Jugurtha Abbou. Ecrivain, poète et essayiste : «L’appétit vient en écrivant…»

28/03/2022 mis à jour: 00:33
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Jugurtha Abbou. Ecrivain, poète et essayiste / Photo : D. R.

Dans l’entretien qu’il a accordé à El Watan le jeune et sémillant auteur, Jugurtha Abbou nous parle de son livre Les maux conjugués, publié aux éditions Imal et préfacé par notre collègue Mustapha Benfodil. Son premier roman «se veut un hymne à la paix quand la guerre se fait sentir, un hymne à l’amour quand la haine s’installe, un hymne à l’espoir quand le dépit s’affirme et aussi et surtout un hymne à la résistance quand la tyrannie s’impose », résume celui qui a à son actif un recueil de poésie et un essai politique.

  • Votre premier roman Les maux conjugués s’inscrit dans une actualité brûlante, celle du début des années 2000. Le parcours de Mehdi, qui a choisi les chemins de l’exil après la mort de sa bien-aimée, est celui de milliers de jeunes algériens, tentés par la harga. Pourquoi avoir choisi de «caler» la trame de votre récit dans cette période de l’histoire du pays avec des personnages qui nous ressemblent beaucoup ?

Les maux conjugués se veut un hymne à la paix quand la guerre se fait sentir, un hymne à l’amour quand la haine s’installe, un hymne à l’espoir quand le dépit s’affirme et aussi et surtout un hymne à la résistance quand la tyrannie s’impose.

L’histoire du roman nous fait revenir aux premières années du 21e siècle, dont le début avait été marqué, rappelons-le, par la crainte d’un bug dévastateur. Je voulais dès lors contextualiser les événements afin de mieux les cerner. Il y avait notamment le 11 septembre annonciateur d’un nouveau bouleversement mondial, avec les guerres que les attentats ont engendrées. En interne, l’Algérie essayant de franchir la période de sang et de terreur avec des appréhensions énormes, alors que la nature n’a pas été tendre, comme en témoignent les inondations de Bab El Oued et le séisme de Boumerdès.

J’ai essayé alors de replacer tous ces événements dans un récit mené par des personnages en lesquels chacun de nous peut s’identifier. Il y a le jeune à qui tout souriait mais dont la vie bascule quand soudainement, il perd sa dulcinée, victime du tremblement de terre. Il s’adonne à la boisson, puis rebondit par la grâce de son oncle, avant d’être encore une fois déçu car sa demande de visa est rejetée. Il tente la harga, mais il est kidnappé par des jihadistes qui l’emmènent en Irak, alors en plein guerre. Il y a sa maman qui tente par tous les moyens de le sauver, et elle arrive à le faire, car ne dit-on pas que ce que femme veut, Dieu le veut ?

  • Le narrateur, oncle de Mehdi, ne manque pas de parler de sa vie de «chercheur de mots». «Les phrases de mon père envahissent mon esprit, retentissent dans mon oreille et battent aux pulsations de mon cœur. Je suis, dès à présent, l’héritier du trône, je suis dès à présent un chercheur de mots. Il décrit son obsession de retrouver le manuscrit de son père», lit-on dans la première partie du récit. Pourquoi cette quête des origines est si obsédante ?

Comme le titre de l’œuvre l’indique, il s’agit de maux qui se conjuguent, et que chacun essaye de traiter à sa manière. Celui qui s’adonne à la boisson, à la drogue, celui qui trouve refuge dans la mosquée ou celui qui cherche à traverser la mer, au péril de sa vie, pour s’éloigner du mal qui le ronge.

De tous ceux-là, une personne émerge, elle s’inscrit dans la lignée des prophètes, des sages et des érudits, sans en être un. C’est ce que quiconque peut être, un chercheur de mots. Celui-ci tente, vaille que vaille, de vaincre le mal par le bien, la haine par l’amour, la résignation par l’éveil, en cherchant à percer les âmes… par les mots. Il emporte avec lui des billions de mots qu’il distille là où il va, sans être, je le disais, ni poète ni prophète, mais un peu de tout.

