Le récent élargissement des BRICS à six nouveaux membres est une victoire pour la Chine qui lui permet de continuer son combat pour la remise en question de l’hégémonie du G7 et l’ordre international dominé par l’Occident.
A compter du 1er janvier 2024, l’Argentine, l’Égypte, l’Éthiopie, l’Iran, l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis devront devenir membres du groupe des BRICS. Pour l’heure, l’Arabie Saoudite n’a pas encore confirmé si elle rejoindrait le bloc, dans l’attente de plus amples détails sur les exigences éventuelles de son adhésion.
Pour la Chine, c’est une victoire éclatante qui lui permettra : (1) d’apparaitre, au-delà des BRICS, également comme leader du Global South (Monde du Sud-MS composé principalement de pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine qui refusent de prendre parti dans cette guerre), (2) challenger la gouvernance mondiale économique dominée par l’Occident à travers les institutions multilatérales de Bretton Woods (Fonds monétaire international et Banque mondiale) et les Nations unies et (3) ouvrir la voie à la construction d’un monde juste, inclusif et prospère.
Une question fondamentale se pose : est-ce que la Chine a, au vu des problèmes structurels qui affaiblissent son économie et donc sa force de frappe, les moyens économiques et financiers d’être un leader solide du MS qui fera barrage au G7 ? Pour ce qui est de l’Algérie, si le dossier de candidature n’était pas solide, elle a également fait les frais de critères d’adhésion manquant de clarté du fait des profondes divergences entre les pays membres originaux des BRIC (entre la Chine et la Russie et entre la Chine et le Brésil et l’Inde).
Par ailleurs, il est douteux que la refondation de l’économie algérienne passe uniquement par l’appartenance aux BRICS. J’en doute fort car elle sera d’abord et avant tout le résultat des efforts du pays à vouloir passer à une autre phase de son développement économique et social. Discutons de ces points.
La Chine a marqué de ses empreintes l’ordre du jour, les débats et les conclusions du XVe sommet des BRICS tenu en Afrique du Sud du 22 au 24 aout 2023.
Non sans surprise, pour admettre les candidats de son choix, la Chine était déterminée à : (1) passer outre aux objections de l’Inde et du Brésil qui craignaient de nuire à leurs liens avec les États-Unis et de voir la dilution de leur influence et (2) recourir à une critériologie opaque mixant : (i) performances actuelles et visibilité économique sur le moyen et long terme, (ii) positions géostratégiques et équilibre géographique, (iii) influence politique et économique et (iv) partenariat militaire, sécuritaire et économique approfondi avec la Chine (cas de l’Iran).
Pour ce qui est de l’Égypte et l’Éthiopie, il s’agissait d’amarrer une région qui se tourne de plus en plus vers la Chine pour obtenir une aide économique et vers Moscou pour les ventes d’armes. Enfin, il y a l’Argentine, le seul pays d’Amérique latine à avoir été retenu comme nouveau membre (qui, faute de dollars américains, a utilisé des yuans pour repayer sa dette vis-à-vis du FMI et favoriser ainsi l’internationalisation de la monnaie chinoise).
Est-ce que la Chine a les moyens de ses ambitions en tant que leader du Monde du Sud ?
Pour l’heure, les doutes sont permis. Examinons cela :
La Chine est déjà dans une logique de concurrence du dollar en exploitant les sanctions pour contrecarrer la domination de la monnaie américaine. N’ayant pas les moyens de remplacer le dollar à court et moyen terme (faiblesse du système financier), la Chine procède donc de façon progressive pour atteindre cet objectif à long terme.
Grâce aux nouvelles technologies, la Chine a mis en place une batterie de nouveaux instruments (renminbi numérique, ou e-yuan, système de paiement mondial alternatif, marchés de capitaux offshore) pour faire une place au yuan et surtout créer suffisamment d’espace pour la survie économique de la Chine si les États-Unis la ciblent un jour avec le type de sanctions imposées à la Russie. De plus, la guerre en Ukraine a donné à la Chine une autre opportunité d’internationaliser le yuan en accordant des crédits conséquents aux banques russes sous sanctions.
L’économie chinoise post-Covid est structurellement affaiblie. La gestion erratique de la pandémie de la Covid-19 (restrictions successives, testings forcés en masse, interminable fermetures pendant 3 ans) ont causé des dommages macroéconomiques et structurels considérables sur les plans interne (chute de la demande, affaiblissement du secteur manufacturier, baisse des importations, déflation) et externe (désorganisation des chaines de production, perturbation du commerce mondial et manque de confiance envers les producteurs chinois).
En conséquence, l’économie chinoise a enregistré la plus importante baisse de croissance depuis le début des réformes libérales en 1979. La réouverture de l’économie chinoise en janvier 2023 avait été accueillie favorablement par la communauté internationale. S’attendant à une hausse de la demande chinoise, les prix internationaux des matières premières sont partis à la hausse. Le rebond économique de la Chine a été effectif au cours du premier trimestre 2023 en raison de la reprise de la consommation interne (tourisme, services hôteliers, transport, etc..), des exportations et même de l’immobilier.
