Une récession et une crise alimentaire mondiales se profilent : Impact sur l’Algérie

18/04/2022 mis à jour: 08:00
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Photo : D. R.

Une récession et une crise alimentaire mondiale se profilent à l’horizon, notamment depuis le conflit armé entre l’Ukraine et la Russie. Les implications de ce dernier se font déjà sentir sous forme d’une accélération de l’inflation, de la perturbation des marchés internationaux des produits agricoles et du ralentissement de l’activité économique.

Vu l’incertitude entourant ce conflit armé qui a exacerbé les tensions géostratégiques et pourrait davantage s’aggraver, le monde se prépare d’ores et déjà à faire face à deux nouveaux chocs, une nouvelle récession économique en 2023 et une crise alimentaire mondiale aiguë qui frapperait plus particulièrement les pays en développement et des millions de citoyens vulnérables à travers la planète.

L’Algérie, pour sa part, en serait affectée et pourrait s’en prémunir en prenant d’ores et déjà des mesures ambitieuses macroéconomiques et structurelles au cours des prochains mois. Discutons de ces points dans les lignes ci-dessous.

Les trois pôles de croissance du monde en phase de ralentissement. Contrastant avec le rebond douze mois plus tôt de l’économie mondiale, cette dernière est en recul au niveau des trois pôles de croissance mondiaux :

- Une économie américaine en surchauffe en raison des dispositifs d’appui budgétaire et monétaire mis en place pour lutter contre la pandémie (1000 milliards de dollars à fin 2021). A fin mars 2022, la surchauffe se caractérise par : (i) un taux annuel d’inflation des prix à la consommation de 8,5% (le taux le plus élevé depuis 40 ans)  ; (ii) un accroissement des salaires horaires dépassant 5,6% par rapport à la même période en 2021 et (iii) un marché de l’emploi serré (deux fois plus d’offres d’emploi que de chômeurs, un ratio jamais vu depuis 1952).

Pour opérer un «atterrissage en douceur» destiné à protéger l’activité économique tout en ramenant l’inflation au niveau de 2%, les autorités ont pris des mesures structurelles et de nature monétaire (réduction à partir de mai 2022 du portefeuille obligataire de 8500 milliards de dollars acquis au titre du programme d’assouplissement quantitatif mis en place pour combattre la pandémie et réduction des taux d’intérêt, entamée avec une première hausse de 0,5% en mars pour atteindre 2,5% à fin décembre 2022). Les «atterrissages en douceur» sont difficiles à mettre en œuvre. D’ores et déjà, les investisseurs tablent sur une récession en 2023.

- Une économie européenne ralentie par l’inflation liée à une crise énergétique sans précédent et une hausse des prix des aliments importés. L’invasion de l’Ukraine par la Russie et les sanctions occidentales menacent l’approvisionnement énergétique du continent et ont conduit à des prix du gaz pour l’hiver prochain cinq fois plus élevés qu’aux Etats-Unis (en partie parce que l’Europe est plus pauvre).

Ceci a entamé la confiance des consommateurs et conduit à une chute de l’activité économique. L’économie de la zone euro est entrée dans une phase de fragilité qui pourrait mener directement à une récession en cas d’embargo sur les importations de gaz russe (par choix ou par rupture de l’approvisionnement par la Russie).

- Une économie chinoise ralentie sous l’effet : (1) de la politique du «zéro Covid» poursuivie par la Chine de façon rigoureuse : menée face à une remontée des contaminations (plus 20 000 nouveaux cas au début avril) due à la faiblesse de la vaccination des personnes âgées et à la qualité du vaccin.

Le verrouillage sans précédent de la ville de Shanghai et d’autres grands centres urbains a d’ores et déjà fortement perturbé l’activité économique locale, le fonctionnement des chaînes de valeurs mondiales, les échanges mondiaux (Shanghai est le dernier port mondial bloqué) et la consommation mondiale ; (2) de l’essoufflement des sources actuelles de croissance que sont les investissements, la consommation publique et privée et les échanges extérieurs.

