Yahia Mouzahem est le réalisateur du feuilleton El Berani (L’étranger) diffusé ce mois du ramadan par la chaîne Echourouk TV. El Berrani a été le feuilleton le plus vu sur la plateforme youtube avec plus de 50 millions de vues en trois semaines, secondé de Doumou’e loulia (Les larmes de la femme), diffusé par Samira TV, et El rihane (Le pari), par Ennahar TV, et Hdach hdach, par Echourouk TV. Ecrit par Yahia Mouzahem avec l’appui de Yousra Mouloua et Ahmed Izzet, El Berani raconte l’histoire de la famille Qali’i, sortie de la misère grâce à des trafics en tous genres, dont celui de la drogue.
Omar (Mustapha Laribi) a été adopté par la famille Qali’i. Ami d’enfance de Sidi Ahmed (Khaled Benaïssa), il le pousse vers la voie de la criminalité et de l’argent facile. Mouh (Karim Derradji), qui gère une agence de vente de voitures, n’accepte pas les combines de ses deux frères, surtout après avoir provoqué la mort d’une jeune fille par overdose. Idem pour Fatima (Amina Dahmane), enseignante à l’université, qui veut retrouver une vie ordinaire avec l’espoir d’épouser Driss (Ahmed Meddah), chauffeur de son frère Sid Ahmed. Vivre dans une belle villa n’est pas signe de bonheur. La mère Malika (Aïda Ababsa) savoure, elle, la vie de luxure, alors que le père Lakhdar (Boualem Benani) refuse «l’argent illicite» et vit seul dans un appartement dans un quartier populaire éloigné de sa famille. Najoua (Yasmine Amari), qui n’a jamais aimé son époux Sid Ahmed, cherche à fuir le pays en amenant sa fille Mya (Meriem Razkallah). El Berrani est coproduit par Mycène et Red M Group.
Propos recueillis par Fayçal Métaoui
On s’attendait à une suite de Edama, diffusé durant le ramadan 2023 par l’ENTV, mais là vous avez opté pour une autre histoire, celle de la famille Qali’i dans El Berani, un feuilleton de 20 épisodes. Comment est né ce projet ?
Le projet de ce feuilleton remonte à 2016. A l’époque, j’avais signé un contrat avec une société avec l’idée de réaliser. Mais, le projet n’a pas abouti. La société a repris mon histoire et en fait un autre feuilleton. J’étais déçu en pensant que le projet ne verrait jamais le jour. Certaines contraintes nous ont empêché de réaliser la seconde saison de Edama. J’ai proposé à notre partenaire Red M Group de produire El Berani qui à l’origine portait le titre de El sajine (Le prisonnier).
El Berani est d’abord une histoire d’une famille composée de trois frères et d’une sœur avec des destinées différentes. Des frères en conflit avec une mère et un père ayant choisi des voies opposées dans la vie…
El Berani est d’abord une histoire de vengeance (une revenge story) construite sur celle de Omar. Omar vivait dans le même quartier pauvre que la famille Qali’i. Il souffrait de la maltraitance de son père. Un père ivrogne qui le frappait à chaque fois. Il rêvait de devenir membre de la famille de Sid Ahmed. Souffrant de troubles psychiatriques, il a brûlé la maison avec sa famille à l’intérieur. Il a été ensuite adopté par la famille de Sidi Ahmed qui était son ami. Il a eu une mauvaise influence sur lui, le poussant vers la voie du trafic de drogue. Cet intrus a changé la vie de Sid Ahmed après avoir constaté qu’il n’était pas traité comme il le voulait au sein de cette famille d’adoption. A la fin, Sid Ahmed a compris qu’il n’avait pas choisi la voie qu’il voulait ou la vie qu’il voulait. Cela a entraîné la destruction de la famille.
Après la diffusion des premiers épisodes d’El Berani, il y a des réactions de colère appelant à l’arrêt de sa diffusion. Comment expliquez-vous ces réactions ?
J’ai vu que la plupart des réactions n’étaient pas logiques. Certains voulaient plus briser le feuilleton que relayer l’avis du public sur El Berani. Des personnes ont provoqué cette campagne de dénigrement sur les réseaux sociaux pour obtenir la suspension de la diffusion du feuilleton.
Lesquelles ?
Des gens de la concurrence d’autres feuilletons. D’autres ont cultivé des adversités contre des personnes faisant partie de nos équipes, ce qui explique leur attitude...
Même en 2023, le feuilleton Edama a été attaqué dès les premiers épisodes...
En 2023, les choses étaient différentes. Les gens ne s’attendaient pas au succès du feuilleton Edama. Dès qu’ils ont constaté que Edama enregistrait un record d’audience avec un nombre élevé de vues sur Youtube, ils ont décidé de l’attaquer. Cette année, la concurrence était rude dans le drama. Quatre sociétés de production monopolisent le secteur audiovisuel en Algérie. Certains se sont sentis menacés par notre entrée sur le marché avec les sociétés Red M Group et Mycène. Ils ont donc décidé de passer à l’offensive.
Avez-vous tout gardé dans le feuilleton diffusé pendant trois semaines. N’êtes- vous pas obligé de passer par l’autocensure ?
Si. Nous avons supprimé certaines scènes après les attaques sur les réseaux sociaux. Nous avons essayé d’atténuer des actions qui pouvaient être un peu violentes. Pour moi, il n’y avait pas de violence. Il fallait juste éviter toute mauvaise interprétation ou une éventuelle exploitation de ces scènes pour nous critiquer dans les pages facebook.
