Le secteur de la viande rouge en Algérie fait face à des difficultés paralysantes et une performance insatisfaisante. Les objectifs de la filière ne sont pas atteints et demeurent décevants. C’est la conclusion principale de l’audit lancé par la cours des comptes et annoncé dans son dernier rapport relatif au programme public visant la restructuration, le développement et la régulation de la filière et du marché des viandes rouges.
En effet, le rapport de la Cour des Comptes adressé au Président de la République, Abdelmadjid Tebboune, fait état de la non-atteinte des objectifs de ce plan de relance de la filière viande rouge, 12 ans après son lancement. “ Les travaux d’audit menés par la Cour font apparaitre que si dans ses volets relatifs à la restructuration de la filière, renforcement des capacités financières de la nouvelle société et réalisation du plan d’investissement, le programme a été quasiment mené à terme à fin 2022, il n’en demeure pas moins que les objectifs stratégiques qui lui sont assignés, à savoir le développement intégré de l’amont et de l’aval de la production des viandes rouges, la régulation du marché et le renforcement du contrôle sanitaire, ne sont pas atteints. Nonobstant, les lenteurs qui ont caractérisées l’exécution du plan d’investissement dont les délais devaient s’étaler de 2010 à 2014 et l’accroissement du coût de sa réalisation, les résultats obtenus en termes de développement des capacités de production, de traitement et de distribution des viandes rouges de la nouvelle société sont loin des projections établies dans le business plan”, lit-on dans ce rapport de plus de 450 pages.
ALVIAR pointée du doigt
Ce document remet en cause les actions menées par ALVIAR s’appuyant sur des chiffres liés à la consommation de la viande rouge en Algérie. Sur ce point, la Cour des Comptes souligne que la production de viande rouge a atteint près de 537 000 tonnes (63% de viande ovine, 27% bovine, 7% caprine et 3% cameline), assurant une disponibilité moyenne de 12,04 Kg/habitant/an. Un chiffre qui reste très loin de la moyenne internationale établie à 34 Kg/habitant/an. Il est à signaler que cette filière, regroupant le bovin, ovin, caprin et camelin, est classée la première en terme de chiffre d’affaires réalisé par rapport aux autres filières du secteur agricole. En 2021, elle a réalisé un chiffre d’affaires de près de 700 Mrds DA (à raison de 1 300 DA/KG). Cela équivaut à près de 5 Mrds $, représentant plus de 17% du chiffre d’affaires du secteur agricole.
En effet, initié en 2010 par le ministère de l'Agriculture et du Développement Rural, ce programme avait pour mission le développement intégré de l'amont et de l'aval de la filière des viandes rouges, ainsi que la régulation du marché correspondant. Parmi ses objectifs fixés également, on trouve la concentration sur la restructuration du portefeuille du secteur public de la filière des viandes rouges. Cependant, le programme n’a pas réussi à atteindre ses objectifs. Encore pire, faute d’une mise en œuvre d’un plan de développement de l’élevage, l’effectif du cheptel détenu par l’entreprise « Algérienne des viandes rouges ALVIAR », tout au long des années 2010 à 2021, n’a pas dépassé 5 à 6% des prévisions arrêtées. “ Actuellement, le secteur public de la filière des viandes rouges, représenté par ALVIAR et ses démembrements est marqué par des difficultés paralysantes et une faible performance, remettant en cause la viabilité économique du programme”, souligne la Cour des Comptes dans son rapport.
Viandes rouges: une stratégie inefficace
De plus, les prestations d’abattage réalisées depuis la mise en exploitation des nouvelles infrastructures, représentées notamment par les trois complexes régionaux de viande rouge (CRVRs) traduisent un taux d’utilisation des capacités d’abattage inférieur à 2% sur la période allant de 2016 à 2021. Selon la Cour de Comptes, cela remet en question l’efficacité de la stratégie adoptée par ce programme qui n’a pas abouti et a représenté un échec flagrant menant à des répercussions sur le marché.
Le rapport souligne que cette situation était prévisible, voire inéluctable en raison de la faiblesse des capacités managériales et de la gestion administrative inappropriée des processus économiques. L'erreur a résidé dans la focalisation sur la dépense plutôt que sur la création de valeur, ainsi que dans le manque d'accompagnement, de suivi et de management stratégique, ainsi que dans l'exercice de l'autorité vétérinaire. La cours des Comptes, ne va pas avec le dos de la cuillère quant au rôle du Conseil interprofessionnel de la filière des viandes rouges. Dans son rapport, cette institution fait la comparaison entre le rôle important que devrait jouer ce conseil et son faible impact sur le terrain. “ A sa décharge, il est très diminué sur le plan de l’autorité opérationnelle en raison de l’absence de transparence, de la confiance et d’une ligne fédératrice des principaux acteurs concernés (institutionnels, opérateurs économiques, société civile)”, souligne la Cour de Comptes dans son document.