Exclusion faite de ces derniers (dont le solde devrait être négatif en 2022), l’objectif de 5,5% en 2022 sera difficile à réaliser du seul fait de l’investissement (affaibli par la crise immobilière), de la consommation privée (affaiblie par le confinement des grands centres économiques) et de la consommation publique (difficile vu la baisse des ressources des structures publiques) et (3) des contraintes structurelles majeures pesant sur le potentiel économique à long terme (affaiblissement du secteur financier, ralentissement démographique, déclin de l’investissement direct étranger et innovation technologique plus faible).

- Pourquoi ce ralentissement synchrone ? La responsabilité en incombe directement aux décideurs politiques et monétaires qui ont tergiversé sur la marche à suivre après l’euphorie de la reprise de 2021. Aux Etats-Unis, la FED a longtemps hésité avant de reconnaître le caractère structurel de l’inflation et prendre les mesures idoines. Même aujourd’hui, le resserrement monétaire n’est pas à la hauteur du défi de l’inflation.

Pour ce qui est de l’Union européenne, les autorités (notamment allemandes) ont manqué de vision et se sont placées dans une situation de dépendance énergétique inacceptable. LA BCE continue de philosopher sur l’approche en termes d’inflation. Pour la Chine, l’approche dogmatique dans la lutte contre le virus Omicron demeure surprenante et son affaiblissement structurel une réalité. Le terrain est donc favorable à la récession.

Une crise alimentaire aiguë se profile en raison de la convergence de nombreux facteurs macroéconomiques et géopolitiques. Citons, entre autres, l’augmentation de la demande mondiale induite par la Chine ; la sécheresse ; la faiblesse des stocks de blé, de maïs et de soja dans les principaux pays exportateurs et les prix élevés de l’énergie qui ont fait monter les coûts des engrais, du transport et de la production agricole.

De ce fait, les prix mondiaux des matières premières agricoles ont grimpé régulièrement au cours des 18 derniers mois pour atteindre des niveaux records. L’invasion de l’Ukraine par la Russie – et la perte potentielle des exportations ukrainiennes – a aggravé la situation, d’autant que ces deux pays sont d’importants exportateurs de blé, de maïs, d’orge et d’huile et de farine de tournesol. Le marché mondial des produits agricoles est totalement bouleversé pour de longs mois. Par ailleurs, des barrières protectionnistes ont été érigées qui accentuent les difficultés d’approvisionnements mondiaux.

Onze pays et non des moindres ont mis en place des interdictions d’exportation ou des restrictions sur leurs approvisionnements intérieurs, réduisant davantage l’offre mondiale (blé, farine de blé, orge, seigle, maïs, oléagineux, lentilles, fèves et pâtes) et poussant encore plus la hausse des prix. Fait aggravant, les perspectives de production pour 2022/2023 restent défavorables.

En effet, si des prix élevés peuvent inciter des producteurs à accroître l’offre, ces derniers devront toutefois faire face aux coûts prohibitifs des engrais et des carburants à des taux d’intérêt plus élevés et au caractère imprévisible des conditions météorologiques pendant la saison de semence. Ce qui ne manquera pas de réduire les superficies plantées.

Cette crise alimentaire frapperait davantage les pays pauvres dont les ressources budgétaires et externes sont insuffisantes pour faire face aux surcoûts des importations en énergie et en produits alimentaires.

Qu’en est-il de l’Algérie ? En qualité de pays pétrolier, la hausse des prix de l’énergie va se traduire par des effets positifs sur la croissance, les exportations de brut et les réserves internationales de change tandis que les bouleversements du marché des biens agricoles et la forte hausse des transports maritimes vont entraîner des surcoûts avec des effets négatifs sur la croissance, l’inflation, le niveau des subventions et la valeur des importations. En net, l’impact restera globalement négatif ce qui implique des mesures fortes pour se prémunir des effets négatifs pour le reste de 2022 et en 2023.

Les deux chocs ont modifié le cadre macroéconomique en 2022

- Une croissance économique à environ 
4-4,5% (3,3% dans la LFI 2022) : tirée essentiellement par l’agriculture et les hydrocarbures. Une situation de fragilité.

