution de l’histoire à travers l’ensemble des blocs sémantiques composant le récit. «Au bout d’une éternité de vide, des cris parviennent à mes oreilles. Des cris éparpillés aux sonorités variées. Un monde qui se résume à la jeunesse était fait de bruits et d’images, celui d’après était un silence qui hantait les nuits. Le monde d’après était une escale qui glisse vers le néant, le monde après le mariage n’avait aucun remède : les repères du passé. C’était une mécanique du cerveau bien huilée», tel est, entre autres, le passage qui exprime la souffrance. 

Le personnage de l’histoire ajoute : «J’étais prisonnière de mon silence, engloutie par des sables mouvants mais, des voix me semblent mécontentes, impénétrables en tout cas, se font entendre et me harcèlent sans relâche, à l’intérieur. Recroquevillée sur ma paillasse, entourée telle une égérie sanctifiée, je me sens comme un moine en pleine méditation». 
 

Une situation décrite comme un relâchement pour reconstruire son monde à l’intérieur de son être afin de se soulager du poids insupportable de son impuissance à retrouver la moindre autonomie d’une personne clouée au lit attendant, silencieusement, l’aide des membres de sa famille. 

Au fil des pages, le lecteur finit par s’identifier au personnage pour mieux comprendre ses angoisses et ses vaines espérances. «On surfe sur la vague de mes dernières volontés ! On veut même aller jusqu’à vouloir normaliser mes douleurs. C’est-à-dire s’asseoir sur une certitude qui les mettrait hors d’atteinte de toute émotion. Affirmer seulement que tout est normal et advienne que pourra de mon propre sort. 

Mais, paradoxalement, ont dit aussi à voix haute (sans doute aussi pour que je l’entende) qu’il faut agir vite avant que le trou béant de la mort ne m’aspire», relève-t-elle tout en intégrant ses proches à sa mémoire familiale comme son fils, l’aîné des garçons. Jusqu’aux dernières lignes du livre, l’auteur nous fait participer à une attente effarée. La malade termine ses jours prisonniers de son corps figé en racontant ses derniers instants. «Ma mémoire se fatigue soudainement, mes souvenirs s’évaporent d’un seul coup, mon corps se fige encore un peu plus et ma lucidité s’estompe… Je sens ma mère qui vient à petit pas en me faisant signe de la rejoindre. Heureuse traversée ma fille ! me dit ma mère». 

C’est par ses mots que se termine le roman de Lounès Ghezali qui nous plonge dans le dialogue intérieur d’une personne rongée par l’angoisse de l’au-delà et la progression du désespoir. Il a usé ainsi beaucoup plus d’hyperboles, d’antithèses et d’oxymores avec notamment la répétition de tout ce qui a lien avec l’émotion comme «le rêve qui se transmue de la peur à l’audace, de l’épreuve à la satisfaction et de la tristesse à la joie». 
 

Mais la souffrance est récurrente dans le texte Les yeux sont gonflés de larmes, Ma chair brûle, Mes os se consument irréversiblement et Mon corps rôde au seuil de la mort. Le récit est vraiment introspectif dans la mesure où il met le personnage face à un destin qui le dépasse. 

Cette situation est créée pour accompagner la transmission des émotions intenses vers le lecteur afin de donner une dimension supplémentaire à l’histoire. 
 

On constate également, dans le texte, une ponctuation marquée surtout par l’exclamation et l’interrogation qui mettent en valeur ce qui arrive. «Il est de l’ordre des choses de mourir un jour ou l’autre; alors, pourquoi tenter de fuir ? Pourquoi chercher des issues qui n’existent pas ? Pourquoi s’offusquer ? Pourquoi pleurer ?» 

Dans ce roman, l’auteur s’efface laissant place au personnage qui livre ses sentiments les plus intimes avant d’être au-delà du monde des vivants. 
 

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