L’œuvre écrivain à temps plein, lecteur à temps perdu, et semeur de la bonne parole, le reste du temps ne se passe pas de messages, je rends hommage à travers ce personnage, pigiste à moitié temps et semeur de la bonne parole, le reste du temps.

Cette quête de la bonne parole, dois-je le souligner, est puisée de notre terroir caractérisé par la transmission générationnelle et une inventivité exceptionnelle ayant enfanté des génies de la trempe de Cheikh Mohand Ou l’Hocine, Si Moh Ou’Mhand et autres semeurs de la bonne parole.

  • Comme le note très justement le préfacier, Mustapha Benfodil, les mots de votre récit « sont un agir. Ils sont de la famille du cri, de la clameur et de la poudre». Dans un passage du roman vous écrivez : «La vie commence par un cri, elle se termine par un mot. A la dernière tranche de sa vie, on cherche les mots les plus jolis à réciter. Choisis le mot de la fin, finis ta vie en apothéose.» Un autre extrait est évocateur de cette obsession : «J’ai fait allégeance aux mots, j’ai divorcé avec le reste du monde. J’ai renié mes proches et je me suis tissé d’alliance avec les syllabes.» Les mots peuvent-ils suffire, comme vous le soulignez, pour nous «extraire » de la solitude ?

Les mots possèdent une force indescriptible. Combien de mots ont pu mettre fin à des guerres, combien d’autres en ont déclenché. C’est dire que ces constellations de lettres ont un pouvoir sur le passé, le présent et l’avenir de la planète. Sur un autre plan, les thérapies en vogue, entre autres la programmation neurolinguistique et le développement personnel relèvent l’importance que chaque mot doit avoir dans notre vie, pour dépasser les difficultés et aller vers le mieux.

Le pouvoir qu’ont les mots sur chacun d’entre nous est énorme. Ils ont cette magie de nous transporter de notre solitude vers un monde plus merveilleux, de notre tristesse vers un monde plus gai. Allez voir les pays ou le quotient du bonheur est élevé, le nombre de bibliothèques qu’ils y plantent, le nombre de livres qu’ils y éditent et la nature de l’enseignement qu’ils y procurent.

  • Vous faites aussi l’éloge de la lecture en notant : «Je retrouve Dieu en lisant, j’atteins l’âme de mon père en lisant, cherchant à travers les mots, les secrets les plus cachés de l’existence», «Un homme qui lit en vaut dix ! »

On peut se soustraire de la solitude en lisant et/ou en écrivant, on peut vaincre la déprime en se mettant en harmonie avec les mots, on peut non seulement oublier, mais également soulager les maux par les mots. C’est ce que je résume dans mon roman en écrivant : Lis pour vivre, lis pour grandir.

A ma connaissance, il n’y a pas une religion, une philosophie ni une sagesse qui ne fait pas l’éloge de la lecture et du savoir. «Sont-ils égaux les savants et les ignorants ? », tel est mentionné dans le Coran.

  • Le narrateur cite les pères fondateurs de la littérature algérienne, des auteurs universels, ou encore des poètes et chanteurs du cru ou d’autres pays…

Il me semble, en tant qu’écrivain d’abord et observateur ensuite, que la société perd ses marques et, par conséquent, ses valeurs et ses vertus. Le remède ? Bien retrouver le passé pour mieux aborder le présent et affronter l’avenir.

Permettez-moi de reprendre pour mieux convaincre de cette nécessité de retrouver ses marques et ses valeurs, par cette réplique de Hocine Ait Ahmed à un homme se plaignant de la perte de repères : « Si tu te perds, retourne chez toi et tu retrouveras ta route », lui dit-il.

Et ces repères pour moi, ils portent le nom de Mammeri, Yacine, Dib, Matoub, Hasni… Mais aussi ceux qui continuent de produire, Merahi, Chouiten et autres…

  • Nous croyons savoir que vous avez d’autres textes de fiction sur le métier. Qu’en est-il ?

Effectivement, l’appétit vient en écrivant. Quand on commence à écrire, on ne s’arrête jamais. D’autres textes voient le jour, de même que d’autres projets littéraires. Mais disons que l’heure est à la lecture et à la critique du roman Les maux conjugués qui, à titre de rappel, est édité chez Imal, et préfacé par Mustapha Benfodil.  

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