- Une inflation d’environ 10% (3,9% dans la LFI 2022) : une fois intégrés les facteurs exogènes, l’impact des chocs alimentaires et des coûts de transport  (qui ajoutent 2 points d’inflation), les effets négatifs des politiques publiques en place (faiblesse de l’offre, monétisation du déficit budgétaire, dépréciation du taux de change du dinar), les contraintes structurelles et la sous-évaluation technique nette de l’indice actuel.

- Un compte courant de 5,1% du PIB (7,5% du PIB dans la LFI 2022) : sur la base d’un prix moyen de 103 dollars, les recettes d’exportations d’hydrocarbures atteindraient environ 50 milliards de dollars tandis que les importations grimperaient à environ 48,7 milliards en raison de la forte inflation mondiale. Une amélioration de 2,4 points de pourcentage du PIB résultant de facteurs exogènes et non de politiques publiques de réajustement de l’économie nationale.

- Des réserves internationales de change : qui passeraient de 43,8 milliards de dollars en 2021 à environ 36 milliards à fin 2022 au vu des niveaux attendus des échanges commerciaux externes, du service de la dette et du niveau de couverture du déficit extérieur. Le marché parallèle ne devrait pas enregistrer de baisse vu le manque de confiance des agents économiques vis-à-vis de la monnaie nationale.

- Des finances publiques difficiles. Les recettes globales devraient atteindre 6879 milliards de dinars (5683 milliards dans la LFI 2022) en tenant compte de la dépréciation du dinar, de la hausse des recettes pétrolières (budgétisation d’une partie, soit 1400 milliards de dinars) et de la perte de 200 milliards (gel des impôts et taxes sur certains produits alimentaires, le e-commerce, les téléphones portables, les matériels informatiques à usage personnel et les start-up).

Avec des dépenses totales légèrement en hausse à 10 057 milliards de dinars (augmentation des subventions alimentaires), le déficit global atteindrait 3178 milliards (13,8% du PIB) par rapport à 4174 milliards de dinars (18,1 % du PIB) dans la LFI 2022. Pour le solde global du Trésor qui inclut le déficit de la CNR, il se situerait à 3933 milliards de dinars (17% du PIB) par rapport à 4929 milliards (21,4% du PIB). Un déficit colossal et dont la réduction est due de nouveau à des facteurs exogènes temporaires. Des finances publiques intenables. Les priorités face au ralentissement économique généralisé et à la perturbation des marchés agricoles mondiaux.

- Priorité numéro 1 : protéger les réserves internationales de change pour faire face à la vulnérabilité de nos comptes extérieurs.

Ceci implique : (1) une loi de finances complémentaire pour 2022 (inscrite dans une démarche à moyen terme) qui amorcerait un ajustement budgétaire par le biais d’une réduction des engagements de dépenses en équipements capital de 1547 milliards de dinars (pour les ramener à 2000 milliards, ce qui est déjà un montant considérable). De ce fait, le déficit global pourrait être ramené à 5,1% du PIB et le solde du Trésor à 8,4% du PIB. Un signal important qui permettra de jeter les bases d’un processus de réforme budgétaire au cours des prochaines années ; (2) un recentrage de la politique monétaire en faveur de la lutte contre l’inflation et (3) une dépréciation du taux de change (10% pour l’année 2022).

- Priorité numéro 2 : constituer des stocks stratégiques de produits de base en achetant sur les divers marchés mondiaux pour tenir 2022 et 2023.

- Priorité numéro 3 : sortir du piège de la redistribution et le remplacer par des politiques publiques qui offrent des opportunités économiques. Cela implique un plan triennal ambitieux de réformes macroéconomiques, structurelles et sectorielles pour s’adapter aux changements à venir au niveau de l’économie mondiale (l’accélération de la décarbonisation), prendre en charge les nouveaux enjeux géostratégiques et faire face aux dommages structurels que l’économie nationale a subi sous l’effet des restrictions commerciales, financières et économiques externes, des rigidités structurelles et des politiques publiques incohérentes et qui ont été exacerbées par la faiblesse des mesures mises en place pour combattre les impacts négatifs des chocs sanitaire et pétrolier de mars 2020.

Abdelrahmi Bessaha
expert international  en macroéconomie

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