Ce n’est pas la première fois qu’un cinéaste tente d’adapter l’œuvre phare du romancier Frank Herbert en 5 tomes, parue en 1965 et vendue à 20 millions d’exemplaires, soit le livre de science-fiction le plus vendu de tous les temps.
Le chiffre 3, il faut savoir que Dune du Canadien Denis Villeneuve est son 3e film de science-fiction après Premier contact et Blade runner et est aussi la 3e adaptation du roman Dune de Frank Herbert après le film Dune (1984) de David Lynch où l’on retrouve le chanteur de Police, Sting, et la minisérie Dune (2000) en trois épisodes de John Harrison, ajouté au fait que Villeneuve prépare un tome 3 de Dune après le 2, celui qui passe actuellement dans les salles d’Algérie.
Bref, on ne peut pas non plus oublier qu’en 1970, le réalisateur Alejandro Jodorowsky souhaitait lui aussi adapter le roman et est même parvenu à réunir un casting incroyable, Orson Welles, Salvador Dali et le groupe Pink Floyd, film qui ne s’est jamais fait faute de financement, même si un documentaire sur ce fiasco a bien été réalisé par la suite. Bref encore, le film Dune de Villeneuve a gommé les nombreuses références à l’Islam, aux cultures orientales et maghrébines présentes dans l’œuvre de Frank Herbert aux côtés de l’écologie, le pétrole, la domination et la politique, l’intelligence artificielle et la religion. D’abord, la trame du livre, le jihad butlérien, ainsi appelé par Herbert, révolte contre le contrôle accru de l’intelligence artificielle (déjà en 1965), qui pousse les habitants de la planète Arrakis à s’isoler.
Ensuite, les noms et titres largement inspirés, l’Empereur Padishah (shah en Persan signifie le Roi), Shaddam IV, fils de El-rood IX, mari d’une Bene Gesserit (enfants du pont, ou de l’île, en arabe) et père de cinq filles, Irulan, Chalice, Wensicia, Josifa et Rugi, car il y a même un rougi dans l’histoire, en l’occurrence, Shaddam, fils d’El rood, décrit comme roux dans le cycle de Dune. Ce n’est pas tout, on peut noter le gom djabbar (l’ennemi géant), une colonie dirigée par un Naïb et surtout Mu’adib (le tortionnaire ou le torturé), principal personnage du roman avec ses deux enfants Leto et Ghanima et qui devient la figure centrale d’une nouvelle religion en déclenchant sans le vouloir un jihad sanglant à travers l’univers, c’est écrit comme ça, et se fait carrément appeler le Mahdi dans le roman.
On peut citer d’autres points, la deuxième lune d’Arrakis qui s’appelle Carthag, les ancêtres qui ont colonisé Arrakis à l’époque du Jihad Butlérien, des esclaves rebelles Zensunni (Zenj) ou encore Tylwyth Waff un Masheikh (Sheikh), l’un des maîtres secrets du Bene Tleilax, Abdl et Mahaï. Pour le meilleur, les Feydakins, garde d’élite de Mu’adib, dont le nom serait tiré des feddayens, Herbert ayant beaucoup lu sur le Sahara algérien et la Révolution d’indépendance dont il s’est inspiré à travers le chant de Yahya chouhada repris dans les livres de la saga Dune.
Dans la biographie de Frank Herbert écrite par son fils, le combat des Algériens pour l’indépendance du pays est clairement cité parmi les sources d’inspiration de la création du peuple «Fremen» de la planète Arrakis, un nom qui proviendrait de «Free Men», traduction rapportée du mot «amazigh» par Léon l’Africain, peuple d’Arrakis vivant comme des nomades du Sahara semblables aux Touaregs au milieu de contrées arides comme Tanzerouft, dans le livre, qui n’est autre que le Tanezrouft, désert des déserts entre Reggane et Bordj Badji Mokhtar.
La dune et la tête du magasin du Tinerkouk
Tout cela étant dit, il faut revenir à l’intrigue principale du film, l’épice, uniquement présente dans les sables de la planète Arrakis des Fremen et que toute la galaxie recherche au prix de guerres et de dominations, de corruptions et inféodations, pour la simple raison que cette épice prolonge la vie des vieux, renforce leur immunité et leur donne des visions d’avenir. On ne sait pas quelle est précisément cette épice, mais dans le livre de Frank Herbert, elle est décrite comme ayant la saveur de la cannelle. Des épices, du sable, du désert, autant d’éléments présents à Zaouïet debbagh, à 60 kilomètres au nord de Timimoun, dans le Grand erg occidental et ses immenses dunes, dont le ras el hanout local, mélange d’épices choisies.
D’où la question, pourquoi y a-t-il si peu de films dans le désert algérien, alors que Mad Max, une histoire de pétrole tournée dans le désert d’Australie, Star Wars, qui reprend d’ailleurs beaucoup d’éléments du livre de Frank Herbert, tourné en Tunisie à Tataouine (qui a donné la planète Tatawin dans le film de Georges Lucas), et bien sûr Dune, tourné à Abu Dhabi aux Emirats et en Jordanie, ont tous connu beaucoup de succès ? Bien sûr, on pourra toujours citer Le crépuscule des ombres de Mohamed Lakhdar Hamina, L’arche du désert de Mohamed Chouikh ou L’autre monde de Merzak Allouache, tous trois tournés près de Timimoun, mais le problème semble ailleurs, ensablé dans les dunes de la bureaucratie. C’est là où il faut revenir à l’esprit de Frank Herbert, journaliste et photographe qui a travaillé au Viêt Nam et au Pakistan comme consultant en écologie, et de fait beaucoup réfléchi à la façon dont les religions étaient apparues dans les déserts. Faisant sienne cette thèse en Mésopotamie ou en Egypte antique, l’eau étant une ressource rare, il a fallu toute une administration, des agents et des bureaux pour la contrôler, la distribuer et l’économiser.
Le temps a changé mais les régimes sont restés les mêmes, l’eau ayant été remplacée par le pétrole et tous les pays pétroliers étant plus ou moins des autocraties. Toujours à Zaouïet debbagh, la question est la même, la ville du cinéma annoncée déjà en 2022 par l’actuelle ministre de la Culture, peine à voir le jour (voir El Watan du 17/12/2023), et en dehors du fort, le Bordj Khan El-Kaouafel érigé par la France coloniale au lendemain de la terrible bataille de la Saoura qui s’est déroulé dans ces dunes, il n’y a toujours rien, que du désert.
C’est pourquoi, l’épice de Dune est rare et si recherchée, à cause des ses propriétés gériatriques qui rend immortel. Du coup, on peut rester chef de bureau d’une sous-direction d’un secrétariat général pendant 300 ans et ne rien faire. L’épice.