A contrario, à fin juin 2023, l’economie chinoise s’essouffla et en glissement annuel : (1) la croissance économique n’atteint que 3,2 % en raison de la faiblesse de la consommation, des investissements des entreprises et des exportations nettes, de la tiédeur des investisseurs étrangers et des administrations locales ; et (2) le déflateur du PIB, mesure du prix des biens et services, a diminué de 1,4 %, la plus forte baisse depuis 2009.
Elle a plongé la Chine dans la déflation qui devrait éroder les bénéfices, déprimer la confiance, décourager les emprunts et les investissements et faire chuter davantage la croissance économique, ce qui aggravera encore plus les pressions déflationnistes et pousser à un endettement réel des agents économiques.
Les moteurs de la croissance ne peuvent repartir pour trois raisons : (1) l’arsenal des mesures correctives économiques est devenu inefficient : Face à des crises, les seuls leviers à la disposition des autorités sont : (1) la baisse du coût du crédit, (2) le lancement de programmes d’infrastructure, (3) la relance de l’immobilier et (4) une stimulation de consommation des ménages à travers des hausses des pensions et des transferts.
Cependant, ces leviers favorisent une hausse de l’endettement public et privé, créent des bulles et sont donc devenus des sources de blocage (non sans surprise, les autorités chinoises n’ont pris récemment que des mesures monétaires et bancaires) ; (2) le pays s’est fixé de nouvelles priorités stratégiques : gestion rigoureuse des finances publiques (ciblage d’un déficit du budget de 3%) et d’un taux de croissance qualitatif de 3%) en appui de leur objectif de renforcer la grandeur nationale, la sécurité et la résilience ; et (3) des contraintes structurelles majeures entravent un redéploiement économique : l’affaiblissement des moteurs de la croissance chinoise est le reflet d’un déclin de la consommation (au bénéfice de l’épargne) et des investissements privés.
Ces déclins sont révélateurs de contraintes structurelles profondes, y compris (i) une population vieillissante qui affaiblit le potentiel de croissance et ralentit la transition vers un nouveau modèle de croissance basé sur la consommation intérieure ; (ii) une relocalisation des IDE vers le Vietnam, les Philippines et le Bangladesh ; (iii) un environnement international plus défavorable en raison de la stratégie de désengagement ciblé de la part de l’UE et des Etats-Unis, ce qui conduit la Chine à s’intéresser aux pays émergents comme partenaires économiques et financiers et justifie l’intérêt sur les BRICS et (iv) des restrictions sur les transferts de technologie. Toutes ces contraintes ne favorisent pas l’objectif stratégique de rattraper les Etats-Unis.
Le ralentissement de l’économie chinoise a des répercussions systémiques sur le reste du monde. Ces répercussions se font sentir à travers : (1) l’économie réelle du fait d’une chute de la demande domestique en biens et services et une baisse de la demande externe en matières premières (la Chine consomme près 1/5e du pétrole mondial, 1/2 du cuivre, nickel et zincs raffinés et plus des 3/5 de minerai de fer), industriels et finis.
Cette chute affecte la production et l’investissement domestique et externe (au niveau des pays en développement, émergents et avancés) et (2) les marchés financiers internationaux notamment du fait de l’effondrement du marché immobilier, et de l’affaiblissement du secteur manufacturier pour le cinquième mois consécutif.
Non sans surprise, les investisseurs étrangers ont vendu pour un montant record de $12 milliards d’actions chinoises en août 2023, les mesures correctives partielles des autorités n’ayant pas réussi à apaiser les inquiétudes concernant le ralentissement de la croissance de la deuxième économie mondiale.
Les retombées négatives de la Road and Belt Initiative (RBI). Cette année marque le dixième anniversaire de la RBI lancée par la Chine, le projet de développement d’infrastructures le plus vaste et le plus ambitieux de l’histoire de l’humanité. La Chine a prêté plus de $1000 milliards à plus de 100 pays dans le cadre de ce programme, dépassant de loin les prêts et dons des pays du G7 au niveau des pays en développement, suscitant ainsi des inquiétudes relatives à l’influence de la Chine.
L’absence de rentabilité de nombreux projets ont conduit nombre de gouvernements au surendettement (Sri Lanka, Argentine, Kenya, Malaisie, Monténégro, Pakistan, Tanzanie et bien d’autres) et à solliciter l’appui du Fonds monétaire international (FMI) et d’autres institutions financières internationales pour rembourser leurs emprunts chinois.
L’Algérie, la Chine et les BRICS : commerce extérieur déséquilibré et besoin de diversification.
