La fin de l’année est toujours propice aux bilans, la littérature aussi, car en chaque livre, c’est une somme d’expériences qu’il nous est donné de lire et de méditer.
Les mois défilent, les pages aussi, tous deux porteurs de joie et de peine, de folie et de sagesse. Tous deux porteurs de vie. Une vie que l’histoire, pourtant, marque de ses stigmates, tant les guerres et les conflits, les haines et les injustices dévorent les peuples, broient les enfants et brisent l’humanité.
Mais l’espoir demeure en chaque homme et en chaque livre. Qui donc pourrait désespérer s’il met à bas les idoles de la peur, de l’illusion et du mensonge ? Autant d’idoles que les livres nous aident à abattre, car ils portent en eux, si on sait les lire, non pas les lendemains qui chantent, mais les jours tranquilles où le bonheur se conjugue à la vertu de se satisfaire de ce que nous comprenons de la vie. Il est un auteur antique qui a consacré son œuvre à cette approche, j’ai nommé Sénèque, lequel démontre que le temps de vivre est toujours celui d’espérer.
Une espérance que tous les livres portent, car même désespérés, absurdes ou tragiques, leurs auteurs ont choisi d’écrire, de témoigner, de vivre et de faire vivre les autres au travers de leurs expériences passées toujours conjuguées au présent de chaque lecteur et sublimées par la littérature qui apparaît, alors, comme ces illuminations de fin d’année, annonciatrices de joie et de prospérité à venir.
Les jours à venir sont alors comme on dit désormais une PAL, une pile de livres à lire, gourmande et plaisante, comme ces friandises et autres plaisirs gustatifs de début d’année, déversés sur le plus jeune enfant de la famille placé dans un grand plat creux. Les livres qui nous attendent sauront, encore cette année, nous éclairer, nous donner intelligence et beauté. Quant à ceux que nous avons lus, ils nous auront, au fil des 366 jours de 2024, accompagnés et mieux fait comprendre, tel le vert compagnon de Moïse, les secrets de la vie.
En effet, en chaque livre, il est une leçon, et la première est celle de mettre des mots et donc du sens sur le monde, même si c’est «le dernier été de la raison», car celle-ci, même ultime, continue de parler et d’écrire.
Ainsi, l’œuvre de Tahar Djaout, dont nous venons de citer le dernier titre, ou celle de la brillante personnalité qu’était l’écrivain Boudaoud Amier, dont la scène littéraire vient d’enregistrer la perte cruelle, demeurent au-delà de la disparition physique des auteurs qui continuent de vivre en chaque lecteur, marquant d’autres vies et d’autres années à venir. L’avenir est ainsi en chaque livre du passé, qui n’est, lui-même, que le présent de celui qui l’ouvre.
Les années se confondent et se renouvellent, et les haltes, qui marquent le passage de l’une vers l’autre, sont le symbole de la continuité de la vie et de l’espérance humaine. Une espérance dont nous sommes les porteurs, pour peu que nous montions en haut des cimes, là où le paysage du temps s’étale plus largement et où le panorama de l’existence humaine s’offre plus vastement et plus significativement.
Les livres contribuent à cette montée vers les cimes, pour peu que le feu divin nous y appelle, grâce au discernement et à la volonté, pour se dégager de la gangue dont les réseaux sociaux sont l’avatar actuel et aller vers l’univers de la lecture, celui de la réflexion, du sens critique, de l’apprentissage, de l’empathie et de la créativité.
La littérature orale, si souvent présente, à travers contes et poèmes, dans les veillées traditionnelles qui caractérisaient les périodes de fin et de nouvelles années d’antan, participait aussi de cet univers en inculquant, aux petits et aux grands, des valeurs en symbiose avec l’environnement tant social que naturel, au travers de ces «khorafate», isefra et autres qacidate populaires, aujourd’hui décriées et qui, pourtant, réussissaient, en complément des préceptes religieux, à déposer en l’individu, par leur portée magique, que nous nommerons «el niya», le respect de soi, des autres, du savoir et de la nature, ainsi que le goût de l’effort, du sacrifice et du mérite, aujourd’hui perdu, malgré les ostentatoires sermons.
Ainsi délaissées, les structures littéraires traditionnelles n’ont pas été remplacées dans la société par celles de la littérature écrite moderne. La portée magique de la littérature est en fait celle des fêtes, car la littérature est une fête de l’esprit, de la conscience et des luttes menées ou à mener par les hommes, à l’échelle individuelle ou sociale.
C’est une fête faite de retrouvailles avec soi et de convivialité avec les autres, que nous découvrons au travers des idées, des émotions et des grandes espérances humanistes que les périodes de fêtes universelles instaurent, malgré le double discours qui les ternit au travers des souffrances qu’on fait mine de ne pas voir sur la terre même qui a vu miraculeusement naître celui, salut sur lui, dont la sainte figure est évoquée. La littérature, entre autres, fait prendre conscience de la complexité du sens d’une fête, en nous rappelant à nos devoirs et à nos responsabilités envers tous ceux dont nous partageons l’humanité, au-delà de nos différences. La littérature est ainsi la fête de ceux privés de fête, en ouvrant les pages d’un nouveau livre à écrire, celui d’une humanité unie dans l’espoir d’un monde meilleur, plus juste, plus libre et plus solidaire.
Doit-on se contenter de ces vœux pieux, si souvent rabâchés ? Que faire ? La question fut d’abord, on l’oublie, le titre d’un roman de Tchernychevski, avant que d’être reprise par Lénine et, autrement, par le Rapport de Zeddine, rédigé par Aït Ahmed en décembre 1948. Cette question et tant d’autres nous ramènent à ce que la littérature, justement, promeut la réflexion, l’analyse, la vision et la prospection, pour aller de l’avant. Tel serait le meilleur vœu : Aller de l’avant.
Par Ahmed Benzelikha
Linguiste spécialiste en communication, économiste et journaliste algérien