Les regards du monde sont tournés depuis lundi vers Moscou où le président chinois, Xi Jinping effectue une visite d Etat de trois jours. Vladimir Poutine reçoit celui que l on présente comme son plus puissant et décisif soutien potentiel dans le conflit ouvert avec l'Occident, à la suite de la guerre lancée il y a une année en Ukraine.
Pour leur part, les Occidentaux scrutent le moindre fait de la visite pour tenter d y déceler des indications sur les intentions réelles du maître de Pékin sur la suite des événements.
D évidence, dans un sens ou dans un autre, un mastodonte de la mesure de la Chine, qui plus est liée par une profondeur historique et un dense partenariat avec la Russie, ne peut que peser dans l évolution du conflit. Xi Jinping à Moscou, c est probablement l événement diplomatique le plus important depuis le déclenchement de la guerre, il y a un peu plus d une année.
M. Xi a affiché hier ses dispositions, juste avant les entretiens qui devaient le réunir avec Vladimir Poutine dans la journée. Il a ainsi souligné que son déplacement répondait à « une logique historique», affirmant face au monde : «Nous sommes les plus grandes puissances voisines et des partenaires stratégiques à tous les niveaux.»
Dans la foulée, il invitera le président russe, concerné depuis une semaine par un mandat d arrêt international émis par la Cour pénale internationale (CPI) pour «crime de guerre» en Ukraine, à lui rendre visite en Chine. Il manifeste ainsi tout le cas qu il fait de la sanction décidée par la juridiction internationale.
«Point culminant de l'histoire»
Le ton est donc donné et les primes messages passés. En face, Vladimir Poutine à son tour ne tarit pas de marques de satisfaction à l égard de ce que sont les relations entre les deux pays. Elles ont, selon lui, «atteint le point culminant de leur histoire». Plus fortes que jamais. En pleine tension mondiale, générée par la guerre en Ukraine, les deux puissances affichent presque ostentatoirement la pleine santé de leur tandem et leur volonté commune de le consolider face à l «hégémonisme» unipolaire de l Occident.
Même si la Chine de Xi n affiche pas un soutien franc à la Russie dans sa charge guerrière contre l Ukraine, elle a dès le début du conflit invité l Occident à prendre en compte les préoccupations sécuritaires du Kremlin face aux élans expansionnistes de l Otan. Une position «équilibrée» comme saluée par le Kremlin, et ce n est bien entendu pas l avis des Occidentaux, Américains en premier.
Le secrétaire d Etat américain, Antony Blinken, a accusé, en février dernier, la Chine d étudier la possibilité de fournir un soutien militaire à la Russie, en appui à son intervention en Ukraine.
Ces déclarations se sont mues en menaces de sanctions une semaine plus tard, lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères du G20 à New Delhi (Inde), et à l issue de laquelle le représentant du gouvernement chinois s était joint à son homologue russe pour s opposer à la signature d un communiqué commun condamnant «l agression contre l Ukraine».
XI en homme de paix
Tous les démentis présentés par Pékin jusqu ici quant à ses intentions de fournir du soutien militaire à son allié russe ne suffisent pas à calmer les craintes occidentales. Celles-ci semblent surtout alimentées, estiment des observateurs, par le rôle de plus en plus agissant de la Chine en tant que médiateur intéressé dans la résolution des conflits. Ce qui accroîtrait son influence diplomatique en le contexte.
En février dernier, et à l occasion du premier anniversaire du déclenchement de «l opération spéciale en Ukraine», Pékin avait publié une proposition de paix en 12 points, qui est en fait une déclinaison plus détaillée de sa position initiale sur le conflit. «Respecter la souveraineté des Etats», préconise la proposition, mais aussi «ne pas rechercher la sécurité d un pays au détriment de celle des autres, ni garantir la sécurité d une région par le renforcement, voire l expansion des blocs militaires».
