Chaque jour, la ville de Constantine se libère difficilement de sa léthargie durant ce mois de Ramadhan. Aux premières heures de la matinée, les rues et les places publiques sont quasiment désertes et les magasins fermés.
Avec le temps chaud et lourd de ces derniers jours, le mouvement monte lentement en cadence. C’est à partir de 11h que la ville commence à s’animer, notamment en cette dernière semaine du mois, durant laquelle, les familles constantinoises commencent à préparer l’Aïd El Fitr.
Rencontrée au marché Bettou du boulevard Mohamed Belouizdad, Mme Fadhila, retraitée de l’enseignement et grand-mère, venue faire ses emplettes pour l’Aïd, se désole de la situation dans laquelle se trouvent de nombreuses familles éprouvant des difficultés à faire face aux dépenses de ce mois.
«Depuis l’avènement de la pandémie, les choses ne font qu’empirer. Le Ramadhan de cette année, c’est encore pire, on n’arrive plus à sortir la tête de l’eau, nous sommes complètement débordés et encore avec cette flambée des prix, c’est la catastrophe. Moi, je pense aux familles aux revenus modestes qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts, pour se retrouver face aux achats du Ramadhan puis à ceux de l’Aïd, franchement Rabi ykoun maâhoum (Que Dieu soit avec eux)», a-t-elle regretté.
Le constat de Mme Fadhila est partagé partout dans une ville où l’ambiance reste marquée par un profond marasme social, décrit par des citoyens qui dénoncent une hausse jamais connue des prix et une vie devenue de plus en plus chère.
Morosité à la vieille ville
A la vieille ville de Constantine, véritable baromètre de l’activité commerciale sur le Vieux Rocher et principale destination des mères de famille pour l’achat des ingrédients nécessaires à la préparation des gâteaux de l’Aïd, les choses ne sont pas au beau fixe.
«Après le rush des premiers jours du Ramadhan, les choses ont stagné ; les gens se plaignent de la hausse des prix des produits pour la préparation des gâteaux, mais cela ne dépend pas de nous, car tous les prix des matières premières importées ont connu une augmentation à cause de la taxation, cela a découragé de nombreuses familles», a justifié un commerçant.
C’est le même constat aussi du côté de la place de Rahbet Essouf, où des clientes interrogées ont confié qu’elles ont décidé de se contenter de ce qu’elles peuvent faire pour ne pas déroger à la tradition du premier jour de l’Aïd et ses rituels, mais cela ne veut pas dire que les plateaux seront bien garnis, comme ce fut le cas lors des années fastes où les produits se vendaient à des prix raisonnables.
«Tout a augmenté pour les produits de décoration, le chocolat, le sucre, la pâte de datte, le beurre, les cacahuètes, les amandes et autres ; désormais, il nous n’est plus possible de se permettre des gâteaux qui vont nous ruiner», a fulminé une quinquagénaire.
Pour les familles à faibles revenus, on se contente du peu qu’on peut faire. Un tour chez les boulangers et les propriétaires des fours renseigne sur le peu d’engouement pour ces «protocoles».
«La demande a considérablement régressé depuis la pandémie et encore plus cette année ; d’habitude, on travaillait le jour et même tard la nuit pour satisfaire les demandes ; il n’y a plus de rush sur les fours des boulangers qui travaillaient autrefois même le jour de l’Aïd», a déploré le propriétaire d’un four à Constantine.
Les vêtements, une autre affaire
A la cité populeuse de Daksi, le marché des vêtements et du prêt-à-porter pour enfant ne désemplit guère ces derniers jours. Une foule immense envahit les lieux chaque jour à la recherche d’articles pour leurs enfants. La plupart d’entre eux reviennent bredouilles.
«Je suis venue juste pour faire une prospection, j’ai été déçue ; on ne trouve pas des produits au-dessous de 3500 DA pour les chaussures ou 2500 DA pour les pantalons ou les robes, dans les meilleurs des cas pour des articles de qualité très moyenne ; je ne vois pas comment un père de trois ou quatre enfants pourra-t-il s’en sortir», a noté un fonctionnaire.
Dans la majorité des magasins que nous avons visités, il n’y a plus cet embarras du choix que les parents pouvaient s’offrir il y a tout juste quelques années.
Pour les commerçants, cela s’explique par une faiblesse de l’offre, une limitation de l’importation, alors que les produits locaux, qui parvenaient à répondre tant bien que mal à la demande, ne sont pas disponibles en quantités suffisantes.
«Après les deux années de la pandémie et l’amélioration de la situation sanitaire, les ateliers de confection locaux qui travaillaient à plein régime ne parviennent plus à redémarrer ; les artisans ont d’énormes difficultés pour se procurer la matière première, encore indisponible, car il faut savoir que l’industrie du textile a stagné durant ces dernières années et les importations aussi ; on arrive difficilement à reprendre nous aussi», a expliqué un commerçant à la cité Daksi.
Partout, la crise sanitaire et la difficulté de reprise des activités commerciales ont plané sur les marchés du prêt-à-porter à Constantine. Même les produits vendus dans les commerces des artères principales de la ville, à l’instar des rues Didouche Mourad, Larbi Ben M’hidi, Abane Ramdane et 19 Juin, n’arrivent plus à convaincre.
«La colère sociale a atteint des seuils alarmants à Constantine, au moment où les syndicats annoncent des mouvements de grève pour réclamer une revalorisation des salaires et autres avantages, des chefs de famille n’ont pas perçu leur paie depuis des mois, comment vont-ils faire face aux dépenses quotidiennes qu’ils ne parviennent pas à couvrir ; on ne leur demande pas comment ils vont faire pour préparer l’Aïd ou acheter des vêtements pour leurs enfants», s’est interrogé un citoyen.