Agrégats extérieurs à titre préliminaire à fin juillet 2023. Les exportations ont atteint $30 milliards à fin juillet 2023 par rapport à $35 milliards en 2022. La part du pétrole est de 90 %. Les exportations hors-hydrocarbures restent mineures avec $3 milliards et portent essentiellement sur les produits suivants (engrais, minerais, ammoniac).
De façon générale, la baisse des exportations totales reflète un effet prix des hydrocarbures liés au contexte géostratégique et économique. Les importations ont totalisé $25,5 milliards en comparaison de $23,2 milliards en 2022. La part des produits alimentaires dans les importations totales est de 24%. Une forte dépendance qui a survécu au temps pour de nombreuses raisons. Pour les biens d’équipements, leur part se situe à 2,2 %. Une chute continue des importations d’équipements au moment où l’économie sortait endommagée par la pandémie.
Le partenariat commercial est concentré. En matière d’importations, les cinq principaux partenaires sont la Chine (18,6% des importations totales), la France (7,42%), l’Italie (6.93%), le Brésil (6,93%) et l’Allemagne (5,48%). Pour les exportations, les partenaires de l’Algérie sont les suivants : l’Italie (30,97%), la France (13,1%), la Turquie (6,98%), l’Espagne (6,5 %) et les Etats-Unis (4,7 %). Un partenariat concentré révélateur d’une faible diversification.
L’Algérie et les BRICS : des échanges faibles. Au total, à fin juillet, l’Algérie a exporté $1,9 milliard (6,3 % du total) en direction des BRICS et importé $8,3 milliards (1/3 du total). La Chine et le Brésil sont les deux plus gros partenaires. Des échanges déséquilibrés en défaveur de l’Algérie.
Feuille de route pour une refondation économique en dehors des BRICs et une diversification des exportations. La refondation de l’économie algérienne ne passe du tout par l’appartenance aux BRICS. Elle est et sera d’abord et avant tout le résultat des efforts du pays à vouloir passer à une autre phase de son développement économique et social.
Avec un monde en plein bouleversement économique et géostratégique et au milieu d’une transition énergétique incontournable, le pays ne doit plus perdre du temps et doit à tout le moins et dans les délais les plus brefs se doter d’une stratégie de diversification, d’exportation cohérente avec une stratégie à long terme de réforme du modèle de développement du pays.
Volet 1 : Articuler des politiques macroéconomiques structurelles et sectorielles cohérentes : appuyant le retour aux grands équilibres, la diversification des activités de production et le ciblage de secteur à haute valeur ajoutée.
Volet 2. Diversifier les exportations (en liaison avec la diversification économique), processus complexe et long qui ne peut résulter que d’une transformation structurelle de l’économie tirée par de hauts niveaux de productivité provenant d’une réallocation intra et inter sectorielle des ressources.
En appui de cet objectif stratégique et sur la base de nombreuses études internationales, il serait souhaitable d’engager un véritable programme de réformes visant à : (1) renforcer la qualité du capital humain par le biais d’une amélioration de la qualité des enseignements primaire, secondaire et supérieure pour rehausser la qualité du marché du travail, favoriser la création et in fine soutenir la croissance et les exportations, (2) favoriser l’ouverture commerciale qui permet de s’exposer à la concurrence et d’acquérir un savoir-faire, (3) améliorer la qualité des institutions, mesurée par la qualité de la gouvernance (respect des contrats, arbitrage, etc.) et le niveau de corruption pour inspirer confiance dans le label Algérie, (4) disposer d’infrastructures de qualité, notamment en matière de transports, téléphonie et pénétration internet incontournable pour s’insérer dans le circuit du commerce international électronique, (6) œuvrer à l’ouverture du compte de capital à terme pour mobiliser l’épargne étrangère, notamment sous la forme d’investissements directs étrangers même s’ils tendent à se diriger vers des secteurs où les pays ont un avantage comparatif, notamment le secteur minier, (7) développer le secteur financier pour améliorer à la fois l’accès financier et l’allocation du crédit entre les secteurs (et entre les entreprises au sein des secteurs) et (8) mettre en place une politique industrielle qui s’appuie sur des instruments directs et indirects d’intervention pour renforcer la compétitivité des entreprises à l’exportation et placer l’économie du pays sur le marché mondial.
Volet 3. Eliminer à terme la dualité du marché des changes (une œuvre de longue haleine) qui serait étalé sur le long terme et qui s’articulerait autour de 4 grands axes : (1) un premier axe à court terme (12 mois) visant la réduction de l’écart entre le taux officiel et le taux parallèle ; (2) un second axe (moyen terme) pour renforcer le fonctionnement du marché officiel de change ; (3) un troisième axe (moyen terme) est d’assécher les sources d’offre du marché parallèle et (4) un quatrième axe (long terme) visant à l’unification à terme des deux marchés par le biais d’une libéralisation du compte capital de la balance des paiements pour faire bénéficier le pays d’entrées de ressources extérieures.