Invité, mardi 9 mai, à la bibliothèque principale de la lecture Mustapha Nettour de la ville de Constantine pour une rencontre résumant ses recherches sur l’histoire de Hiziya, sous le thème «L’histoire de Hiziya du point de vue romancier. L’imaginaire populaire dans le développement de la narration».
Le célèbre écrivain, romancier et critique littéraire Waciny Laredj a révélé que ses nombreux et longs voyages dans des régions du Sud à la recherche de la vérité tant occultée sur la mort de cette jeune femme, qui a tant inspiré poètes, chanteurs écrivains, lui ont permis de conclure que Hiziya qui avait vécu entre 1855 et 1878, n’a pas connu une mort naturelle, mais elle serait morte empoisonnée.
Elle avait à peine 23 ans. «J’ai longtemps été fasciné par le poème de Mohamed Benguitoune, dans lequel il décrit une femme d’une grande beauté. J’ai écouté une cinquantaine de fois et analysé toutes les chansons interprétées par Abdelhamid Ababsa, Khelifi Ahmed, Rabah Deriassa, mais aussi des chanteurs contemporains, et j’ai constaté que cinq vers ont été amputés de ce poème parce qu’ils décrivaient le corps et la poitrine de Hiziya, ce que j’ai trouvé inacceptable, puisqu’il s’agissait de ghazal afif, c’est-à-dire une poésie amoureuse galante et non vulgaire, et puis Mohamed Benguitoune disait la vérité sans exagération, alors pourquoi cette forme de censure ?», s’est interrogé Waciny Laredj, en répondant aux questions de l’écrivain et poète constantinois Mourad Boukerzaza, animateur de la rencontre.
«Ce fait m’a poussé à chercher si c’est vraiment Saïd, cousin et amoureux de Hiziya qui l’a décrite à Benguitoune pour que ce dernier lui compose son fameux poème. J’ai émis l’hypothèse que c’était le poète qui était amoureux de Hiziya et que Said n’était qu’un masque, surtout que lors de mon voyage à Sidi Khaled, dans la wilaya de Biskra, j’ai constaté que Saïd n’avait pas de tombe au cimetière des Douaouda où fut enterrée Hiziya juste à côté de sa mère et non loin du cheikh de la tribu», poursuit-il. «Malheureusement, j’ai découvert par la suite que Saïd avait des descendants et l’hypothèse est tombée à l’eau me donnant des regrets amers», note-t-il.
Cependant, la quête de la vérité a toujours été présente dans l’esprit de l’écrivain qui décidera de mener un véritable périple entre Biskra, Djelfa, Bou Saada et d’autres régions du Sud où avait vécu la tribu de Hiziya dans l’espoir de rencontrer des personnes parmi les descendants des membres de cette tribu qui pourraient lui apporter des témoignages ou des faits rapportés par leurs parents.
Un voyage à la recherche de la vérité
«J’étais à la recherche de réponses à mes questionnements sur la mort de Hiziya, surtout que Benguitoune n’a pas détaillé dans son poème à ce sujet, puis sa mort subite demeure encore une énigme ; j’ai pu rencontrer de vieilles dames de la tribu des Douaouda qui m’ont révélé pas mal de choses sur ce qui est resté un secret pendant des décennies et j’ai pu conclure que Hiziya serait morte empoisonnée», a révélé Waciny Laredj devant une assistance attentive.
Les indices qui réconfortent cette thèse sont à trouver dans la grande rivalité entre la tribu des Douaouda, à laquelle appartenait Hiziya et celle des Bengana, en cette période marquée par l’occupation française, surtout que les Bengana, voulaient asseoir leur domination sur les autres tribus à travers leur soutien aux colonisateurs.
Puis, il ne faut pas oublier que Hiziya a été mariée contre sa volonté à un dignitaire de la tribu des Bengana, mais ce mariage a tourné court, ce qui a laissé une certaine animosité entre les deux tribus. Waciny a ajouté qu’il mène encore un long voyage d’investigation à la recherche d’autres faits qui pourront constituer la trame de son nouveau roman en préparation qui devra être achevé en 2024.
Cette expérience d’investigation n’est pas la première pour l’auteur, puisqu’il a rappelé avoir déjà vécu une histoire pareille avec la célèbre femme de lettres libano-palestinienne May Ziadé (1886-1941). Waciny Laredj a rappelé, lors de son intervention, qu’il était parti d’une simple phrase de cette grande dame de la littérature arabe qui avait dit : «J’espère que quelqu’un viendra après ma mort pour me rendre justice.»
Une phrase qui a sonné dans l’esprit de l’écrivain. «J’ai décidé de voyager jusqu’à sa maison natale à Nazareth en Palestine et j’ai mené une recherche sur tout ce qui a touché à sa vie personnelle, familiale et amoureuse et les circonstances qui l’ont menée à l’asile psychiatrique dans lequel des membres de sa famille l’ont jetée pour s’emparer de son héritage et ses biens, avant d’être libérée grâce à l’intervention de la famille royale d’Égypte. Tout cela avait donné un roman paru en 2017 sous le titre May les nuits d’Isis Copia, a-t-il noté.
Comme pour May Ziadé, l’histoire que Waciny Laredj a décidé de consacrer à Hiziya promet d’être passionnante, comme elle l’a déjà été dans des œuvres précédentes. On rappelle que la belle Hiziya, fille d’Ahmed Ben El Bey, de la famille de Bouakkaz, de la tribu des Douaouda à Sidi Khaled avait déjà inspiré le poète palestinien Azzedine El Manacera qui lui a consacré un poème en 1986, mais aussi la romancière algérienne Maïssa Bey dans son roman Haïzia publié en 2015, ainsi que l’écrivain Lazhari Labter qui a publié en 2017 le roman Hiziya Princesse d’amour des Ziban et en 2018, un ouvrage collectif intitulé Hiziya mon amour. En 1977, l’histoire a été adaptée à la télévision dans un magnifique long métrage réalisé par Mohamed Hazourli. Un film disponible sur Youtube et qu’il faut absolument voir, notamment par la jeune génération.