Les réponses d’ALVIAR
En réaction au rapport de la Cour des comptes, l'entreprise algérienne des Viandes Rouges (ALVIAR) expose les principales raisons qui ont entravé la réalisation des objectifs fixés. La réponse se penche particulièrement sur les aspects opérationnels, détaillant les efforts déployés à partir de 2021 pour mettre en œuvre le plan d'action gouvernemental. Cependant, le document met en lumière plusieurs obstacles, à la fois internes et externes, qui ont impacté la performance de l'entreprise.
Un premier point critique concerne les fermes pilotes rattachées à ALVIAR. L'objectif était de relancer l'élevage et la production fourragère pour approvisionner les complexes régionaux en cheptels. Néanmoins, ces fermes font face à des défis majeurs tels que le manque de ressources hydriques, la dégradation des infrastructures, des litiges fonciers, et un passif financier important. Les partenariats public/privé, censés dynamiser ces fermes, n'ont pas été réalisés, entraînant un blocage dans la gestion et la modification de leurs statuts.
Par ailleurs, les complexes régionaux des viandes rouges, prévus pour approvisionner en viande les différentes régions, ont connu des retards dus au manque d'encadrement du processus et à des problèmes de réalisation et de livraison. Un partenariat triangulaire lancé en 2021 n'a pas eu le succès escompté, en partie en raison d'un rôle insuffisant des organisations professionnelles dans la sensibilisation et la vulgarisation. De plus, ces complexes souffrent de diverses contraintes, telles que leur éloignement des grands centres de consommation, des coûts élevés, et un contrôle vétérinaire strict.
Une autre problématique soulevée concerne les capacités de gestion insuffisantes de l'Algérienne des Viandes Rouges. Les premières années ont été consacrées à la réalisation des complexes régionaux, mais à partir de 2021, une révision de la stratégie managériale a été amorcée pour s'adapter aux objectifs de production et de commercialisation des viandes rouges. Enfin, ALVIAR souligne la marginalisation de l'entreprise dans la régulation du marché des viandes rouges, attribuable à l'absence de soutien financier et de licences exclusives d'importation. Malgré ces défis, ALVIAR a initié en 2022 des efforts de relance, notamment la réhabilitation des fermes pilotes.
Face à ces constats, l’entreprise recommande, pour relancer son activité, la nécessité de revoir la filière des viandes rouges, un meilleur encadrement par la tutelle, des accords commerciaux avec les éleveurs, des ajustements fiscaux, et une orientation du soutien financier en aval, en subventionnant directement le prix de la viande pour les consommateurs.
Une pénurie de viandes rouge à l’horizon
Par ailleurs, une pénurie déstabilisante est prévue par les spécialistes du secteur. Le président du Conseil Professionnel Commun de la filière de viande rouge, Miloud Bouadis, a lancé un signal d’alerte à propos de l’indisponibilité imminente de viande rouge, affectant à la fois la quantité de viande disponible et les prix d'achat. Ces derniers, déjà en hausse depuis quelques mois prévoient d’augmenter davantage à cause du déséquilibre entre l'offre et la demande sur le marché.
Les raisons de cette pénurie résident dans le manque d’autorisations d’importations de viande de veaux destinés à l’élevage, à l’engraissement et à l’abattage. « Aucun éleveur n’a pu acquérir de veaux cette année », déclare Miloud Bouadis. Malgré l’autorisation à l’importation des viandes rouges réfrigérées, cette mesure reste insuffisante pour répondre aux besoins croissants des citoyens.
Des solutions à engager
Selon les professionnels et acteurs de l’industrie de viande rouge, la solution à adopter face à cette crise alimentaire serait de valoriser et de renforcer la production locale. Ils suggèrent de réviser la stratégie de gestion du secteur de viande rouge. Cela devrait impliquer la production d’aliments pour le bétail locaux et la gestion des troupeaux. Devant cette situation critique, experts et citoyens expriment leur inquiétude quant à une pénurie qui pourrait perturber le pouvoir d’achat pendant le mois sacré du Ramadan, prévu dans à peine 3 mois.
Pour régler le problème de la filière, la Cour des Comptes a appelé à mettre en place un plan de développement de la production fourragère adossé à un plan de mobilisation des ressources hydriques comme mesures préalables pour une maitrise de l’élevage bovin et ovin. Elle a également recommandé de revoir les termes et les conditions des interventions des autorités publiques dans la filière des viandes rouges à même de se réapproprier les instruments permettant la régulation du marché des viandes rouges. Ceci se fera notamment à travers l’encadrement et l’organisation du marché, la mise en place d’un système d’information statistiques fiable, la réactivation du rôle de l’autorité vétérinaire dans le domaine du contrôle sanitaire des abattoirs et le renforcement des mécanismes de contrôle de la perception de la taxe sanitaire sur les viandes (taxe d’abattage).