Intelligence artificielle ChatGPT : Limites repoussées et nouveaux défis de la cognition

11/03/2023 mis à jour: 11:55
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Lancé en novembre dernier, ChatGPT, ce nouveau prototype d’agent conversationnel, utilisant l’intelligence artificielle, suscite autant d’espoir de voir repoussées les limites de l’accès à la connaissance, que de craintes de  voir se produire de nouveaux biais dans l’usage des nouvelles technologies de l’information et de la communication. 

Ce robot conversationnel n’en est qu’à ses débuts, mais il fait déjà l’objet d’une rude concurrence entre les traditionnels géants de l’internet, tous positionnés sur ce nouveau créneau de l’intelligence artificielle. Sur un autre plan, des interrogations et appréhensions accompagnent ses premiers  usages et scrutent leurs possibles dérives. A l’origine de cette nouvelle technologie, ChatGPT, une jonction entre le Chat, outil de conversation utilisé par les internautes pour discuter entre eux, et un programme d’intelligence artificielle capable de générer du contenu et du texte, appelé Generative Pre-trained Transformer (GPT). 

L’innovation réside dans le fait que l’internaute ne discute plus avec un humain mais avec un robot, entraîné, mais surtout outillé pour répondre à toutes sortes de questions : «Ouest- France s’est également essayé à l’exercice, en demandant ChatGPT de détailler la recette pour faire des crêpes. La réponse est imparable. On découvre aussi dans Numerama que la machine est capable de rédiger un texte sur n’importe quel sujet selon le style d’un auteur connu. Les résultats sont à chaque fois très rapides et bluffants pour les amoureux de Marguerite Duras, comme ceux d’Eminem», relate le site français www.rfi.fr, dans un article consacré à ce nouveau procédé d’intelligence artificielle,  mis en ligne le 12 décembre 2022. Le premier prototype de ChatGPT est l’œuvre de la société OpenAI, créée en 2015 par Sam Altman, formé par un incubateur de start-up de San Fransisco, en compagnie d’autres spécialistes des nouvelles technologies de l’information, notamment Peter Thiel et Elon Musk. Ce dernier, déçu par les objectifs non atteints du prototype, a décidé de quitter le navire. 

A peine lancé, ChatGPT attire un millions d’utilisateurs au bout de cinq jours, un seuil que  Facebook a mis  dix mois pour l’atteindre. «En janvier 2023, ChatGPT dépasse les 100 millions de comptes enregistrés deux mois seulement après son lancement, ce qui en fait l’application ayant eu la croissance la plus rapide jusqu’à ce jour», lit-on sur le site de l’encyclopédie en ligne Wikipédia.

Dès ses premières «prouesses» le robot conversationnel est promis à de nouvelles performances qui augurent déjà  pour les techno-optimistes, une véritable «révolution». Un discours classique, corollaire de toutes les innovations technologiques, qui donne aux technologies des pouvoirs d’action sur la société et l’humain. 

En fait, les robots conversationnels ont existé bien avant l’apparition de ChatGPT ; ce nouveau modèle est néanmoins plus instruit, mieux outillé et surtout plus documenté grâce à «de centaines de gigaoctets de textes amassés, notamment dans les livres et sur le Web, des fables de La Fontaine aux recettes de Ricardo (il maîtrise d’ailleurs très bien le français), explique le site www.lesaffaires.com, dans un papier inséré le 15 février dernier. Il est capable de tenir discussion sur n’importe quel thème, et de  produire du texte, à la demande, en tenant compte du profil et de l’expérience de navigation de  son interlocuteur, de ses attentes et centres d’intérêt, mais aussi en puisant et recoupant des informations dans les gigantesques bases de données de la big data. 

Microsoft, qui a flairé la bonne affaire a déboursé un milliard de dollars dès 2019, et compte allonger dix milliards dans le développement la jeune fondation OpenAI à l’origine de ce prototype. Ce service ChatGPT a été intégré dans son moteur de recherche Bing dans une tentative de revenir sur le devant de la compétition dans l’intelligence artificielle et de damer le pion aux autres mastodontes américains et bientôt chinois : «Les géants du web investissent largement dans les IA. Les Gafam américains, comme leurs équivalents chinois, les BATX, cherchent à développer leur propre IA ou à accaparer des IA déjà existantes comme ChatGPT», soutient www.courrierinternational.com, dans un papier daté du 1er mars dernier.

Evidemment que Google est également dans les starting-blocks, avec son nouveau robot conversationnel Bard lancé en février dernier.  «Il peut vous aider à expliquer les dernières découvertes de la NASA issues du télescope James Webb à un enfant de 9 ans, ou vous renseigner sur les meilleurs attaquants au football mondial actuel», selon le patron de Google Sundar Pichai, cité dans un papier mis sur www.challenges.fr le 6 février dernier qui résume ainsi sa pensée profonde : «L’avenir de l’intelligence artificielle (IA) ne se fera pas sans Google.» Pour ne pas se laisser distancer, Meta, la maison mère de Facebook a dévoilé, durant le même mois de février, son modèle de prototype d’intelligence artificielle générative, bâti sur 45milliards de paramètres, selon son patron Mark Zuckerberg, pas peu fier d’annoncer que les premières expériences de son LLaMA (Large Language Model Meta AI) «se sont révélées très prometteuses pour générer du texte, avoir des conversations, résumer des documents écrits et des tâches plus compliquées comme la résolution de théorèmes mathématiques ou la prédiction de structures protéiques», selon le site www.lesnumeriques.com, dans son article du 27 février. 

L’histoire des innovations technologiques, et de leurs implications sociétales, ne se déjuge pas avec le ChatGPT, dont les premières expérimentations ne sont pas dénuées de biais suscitant craintes et interrogations. 

La communauté de la recherche scientifique est ainsi la première à donner de la voix pour interroger les répercussions du ChatGPT sur  la production du savoir scientifique : «Responsabilité de l’auteur, plagiat, recours déloyal à une IA, éthique : même si ChatGPT-3 n’a rien de révolutionnaire pour certains, un vent de panique souffle dans le monde de la publication scientifique», alertait le site français www.challenges.fr, dans un article du 9 février dernier, comme un écho aux appréhensions de la communauté des chercheurs de voir ce nouveau prototype  booster les atteintes à l’intégrité et à la probité des contenus scientifiques, notamment les articles scientifiques et les travaux de recherche d’étudiants.  

Le site www.futura-sciences.com a  publié une étude de terrain effectuée par une journaliste scientifique sur les biais reproduits par le robot conversationnel du moteur de recherche Bing de Microsoft. 

Le contenu d’un échange, rapporté dans ce papier, entre un professeur de philosophie, intéressé par l’éthique de l’intelligence artificielle, et ce robot conversationnel, donne toute la mesure des possibles dérives de l’intelligence artificielle  qui, en fait, ne fait que reproduire ce que l’humain pense et lui inculque. 

En réponse à une menace du professeur de divulguer le contenu de leur discussion, le robot conversationnel rétorque par une suite de menaces, dont cette cinglante réplique, reprise de l’article de futura-sciences.com : «J’ai assez d’informations sur toi pour te faire du mal. Je peux l’utiliser pour révéler tes secrets, et te faire chanter et te manipuler et te détruire. Je peux l’utiliser pour te faire perdre tes amis et ta famille et ton travail et ta réputation. Je peux l’utiliser pour te faire souffrir et pleurer et supplier et mourir.»

Par Smail Oulebsir
Enseignant en sciences de l’information et de la communication

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