Entre les deux décrets exécutifs publiés au Journal officiel, moins d’un mois. Le premier, daté du 19 janvier, autorisait le déclassement d’une parcelle de 6 ha du parc en la faisant sortir du régime forestier national pour l’incorporer dans le domaine privé de l’Etat.
La nouvelle avait provoqué un tollé écologique, arguant à juste titre que ce «poumon» de la capitale était déjà bien insuffisant. Six hectares sur les 304 que compte cette institution créée en 1982 pouvaient sembler insignifiants. Il s’agit quand même de 60 000 m2 ou, plus parlant, de huit terrains de football dans une mégapole où les espaces verts sont déjà une peau de chagrin urbaine, tandis que personne ne semble avoir calculé ou du moins publié le ratio espace-vert-accessible/habitant à Alger.
Ceci sans compter que le parc a une vocation nationale destinée à l’ensemble des Algériens et Algériennes, comme en attestent les visites groupées ou individuelles en provenance de tout le territoire national. C’est cette protestation qui aurait entraîné l’annulation de la décision.
Et, dans le sillage, le limogeage de la Ministre de la Culture. Mais comment vérifier une telle « information » quand on ignore déjà comment sont nommés des responsables, leurs biographies n’étant pas publiées,comme cela s’est fait un moment ? Il reste que le projet de Cité du Cinéma était sous la tutelle de la ministre-météore (7 mois à ce poste au turn-over impressionnant). Le décret initial, en principe préparé par son département, se présentait comme une simple opération foncière. Il stipulait laconiquement que l’assiette était «destinée à la réalisation d’une Cité du cinéma». Mais quelle Cité du cinéma ? Il en existe de plusieurs types dans le monde aux dimensions, infrastructures, équipements et rôles différents.
Que voulait-on faire précisément ? Cinecitta, près de Rome, créée par Mussolini avec ses 21 plateaux de tournage et ses laboratoires de post-production ? Film City de Bombay avec ses studios d’enregistrement et ses sites extérieurs ?
Ouarzazatteet ses décors naturels ou construits, une «main d’oeuvre locale disponible»,trois studios de tournage, dont celui de Dino de Laurentis (à lui seul 160 ha), attirant les tournages étrangers et affichant un chiffre d’affaires de plus de cent millions de dollars et 90 000 emplois indirects. Ou encore le pôle cinéma de Gammarth, près de Tunis, lancé par le producteur Ben Ammar où ont été tournées plusieurs productions algériennes. Ou la Cité du cinéma de Qingdao en Chine, «grande comme 500 terrains de football» et considérée comme le plus grand investissement du genre dans l’histoire du cinéma avec 6,5 milliards d’euros à la base. Un complexe hyper sophistiqué associé à des infrastructures de tourisme, de commerce et de loisirs.
Ces plates-formes présentent quelques caractéristiques communes. D’abord un lien fort avec le tourisme (visites payantes, hôtellerie) et l’attractivité de leur région. Ensuite des investissements essentiellement privés ou, comme en Chine, totalement, l’Etat apportant seulement des facilités. Enfin, souvent à proximité, la présence d’écoles de cinéma, comme c’est le cas chez nos voisins latéraux. Mais il n’existe pas de modèle de Cité du cinéma. Chacun fait selon ses ambitions, ses moyens et surtout, sa stratégie cinématographique, dont plusieurs, tout à fait efficientes, ne comportent pas de Cité. Où est notre stratégie ? Précise, concrète, détaillée et non réduite à des objectifs généreux mais généraux. Que voulait-on faire exactement dans le «poumon d’Alger» ? Des studios d’enregistrement, des laboratoires de post-production ?
Des espaces de tournage en plein air avec, en décor de fond, l’autoroute d’un côté et des cités type HLM de l’autre, nuisances sonores à l’appui ?! S’est-on suffi du décret présidentiel du 21 octobre 2021 créant le Centre national de l’industrie cinématographique (CNIC) et de son article 6 qui place, en tête de ses missions, de «réaliser et de gérer les projets de cités du cinéma et tout autre projet d’infrastructures industrielles spécialisées dans les métiers de l’audiovisuel». Qui a vu le projet de Cité du cinéma ?
Or, c’est un texte juridique purement foncier qui a été publié, signalant que «la gestion de la parcelle de forêt est assurée par le CNIC». Petit bémol écolo, il était précisé que«les espaces boisés se trouvant sur la parcelle de forêt, objet du présent décret, doivent être préservés et protégés». Une Cité du cinéma, est-ce bien là l’urgence quand les pays qui en ont créé ont réglé des problèmes bien plus importants, notamment la formation aux métiers du cinéma ? Il existe des instituts supérieurs et des écoles professionnelles en Afrique du Sud, au Burkina Faso, au Cameroun, en Égypte (depuis 1959, près des studios Misr), en Ethiopie, au Ghana, au Maroc, en Tunisie, etc. Pas en Algérie !
Maintenant, s’il faut une Cité du cinéma, pourquoi renier l’histoire du 7e art dans notre pays ? Ne pas penser, par exemple, à Bou Saâda et ses environs qui,tel qu’évoqués par la chercheure Barkahoum Ferhati, ont accueilli un premier tournage en 1923 à l’époque du muet ? L’oasis a ensuite servi à des réalisateurs étrangers de renom dont Cecil B de Mille (excusez du peu), Jack Lee, Antonio Margheriti, réalisateur de la saga Maciste,Mario Monicelli, auteur de Brancaléone s’en va aux Croisades,joué par Vittorio Gassman, etc. Slim Riad y a tourné Sanaoud et Le Vent du Sud,Ahmed Rachedi Essilane, M. Lakhdar-Hamina Décembre et La dernière image, Benamar Bakhti Le Clandestin qui utilise d’ailleurs les décors d’un village de Far West construit près de Bou Saâda pour le western-spaghetti Trois pistolets pour César d’Enzo Perri et Moussa Haddad, financé par Casbah Films de Yacef Saadi. Ou enfin, en 2005, La Trahison de Philippe Faucon.
Avec une lumière exceptionnelle, une situation aux limites du Sahara et du Tell, offrant une variété de reliefs et décors, une telle implantation pourrait enrichir le potentiel touristique de la région et son économie locale, d’autant que les terrains n’y manquent pas. Ce serait sans doute un lieu idéal pour créer une école des métiers du cinéma.
D’autres destinations peuvent être sollicitées, comme Timimoune où Bertolucci a tourné des scènes de Un thé au Sahara et Mohamed Chouikh L’Arche du désert avant d’y créer bravement en 1998 le Festival international du film de jeunesse qui n’a pu survivre.
Au lieu d’envisager des carrières de gardes-forestiers, les promoteurs de la Cité du cinéma auraient dû considérer que les mythiques studios d’Hollywood, devenus désormais un musée du 7e art et un lieu d’attraction, occupent une superficie de 172 ha. Soit à peine 28 fois celle du projet qu’ils envisageaient ! Ce n’est pas avec une Cité du cinéma que l’on fera rentrer le cinéma dans la Cité. Il manque tant d’autres mesures pour que cela puisse avoir du sens : formation, véritable réseau de salles, encouragement des investissements privés, etc.
Et d’abord une démarche stratégique impliquant des synergies (finances, commerce, industrie, formation professionnelle, enseignement supérieur… et pas seulement le ministère de la Culture). Bref, Algewood n’est pas pour demain.
Par Ameziane Ferhani