Pensez-vous qu’on cherche à voir «une société idéale» dans le drama algérien. Une société sans violence, sans trafic de drogue... Les réactions d’ordre moral sont récurrentes chaque mois de ramadan en Algérie…
Hier, j’ai pris des photos avec des enfants qui ont adoré le feuilleton. J’ai reçu des messages de beaucoup de familles, de femmes, de jeunes filles, de personnes âgées... Je respecte le public et le public me respecte. Il n’existe pas de problème avec le public. Ceux qui veulent voir «la société idéale» dans le drama algérien sont parfois les mêmes qui fréquentent les lieux malfaisants. Je les connais tous mais je n’en dirai pas plus (...) Nous abordons la question du trafic de drogue parce que nous pensons qu’il constitue un grand danger pour la société algérienne et pour la sécurité nationale.
Avez-vous pensé à une seconde saison pour El Berani ?
Pour moi, l’histoire n’est pas terminée. La fin de la première saison était ouverte. Les personnages seront développés dans la partie 2 du feuilleton. Le père âami Lakhdar ne perdra pas la vie (après avoir été poignardé par un malfrat lors du dernier épisode). Idem pour l’épouse de l’officier (Mina Lachter). Fatima, la sœur, aura plus d’espace dans la seconde saison. Le conflit entre le mal et le bien va évoluer. Le personnage de Sid Ahmed va changer, va découvrir sa propre personne. El Berani sera dans la seconde saison une histoire plus familiale. Le public connaît déjà tous les personnages. Nous allons développer l’histoire de la relation entre Sid Ahmed et Omar avec El Ghoul (un baron de drogues joué par Slimane Benaïssa). L’histoire est déjà écrite et je souhaite que Echourouk TV va nous accompagner pour la seconde saison. Nous n’allons pas tuer tous les personnages comme dans la série Game of Thrones (développée sur 8 saisons à partir de 2011). Nous ne voulons pas faire un mélodrame non plus.
El Berani est construit sur l’idée de la tragédie grecque avec la lutte entre frères. Pourquoi ce choix ?
Nous avons grandi en lisant ces histoires. El Berani évoque l’histoire d’une famille et les différends entre frères et sœurs. Dans toutes les familles, il y a parfois de petits problèmes entre les membres. Des frères ou des sœurs sont devenus ennemis parce que les conflits ont été mal gérés.
El Berani porte aussi une critique du rôle des parents…
Le feuilleton s’interroge sur le rôle des papas et des mamans en société. Des mères ne s’interrogent pas d’où leurs enfants ramènent de l’argent, savent qu’ils volent et qu’ils agressent des gens sans réagir. Mais dès que ces enfants sont emprisonnés, elles commencent à pleurer et à réclamer justice. Elles auraient dû empêcher que leurs enfants tombent dans la criminalité, les dénoncer au besoin à la police, ne pas rester insensibles. Quel est donc le rapport entre une mère et son enfant ? S’agit-il d’un amour absolu ? D’un amour avec esprit ? Parfois, je n’ai pas de réponses aux questions. Il existe parfois au sein des familles des petites haines à l’égard des aspects physiques des uns et des autres, on préfère les plus beaux et on écarte les moches. Faut-il que les moins beaux se suicident ?
Vous avez déclaré avoir traité 50% du scénario d’El Berrani. Pourquoi ?
Nous n’avons pas eu le temps nécessaire pour traiter toute l’histoire. Nous avons fait appel à une seconde équipe (dirigée par Mohamed Benabdallah) pour être au rendez-vous. J’aime bien travailler sur le graphisme et sur tout ce qui est architectural dans les décors de mes feuilletons. Parfois, on doit faire quelques sacrifices pour garder les scènes essentielles.
Après le drama, avez vous envie de revenir à la comédie d’autant plus que vous avez réalisé des séries telles que Timoucha ?
Oui, j’ai bien envie de revenir à la comédie. J’aime bien rire. J’ai un projet qui porte le titre de Zagvolt avec des épisodes passant d’une époque à une autre. Le premier épisode se déroule en Palestine à l’époque de Salah Ad-Dine Al-Ayyûbi (12e siècle).
Le drama algérien possède-t-il tous les atouts pour pénétrer le marché arabe des feuilletons et séries déjà très concurrentielles ?
Le drama algérien actuel peut facilement trouver sa place dans le marché arabe de télévision compte tenu des qualités techniques et artistiques qu’il recèle. Il existe de bons réalisateurs et de bons comédiens et les scénarios sont de bonne qualité. Le niveau technique s’est amélioré par rapport aux années précédentes. Les sujets traités par le drama algérien sont variés et profonds. Il existe en Algérie aussi, une variété incroyable de décors naturels. On peut donc raconter des centaines d’histoires dans notre drama. Certains évoquent la langue parlée en Algérie. Pour moi, cela n’a jamais été un problème. Le seul problème qui existait était lié au niveau artistique et technique de nos dramas. Aujourd’hui, ces écueils ont été dépassés. Le seul problème qui persiste est lié au temps de tournage.
Comment ?
Il est important de commencer la réalisation des feuilletons bien avant le ramadan pour mieux préparer et pour mieux s’intéresser à tous les détails de l’œuvre. La qualité baisse avec la précipitation dans l’exécution des travaux. Plus on s’intéresse aux détails, plus le travail est soigné. Si nous aurons plus de temps dans la réalisation, nous pourrons facilement investir l’écran arabe.