Indigence culturelle et nouvelles générations

10/01/2023 mis à jour: 08:05
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Il ne fait pas de doute que le secteur des arts et du cinéma connaît depuis de nombreuses années une léthargie persistante et durable que rien ne semble venir atténuer au grand dam des amateurs et des jeunes générations. Fort de ce constat, le président de la République vient, à la faveur du dernier Conseil des ministres, de donner des instructions en vue de la création d’un lycée pilote des arts, dont l’objectif «est de combler le vide culturel et artistique chez les générations montantes». Le président Tebboune a ainsi mis en valeur la recherche de la consolidation de nos «fondements culturels et artistiques face aux défis». Ce dernier cherche, à travers ce projet, à assurer une base de savoir dans les domaines du théâtre, du cinéma et de la musique dont notre pays possède des références standards connus et reconnus au niveau régional et international. Il a insisté sur «le rôle important et déterminant du cinéma qui dépasse le simple divertissement» ; un constat bienvenu, puisque les observateurs et les professionnels du septième art se plaignent que l’Etat tourne le dos à ce qui peut être un miroir de la société algérienne dans sa diversité. Nous savons combien le cinéma occidental, particulièrement américain, a agi depuis des lustres sur la déculturation des sociétés, particulièrement celles des pays du tiers-monde à qui il a été puissamment inculqué des valeurs en décalage du creuset culturel et sociologique dans lequel ils ont évolué.

Le cinéma algérien est né et s’est abreuvé du combat libérateur, même s’il y a survécu à un état embryonnaire. Cette même lutte héroïque est venue à l’indépendance conditionner la mise en chantier et les créations de nombreux films et longs métrages sur les conditions et les péripéties de ces actes glorieux et des sacrifices nombreux au champ d’honneur pour les restituer et les pérenniser dans la mémoire collective. L’un d’entre eux, La Bataille d’Alger sera couronné en 1966 du prix du Lion d’or au Festival de Venise, tandis que la sortie épique de Chroniques des années de braise rafle en 1975 la Palme d’or du Festival de Cannes. Puis il y eut une période où le cinéma national s’est orienté vers les thèmes sociaux dénonciateur d’un certain mal-être d’une jeunesse désabusée (déjà) et revendicative de libre expression et de progrès. Les productions de cette courte période prolifique ont su surmonter les soupçons du pouvoir sur une prétendue «nocivité» équivoque qui viendrait lancer des signaux sur le mécontentement des citoyens de leur condition. Malgré cette ambiguïté, il y eut tout de même de belles réussites cinématographiques comme le long métrage Omar Gatlato ou encore Un toit, une famille, Leila et les autres, Nahla qui dénoncent leurs conditions de vie difficiles ou les maux sociétaux peu ou pas du tout pris en ligne de compte par les gouvernements successifs. Ce cinéma à la tendance contestataire et dénonciatrice pour l’époque du parti unique a été relativement admis et toléré, alors que la vie politique était sclérosée et la société civile inexistante. Des films «volés» à la censure implacable des années 1970 et 1980, réalisés dans des conditions difficiles mais avec détermination, amour et talent. Ces pionniers du cinéma ont eu beaucoup de mérite en injectant dans la société algérienne un chouia de vie culturelle bien que les productions étaient de moins en moins financées par l’Etat sous l’étreinte à l’époque de la pression des institutions financières internationales et des effets de la dette fiscale. Ayant toujours soupçonnés les productions cinématographiques nationales de toutes les turpitudes, tous les vices et toutes les déviances politiques réfractaires autres que celles liées à la propagande officielle, le pouvoir livrera ce secteur à l’indigence financière et à l’archaïsme. Il ne lui consacrera aucun environnement législatif, réglementaire, culturel et financier, preuve de l’inexistence d’un projet soutenu par une réelle volonté politique. Cela a valu aux cinéastes de talent que l’Algérie renferme l’exil chiche ou l’exode intérieur, solitaire et tari de toute création.

L’irruption inattendue du lycée pilote des arts prélude à un Baccalauréat du même nom est perçue par les professionnels et ceux attachés aux résurgences culturelles de la même dimension que les sillons atteint par la sécheresse pluridécennale du septième art seront difficiles à irriguer pour se mettre à verdir un jour au plus beau printemps.

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