Une offre accueillie avec beaucoup de scepticisme en Occident, voire carrément rejetée comme un non-événement qui indique que la Chine a irrémédiablement choisi son camp dans le conflit. Expéditif, le conseiller à la Sécurité nationale de la Maison-Blanche, Jake Sullivan, a ainsi estimé sur un plateau de CNN, que ce plan aurait pu se réduire au premier de ses douze points : «Le respect de la souveraineté de toutes les nations», soit se mettre du côté de tous ceux qui condamnent «l agression contre l Ukraine».
L exercice de médiation diplomatique vient pourtant de réussir, certes à une autre échelle, à la Chine. Le 10 mars dernier, à l issue d intensifs pourparlers engagés à Pékin entre les dirigeants des deux pays, l Iran et l Arabie Saoudite ont pu s entendre sur le rétablissement de leurs relations diplomatiques après plus de 7 ans de rupture.
Dans un communiqué rendu public à l issue de ce coup gagnant diplomatique, «les trois pays (Iran, Arabie Saoudite, Chine) déclarent leur ferme volonté de déployer tous les efforts pour renforcer la paix et la sécurité régionales et internationales».
Hier, et au moment où les deux dirigeants russe et chinois entamaient leur discussions au Kremlin, le secrétaire général de l'Otan, Jens Stoltenberg, a jugé important de déclarer à partir du siège de l'organisation à Bruxelles, que «la Chine doit comprendre le point de vue de l'Ukraine et dialoguer directement avec le président Zelensky», si elle voulait que sa volonté de paix soit prise au sérieux.
Tout en renouvelant les craintes de voir Pékin soutenir militairement le Kremlin, le patron de l'Otan rappelle que «le nouveau concept stratégique adopté par l Alliance au sommet de Madrid en juin 2022 identifie la Russie comme la menace la plus importante pour notre sécurité, avec le terrorisme, et indique clairement que la Chine défie nos intérêts, notre sécurité et nos valeurs».
Vladimir Poutine, lui, écrivait il y a quelques jours, à la veille directe de la visite de son «ami» Xi Jinping à Moscou, que «la Russie est ouverte à un règlement de la crise ukrainienne par des moyens politico-diplomatiques». Entendre seulement sous la conduite et l'impulsion du «rôle constructif» de la Chine.
L’économie, l'autre guerre
Les relations russo-chinoises ont déjà fortement pesé dans l'évolution du conflit tout au long de sa première année, et dans la direction qui n'agrée pas les Occidentaux. Cernée par l'action diplomatique et acculée par une batterie sans précédent de sanctions économiques, européennes et américaines notamment, la Russie a trouvé en la Chine un allié décisif pour maintenir le fonctionnement de son économie.
Moscou a dû réorienter son économie vers Pékin qui, en réponse, a substantiellement augmenté ses importations en hydrocarbures russes. Un gagnant-gagnant qui permet au géant asiatique de sécuriser ses approvisionnements en énergie dans le désordre généré par le conflit, et à la Russie de contourner l'embargo sur ses importations. Moscou a pu également compenser son programme d'importation de biens européens, compromis par la guerre et ses conséquences, en trouvant un marché en Chine, notamment pour les véhicules et la technologie.
Ainsi, les échanges commerciaux entre les deux pays ont connu une hausse de 34 % sur l'année, atteignant en 2022 un montant record de 190 milliards de dollars. «Les entreprises russes sont en mesure de répondre à la demande croissante de la Chine en énergie», a déclaré hier Vladimir Poutine lors de pourparlers avec Xi Jinping au Kremlin.
Selon le maître de Moscou, l'objectif est de livrer à la Chine au moins 98 milliards de mètres cubes de gaz russe et 100 millions de tonnes de GNL russe d'ici 2030. C'est dire si le vent est en poupe pour le duo qui veut affirmer son existence en tant que bloc, un pôle capable de fédérer autour de lui et faire contrepoids à «l'Ordre occidental».